Chapitre 2.3 : Miséricorde

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 Heres s’affairait à réduire la dépouille encore tiède de son valeureux adversaire à un amas de morceaux de viande qu’il fourrait un à un dans son grand sac de randonné. Jouant de sa lame avec dextérité, il comptait bien en emporter également le crâne en guise de trophée, affirmant ainsi devant tous sa supériorité de chasseur.

 Soudainement, ce fut le jeune homme qui se retrouvait comme frappé par une prémonition macabre. Une violente oppression assaillit tout son corps alors qu’il se voyait déjà mort, étendu sur le sol forestier dans son propre sang, l’œil vide de toute étincelle de vie. Des bruits de pas furtifs mais audibles pour ses oreilles de prédateur se firent entendre derrière lui.

 Sans même se retourner il se jeta en avant et esquiva ainsi une flèche qui manqua de se loger dans sa nuque. Il s’empara de son vieux fusil en cherchant du regard son assaillant. Dans un geste vif il leva son arme et tira. Non loin de lui, un homme s’effondra dans l’instant alors que deux de ses compagnons se ruaient sur le jeune chasseur en brandissant hache et dague.

 Heres tenta un nouveau tir à la volée, mais trop tard, l’un d’eux arriva assez près pour donner un coup du bras gauche déviant ainsi le canon de l’arme. L’assaillant s’en saisi et Heres esquiva de justesse avant qu’une lame ne lui transperce le ventre. Il lâcha ainsi son fusil que son ennemi s’empressa de jeter à terre. Le jeune prédateur devint proie, se retrouvant acculé par deux guerriers s’approchant de chaque côté de lui.

 Un autre éclair oppressant, une autre prémonition. Il se baissa au bon moment pour éviter la hache du premier attaquant. Heres se redressa dans un bond pour lui retourner un solide coup de genou dans les parties qui plia son agresseur en deux. Le second arriva une fraction de seconde trop tard, le jeune homme pu ainsi arrêter son bras assassin. Ils trébuchèrent tous les deux, roulant dans un amas de ronces. Quand Heres arriva péniblement à prendre le dessus il en profita pour attraper une pierre qu’il écrasa violement contre la tempe de l’homme à la dague. Ce dernier tint bon au premier coup, mais le deuxième le laissa aussi mollasson qu’un tas de feuilles mortes.

 Avant que l’homme à la hache ne puisse revenir à l’assaut, Heres se précipita sur son arme puis le mit en joue. L’assaillant leva alors les mains en l’air doucement, évitant de faire le moindre geste pouvant lui coûter la vie. En agitant le bout de son fusil, Heres lui indiqua de se placer proche de son compère qui peinait à se relever tant les coups assénés sur son crâne lui avait troublé les idées. Heres était hors de lui, totalement dépassé par un pic d’adrénaline lui embrouillant les sens.

 – Fils de putes, j’vais vous butter ! Tous les deux !

 – Beruhige dich, bitte, dit l’homme à la hache tout en se recroquevillant vers le sol en signe de soumission.

 Celui qui se tenait sous la menace du fusil continua d’argumenter, mais Heres était loin de comprendre les mots sortant de sa bouche. Toujours empli d’une colère aveugle empirée par l’incompréhension, il éructa de plus belle un flot d’injures et de menaces de mort. Finalement celui dont la tête saignait maintenant abondamment réussi à se placer avec calme entre les deux hommes, s’adressant à Heres dans sa langue.

 – Il ne connait que la langue de nos ancêtres. Il te demande de te calmer, et de nous épargner.

 – Il est con ou quoi !? Pourquoi je ferai ça ?! Vous avez voulu m’butter ! Et si je vous laisse partir, vous aller revenir avec tous vos gars.

 – Écoute mon pote, moi et mon père on est que des éclaireurs, ok ? On nous a envoyé ici mais ça on l’a pas choisi. On fait juste notre boulot.

 Maintenant qu’il en parlait, Heres s’aperçu que l’éclaireur en face de lui devait être plus jeune que lui, à peine vingt ans. Dans l’agitation, il ne l’avait pas encore remarqué, surtout avec les peintures de camouflage qui recouvrait leurs têtes. Il sembla hésiter.

 – T’es un esclave de combat ? J’en ai déjà entendu parler.

 – Ouais. On est que des esclaves. Et si on rentre pas faire notre rapport, ils tueront ma mère et ma sœur.

 La tension dans les bras de Heres s’estompa légèrement et le jeune esclave tenta de s’approcher. Mais Heres se raidi alors de nouveau, redoublant d’ardeur pour tenir en joue les deux hommes face à lui.

 – T’essaie de m’baiser ?! Tu crois vraiment que je vais vous laisser partir pour que tu dises que tu m’as vu ensuite ? J’peux pas faire ça. Vous êtes des éclaireurs, je peux pas prendre le risque de vous laisser partir.

 – T’es le premier type qu’on croise. On n’a rien découvert. Tout ce qu’on veut c’est rentrer chez nous.

 Les pensées s’emmêlaient dans l’esprit de Heres. Son ennemi lui paraissait si faible maintenant. Si misérable, les yeux emplis de peur, recroquevillé et saignant à grosse gouttes tout en présentant sa main tremblante en l’air comme un mendiant, alors que l’autre appuyait contre sa blessure à la tempe droite. Son père ne valait guère mieux, arborant le regard pathétique d’un chien inquiet qu’on ne mette fin à sa triste vie.

 – Vous avez voulu me tuer.

 – On est obligé de faire la guerre ! Et puis t’a déjà tué mon oncle aujourd’hui, alors que toi, t’es toujours en vie au final. On pourrait en rester là, tu crois pas ?

 Le talkie-walkie resté dans la poche intérieure de la veste du chasseur grésilla en émettant le message de Doren : « Eh, Heres. J’arrive vers toi je crois ». Heres soupira longuement, ne sachant que faire. Il fallait les tuer, c’était la règle la plus absolue du village en cas de rencontre avec l’ennemi. Seulement… en était-il capable ? De supprimer des hommes lorsque dans le même temps son père lui rabâchait constamment la valeur de la vie ? Il abaissa son arme, puis fit signe à ses otages de déguerpir sur le champ sans plus attendre. Heres était seul, personne n’en saurait rien. Cette mauvaise histoire prendrait fin avant l’arrivée de Doren et personne n'en souffrirait davantage. Les deux hommes se pressèrent de fuir sans même prendre le temps de ramasser leurs armes, abandonnant également leur mort sans une hésitation. S’ils traînaient, Doren finirait ce que Heres n’avait pu achever.

 Lorsque le demi géant arriva, il ne put que constater. Son ami restait là, debout. Fixant le corps sans vie et baignant dans son sang d’un inconnu visiblement préparé à la guerre. Se penchant sur le cadavre, il prit quelques secondes de réflexion.

 – Il était tout seul ?

 – Ouais.

 – J’aurais jamais du proposer qu’on se sépare. C’était beaucoup trop imprudent.

 – T’es pas fautif, on était tous d’accord. Moi le premier.

 Doren se releva en se frottant la nuque, émettant dans le même mouvement un soupir nasal des plus longs et sonores.

 – J’espère que ça ira pour les autres. T’as des nouvelles de Clovis ?

 – Pas du tout. Je pensais chasser de mon côté jusqu’au soir.

 Heres se contentait simplement de répondre aux questions de son ami. Ce qu’il venait de vivre était une première pour lui et cette expérience le laissait encore perplexe. Il venait de tuer un autre être humain pour la première fois. Ce fut si facile. En une fraction de seconde il avait risqué de mourir, puis avait finalement arraché la vie d’un autre sans même y penser. Il avait appuyé sur la gâchette dans une sorte de conscience aveuglée, ne faisant même pas le lien entre son acte et sa conséquence. Cependant, maintenant que tout était bel et bien terminé, il ne ressentait rien du tout, contrairement à ce qu’il aurait cru. En réalité, il avait eu bien plus de peine pour le chevreuil. C’était peut-être ce qui le marquait le plus. Doren se saisit de son talkie pour émettre.

 – Clovis. Clovis, répond s’il te plait.

 Il laissa passer quelques secondes, regardant tour à tour Heres et l’homme étendu à ses pieds. Il voulut repasser un nouveau message quand tout à coup, Clovis se manifesta après un bref crépitement sur la fréquence. Il chuchota à l’intention de Doren.

 – Silence radio, je dois couper mon talkie.

 – Quoi !? T’es où ?

 – Je me dirige vers le nord. J’ai repéré des types de l’Ötztal. Je vais les suivre pour savoir où ils se planquent. Comme ça on pourra revenir en force plus tard.

 – Non reviens Clovis ! Clovis ? Fait chier !

 Doren pesta contre la forte tête qui venait de couper court à la discussion en éteignant son talkie.

 – On ne peut pas le suivre. Faut rentrer avertir le village que ces mecs rôdent toujours dans le coin, fit Doren en espérant convaincre Heres.

 – Il va se faire tuer sans nous. Ou pire, s’ils le choppent il va vite se mettre à causer.

 – À chanter même.

 Doren sembla hésiter une seconde avant de reprendre.

 – Après tu t’étonnes que j’lui mettais quelques baffes quand on était gosse… C’était toujours mérité.

 Sa décision prise, il s’avança vers le sac chargé de quelques morceaux de viande, puis le ramassa avant de l’envoyer à Heres.

 – Pas question d’abandonner ça. C’est déjà bien dommage d’en laisser autant derrière nous, fit-il à son ami tout en entamant sa marche rapide et déterminée vers l’ouest et le territoire ennemi.

 Heres lui emboita rapidement le pas, mais pris une seconde pour observer ce corps sans vie laissé aux charognards et aux vers.

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