Chapitre 2.2 : Amnésie

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 Le large sourire innocent et communicatif de la jeune femme rassura son patient. Elle le laissa ensuite retourner à sa convalescence, le pauvre homme avait besoin de repos. Doucement, l’aide-soignante lui lâcha la main et se leva du bord du lit de camp. Elle s’avança au centre de la pièce principale de la modeste clinique, là même où Harbard continuait à bidouiller sur son holotab aux projections vacillantes tout en pestant. Depuis bien longtemps les airs de laborantin propre sur lui de cet homme l’avaient quitté. Ils ne laissaient plus qu’un gaillard mal fagoté, aux cheveux grisonnants attachés à la va vite en queue de cheval et à la barbe mal rasée. Ses iris d’acier cachés derrière de fines lunettes trahissaient la même nonchalance que sa démarche flegmatique et ses épaules tombantes. Mais qui le connaissait suffisamment savait quel homme soucieux se cachait en réalité derrière ces apparences.

 – Comment va Gelt ?

 – Il va mieux aujourd’hui, attesta Thalie d’un ton satisfait. Ça sera difficile pour lui de continuer à travailler avec une main en moins. Mais il est en vie, ça aurait pu se finir bien plus mal que ça.

 – Ces accidents…, soupira Harbard en rangeant son gadget dans la poche de sa blouse usée. Il faut vraiment revoir la sécurité dans le puit d’extraction. C’est déjà un métier pénible, alors si on laisse les gens y travailler comme ça on aura bientôt plus de mineurs. Et plus de charbon. J’irai en parler au chef dès demain.

 – Tu as une idée ?

 – J’ai peut-être de quoi améliorer les protocoles de sécurités sur certaines machines, oui.

 En plus de ses précieuses compétences en tant que médecin, Harbard avait toujours manifesté des dons pour une pléthores d’autres domaines, allant ainsi de la robotique à la chimie en passant par l’agriculture ou l’Histoire. Il était ainsi devenu depuis son arrivée au village un homme très influent, ayant amélioré les conditions de vie de toute la vallée avec une série de projets novateurs. Ce bienfaiteur aurait pu sans mal devenir chef de ce hameau, et même de tous les villages de la communauté s’il l’avait voulu. Mais c’était un homme simple et discret, bien plus préoccupé par les deux enfants avec qui il arriva un beau jour sans crier gare que pars le reste du monde.

 – Où est-ce que tu as pu apprendre à faire autant de chose ? C’est quand tu travaillais avec nos parents ?

 – En partie, oui.

 La jeune femme grimaça, la réponse ne lui convenait guère. Comme à son habitude Harbard répondit évasivement à ses questionnements, sans lui donner le moindre détail auquel se raccrocher. Elle insista tout en suivant de près le médecin qui se dirigeait vers la réserve de la clinique.

 – Et vous avez travaillé sur quoi au juste ? Un projet médical ? Informatique peut-être ? Tu as toujours été bon pour ça aussi.

 – C’était un projet assez complexe et pourtant très barbant. Ne t’embête pas avec ça. Même si tu es une petite maline tu ne comprendrais pas.

 – Tu peux au moins essayer de m’expliquer. Et si c’est trop compliqué on s’arrête.

 – Thalie, j’ai du travail.

 Afin de ne pas se faire entendre des quelques patients qui occupaient la clinique, la jeune femme referma lentement la porte de la réserve, barrant ainsi la seule issue possible à cet homme qui s’évertuait à ne jamais lui répondre honnêtement à propos de leur histoire.

 – Quand on était petits, et qu’on te posait des questions sur nos parents et sur ton passé, tu finissais toujours par changer de sujet en déviant notre attention. Mais ça ne marchera pas cette fois.

 – Je croyais qu’on en avait fini avec tout ça ! Vos parents sont morts dans un accident de laboratoire. C’est tragique mais ça arrive. Avant que je ne réussisse à me tirer de là, ta mère m’a demandé de veiller sur vous deux. Fin de l’histoire. Ça me peine d’en parler, alors restons en-là, s’il te plait.

 Le médecin triturait tout son matériel de façon erratique. Thalie le connaissait bien, il tentait de masquer sa gêne.

 – En plus, votre amnésie n’est pas apparue par hasard, asséna-t-il. Vos esprits ont enfoui des images horribles et chercher à t’en rappeler te ferait plus de mal qu’autre chose. Tu te souviens de la crise qu’a fait ton frère quand il a essayé de forcer les choses, il y a quelques années ?

 Harbard stoppa son manège, restant là les bras ballants ; mais ne put se retourner pour affronter le regard inquisiteur de celle qu’il avait élevé comme sa propre enfant. Celle-là même qui continuait à lui bloquer la route, affichant une expression stoïque sur un visage dont les deux yeux aussi verts que deux boules de mousse semblaient aspirer ses tissus de mensonges pour le laisser nu en pleine lumière. Après quelques secondes d’un silence pesant, la jeune femme reprit.

 – Je sais que tu mens, canonna-t-elle avec la force d’un char d’assaut et la froideur d’un iceberg. Je fais des rêves depuis quelques temps.

 Semblant s’avouer aussi vaincu qu’inquiet, Harbard se retourna, ne sachant que répondre de plus. Thalie s’approcha alors de lui, les yeux bordés de larmes prêtes à s’écouler sur ses pommettes roses et arrondies.

 – J’ai vraiment besoin que tu sois franc avec moi. Parce que là ça ne va plus du tout, avoua-t-elle alors que sa voix tressaillait sous le poids de l’émotion.

 Son père sorti de la poche de sa blouse presque grise un mouchoir qu’il tendit à la jeune femme. Elle l’attrapa aussitôt de ses petites mains faiblardes pour le porter à ses yeux humides.

 – Dès que ton frère sera de retour, nous aurons une longue conversation tous les trois…

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