Chapitre 3.3 : Les cieux d'acier

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 Le douzième arrondissement d’Éminence. Il avait acquis de nombreux surnoms, tel que « les bas-fonds », en référence à sa position. Car l’arrondissement numéro douze se trouvait être le premier de la cyclopéenne cité de fer, les pieds du colosse s’enfonçant dans la boue. Surmonté par tous les autres districts, ce dernier était en de nombreux endroits caché des rayons du soleil toute l’année et ce depuis parfois des siècles. Dans cette titanesque ziggourat ronde aux multiples terrasses désordonnées qui formaient Éminence, plus votre arrondissement s’élevait haut, plus votre rang social l’était également. Ceux qui vivaient dans les bas-fonds étaient donc les travailleurs les plus pauvres, les rebus, les parias, les laissés pour compte et tous les criminels en quête de tranquillité, dans cette zone immense où les lois de la rue primaient souvent sur celle de l’Empire.

 C’était pour cette raison qu’on parlait du fameux « A12 », comme de la zone grise. Une sorte d’angle mort dans la vue omnipotente de l’Empereur-Dieu. À moins que ce dernier n’ait jamais eu la réelle intention de s’occuper de cet endroit désolé, préférant l’abandonner à son triste sort. D’entre tous les arrondissements le douzième était de très loin le plus étendue, le plus peuplé, le plus sale, gigantesque élevage à viande humaine encerclée de fer et de béton. La population ne cessait d’y croître, en même temps que son désespoir.

 Le douzième arrondissement couvrait la superficie de l’ancestrale cité sur laquelle s’était érigée Éminence, son agglomération, et s’étendait encore au-delà. Dans cette immense superficie vivaient des centaines de millions d’êtres, soit la moitié de la population de la gigapole. Regroupés en un réseau urbain très dense et délabré, ses habitants ne vivaient le plus souvent que pour contempler d’immenses tours-piliers moribondes supportant le poids colossal des plafonds d’acier sur lequel s’érigeaient les autres arrondissements. Les lieux étaient laissés à leur décrépitude et pire encore, une partie des déchets de la cité – théoriquement recyclé ou expulsé au-delà de l’orbite terrestre – finissait en réalité sa vie dans le A12. Ils y formaient ainsi d’immenses décharges nocives, où la compétition entre vermines, humaine ou non, était une âpre lutte de chaque instant.

 Depuis longtemps, la population de ces espaces en perdition ne se soumettait plus que pour éviter tout problème avec la garde impériale, survivant en effectuant les travaux les plus pénibles dans de gargantuesques usines sans repos. Mais malgré la force de répression de la garde, nombreux étaient aussi ceux à choisir des chemins illégaux. Peu étaient en revanche assez fous pour suivre la voie des révolutionnaires. C’était pourtant le cas de cet homme, qui attendait patiemment au sommet d’une triste tour d’habitation lézardée, en défiant du regard cet arrogant ciel d’acier encrassé.

 C’était un personnage d’un certain âge, la face burinée par une vie de misère, de labeur acharné et de combats disputés à la force des poings. De grande cernes grisées venaient se loger sous de petits yeux noirs fatigués, empli cependant d’une colère glaciale domptée par un esprit tenace. Et de sa bouche parcourue en diagonale par une large balafre mal suturée remontant jusqu’au coin de l’œil, aucune joie n’était sortie depuis bien longtemps.

 Cessant de contempler le ciel corrodé et souillé par la pollution, il se retourna vers l’assemblée qui lui faisait face. Des hommes et des femmes, aux airs graves mais attentifs, avaient fait le déplacement afin de répondre à son appel. Une fois les retardataires arrivés, deux des gardes armés de l’homme au visage marqué refermèrent l’accès menant aux étroits escaliers dans un lourd son métallique. L’assemblée se méfia, mais était tout de même rassurée qu’on ne lui confisqua pas ses armes avant de monter. L’organisateur de cette rencontre s’éclaircit alors la gorge dans un râle roque.

 – Certains d’entre vous m’ont déjà rencontré dans les autres mondes, mais je me présenterai tout de même. Je suis Lazare, votre maître à tous.

 De nombreux visages se tordirent de mécontentement autant que de mépris. Tous les chefs de cet ensemble disparate qu’était les Arpenteurs du Vide avaient au minimum eu vent des rumeurs. Celles concernant celui qui avait peu à peu éliminé ses rivaux avec autant de brutalité que d’ingéniosité, pour finalement gagner en puissance sans jamais sortir de l’ombre. Mais se montrer au grand jour aujourd’hui pour se revendiquer maître de l’ensemble des Arpenteurs, voilà qui était un acte des plus inconsidérés. Une voix s’éleva alors à travers la petite foule.

 – Et qui t’a désigné, Ô ! Grand Seigneur ?! fit une femme sur un ton des plus sarcastiques.

 Une série de rire moqueur gronda doucement, mais Lazare eu un sourire carnassier dévoilant sa canine droite jaunie par l’âge.

 – C’est vous qui m’avait nommé ! Ou plutôt vous le ferez, avant de redescendre d’ici.

 – Tu oserais nous prendre en otage ?! s’offusqua un autre, passant discrètement ses doigts sur la crosse de son gunner.

 Lazare eu un geste rassurant de la main avant de poursuivre.

 – Ce que je veux dire, c’est qu’après m’avoir entendu, vous me nommerez de votre plein gré.

 – Alors parle ! s’impatienta la femme.

 – Je suis à la tête de la moitié des groupes d’Arpenteurs de la cité, mais aussi de beaucoup d’autres à travers l’Empire. Je contrôle déjà une large part des activités dans l’Alterworld, au point de rivaliser avec les sbires du faux dieu.

 – C’est toi qui tues ces gens dans l’Alterworld, conclu l’autre en abandonnant la crosse de son arme.

 La nouvelle faisait grand bruit dans les rangs des Arpenteurs du Vide, mais personne n’aurait seulement espéré que ce soit l’un des leurs qui puisse accomplir cette prouesse. C’était une véritable révolution que de pouvoir contrôler la Vraie Mort dans les autres mondes. Une révolution qui aiderait grandement la cause de ces sectes, détestant encore plus l’emprise impériale qu’elles ne se détestaient entre elles pour d’obscures raisons.

 – Comment ? demanda le dernier intervenant.

 Lazare descendit du rebord sur lequel il s’était perché face au vide puis s’enfonça dans la foule, s’adressant à chaque visage sur sa route avec sincérité. Comme un père à sa grande famille désunie.

– Je parcours les réalités de l’Alterworld depuis plusieurs vies d’homme. J’y ai appris de nombreux secrets, et accumulé la connaissance. Et la connaissance, mes frères et sœurs, elle est la racine du pouvoir ! dit-il en brandissant devant lui un poing vigoureux. J’y ai vu des choses qui paraîtraient impossibles même aux plus aguerris des Arpenteurs ici présents. J’ai apporté la Vraie Mort à nos ennemis ! Et pour finir…

 L’assemblée redoubla d’attention, osant à peine imaginer la suite de ce discours proféré avec une intensité musclée d’une profonde conviction.

 – Je l’ai retrouvé. Je l’ai retrouvé ! La mère !

 Les hommes et les femmes sur le toit restèrent désorientés une seconde.

 – C’est impossible. Elle était perdue à jamais…, hésita la femme.

 – Tu mens ! affirma un autre visiblement très agité.

 À peine ce dernier eut-il terminé son accusation que Lazare attrapa son gunner et lui colla une balle en pleine tête dans une gerbe souillant les convives les plus proches. Malgré l’opulence d’arme dans l’assemblée, l’affaire en resta là. Personne ne bougea, pas même ceux dont les restes organiques souillaient les vêtements. Lazare savait parfaitement maîtriser ce type de situation et ce qu’il était possible de se permettre, et quand se le permettre. Il rangea son arme avant de poursuivre.

 – Que ceux qui osent me traiter de menteur soient maudits, car jamais je n’abuserai de la confiance de mes frères et sœurs !

 La foule étant toujours plus sidérée par sa dernière annonce que par cette exécution sommaire, il continua.

 – Encore un mensonge du faux dieu et de ses adorateurs. Eve est bel et bien à notre portée ! Après des décennies du Premier Monde passées à la chercher, je l’ai enfin localisé. Elle était perdue, affaiblie, et endormie. Mais j’ai su la réveiller, l’assister et écouter ses enseignements ; comme celui de la Vraie Mort dans l’Alterworld. Et bientôt elle reviendra en personne guider ses enfants. Notre ennemi est plus faible qu’il n’y parait et cette fois, nous le balayerons dans la guerre qui s’annonce !

 L’assemblée hésita, mais des cris de joie et d’approbation s’élevèrent timidement. Puis ce fut rapidement l’exultation parmi la troupe, et les armes crachèrent leurs munitions vers ces cieux d’acier que détestaient chaque Arpenteur du Vide.

 – Suivez-moi, mes frères et sœurs. Et ensemble, nous écraseront ces chiens d’adorateurs du faux dieu. Et lui avec !

 Le vieil homme était maintenant porté en triomphe par l’assemblée des chefs qui accepta son leadership dans cette nouvelle croisade sans l’ombre d’une opposition.

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