Chapitre 3.5 : Parce que je t'aime

7 minutes de lecture

 – On doit vite aller au puit d’extraction ! s’écria Thalie.

 – C’est déjà trop tard, affirma Harbard d’un air résigné. Ils ont déjà dû y envoyer une escouade, comme pour les autres sorties.

 Le père adoptif de la jeune femme la saisie par les épaules avec force et planta son regard déterminé dans ses grands yeux verts paniqués. Thalie laissa échapper son sac à terre, comme hypnotisée par cette intensité nouvelle qui couvait derrière les lunettes du médecin.

 – Thalie. Tu dois te cacher, vite.

 – Mais…

 – Dépêche-toi !

 – Mais et toi ?

 – T’en fais pas. Tu sais bien que j’ai toujours plein de bonnes idées. Maintenant vas-y !

 La jeune femme s’empressa alors d’ouvrir la porte du placard de la cuisine. Elle envoya valser les réserves de nourriture s’y trouvant pour accéder à un discret mécanisme qu’elle actionna et qui ouvrit un double fond, dissimulé dans le garde-manger. Alors que Thalie refermait le passage derrière elle, Harbard fonça dans sa chambre.

 Dans son gros coffre, il attrapa un fusil bricolé par ses soins ainsi que quelques explosifs de sa conception personnelle, détournés de leur fonction minière pour en faire des armes défensives. Le scientifique se hâta de revenir dans la cuisine, posa son fusil sur la table, puis arma deux de ses charges qu’il plaça dans l’entrée. Il eut à peine le temps de les poser que le bruit des bottes s’invita sur les quelques marches de tôle menant à l’entrée de chez lui. Il courut se cacher dans le couloir, attrapant son arme au passage. Ses mains moites tremblaient en tenant fébrilement son fusil contre son torse. Harbard souffla longuement pour se ressaisir. Il connaissait la mission des agresseurs autant que la sienne, l’échec ne lui était pas permis.

 La porte céda net et laissa passer deux chasseurs qui entrèrent avec méfiance, armes pointées droit devant eux. Malgré leurs précotions, ils n’eurent pas le temps de fuir. L’explosion les emporta dans la tombe avec violence en les projetant tel des poupées désarticulées. Il y eu un moment de flottement étrange, une certaine sérénité malgré les bruits d’horreur au dehors. Harbard restait là, caché derrière le mur du couloir, prêt à se battre jusqu’à la fin. Une odeur de phosphore planait dans cette atmosphère chargée d’un léger rideau de fumée et les minutes s’écoulèrent avec lenteur ; comme suspendues. Une voix se fit finalement entendre, rameutant plus d’assaillants vers cette demeure et son occupant qui osait résister avec trop de brio.

 C’est alors que dans l’entrée en ruine, un géant en armure apparut. Il devait mesurer plus de deux mètres, et on devinait sans peine son imposante musculature sous cette splendide armure qu’il arborait. Le nouvel arrivant s’aventura jusque dans la cuisine, prenant le temps d’inspecter les lieux.

 Ce fut l’instant ou jamais. Harbard sortit de sa cachette et pointa son arme en direction du Martien. C’était un antique fusil de guerre lourd qu’il avait modifié lui-même, afin d’en faire une arme presque aussi puissante que celle d’un soldat de Mars. Grace à un ingénieux système de canon magnétique bricolé avec les moyens à sa disposition, il allait perforer sans mal la cuirasse de son ennemi et le terrasser ! Du moins, c’est ce qu’il s’imagina. Cette arme qu’il délaissa trop longtemps dans son coffre sans en prendre soin refusa de fonctionner. Le guerrier en armure s’avança face au médecin, profitant de sa mine déconfite pour le neutraliser d’un simple coup de crosse. Même cachée dans le double fond du garde-manger, Thalie comprit sans mal ce qui vint de se produire. Elle sursauta au bruit sec que fit l’arme sur la tête de Harbard en étouffant un sanglot.

 Quelques autres minutes d’angoisse passèrent. Le scientifique ne rouvrit finalement les yeux que pour contempler le visage sublimement austère du général de Mars qui se tenait devant lui, tandis que deux chasseurs des escadrons impériaux le retenaient au sol. Ils le mirent alors à genoux, sur ordre de Tarkon, derrière qui se tenait un lieutenant des escadrons de chasseurs bien intrigué. Ce dernier s’avança et sortit de l’une des poches de sa veste une puce d’affichage holographique. L’appareil retransmit alors dans une lumière bleu crépitante le visage d’Harbard.

 – Pas de doute, conclu Novak en rangeant son gadget.

 Tarkon afficha une mine ravie, chose inhabituelle qui marqua ses traits dans un rictus se voulant être sincère. Il s’avança et attrapa l’homme à genou devant lui par le cou, le décollant du sol.

 – Ne perdons pas de temps. Tu vas me dire tout de suite où trouver le projet Zarathoustra.

 – Zataroustra ? questionna Harbard entre ses dents.

 De sa main encore disponible, le général des armées de l’Empire assena un violent coup de son poing carapaçonné dans le ventre du pauvre homme qu’il tenait à sa merci. Il lâcha alors sa proie qui s’effondra littéralement au sol où elle se recroquevilla de douleur tel un insecte mourant. Tarkon soupira en retrouvant sa mine sévère.

 – Je suis assez pressé de quitter ce cloaque. Et je doute que tu aimes souffrir inutilement. Alors simplifie nous la vie à tous les deux.

 – Je suis médecin de village moi. C’est tout, répondit l’homme au sol sans desserrer la mâchoire.

 À peine eut-il fini sa phrase que la lourde botte dorée du général vint lui éclater une partie du crâne, emportant l’œil gauche du médecin. Tarkon eut alors un mouvement de recul, visiblement perturbé par sa découverte. Il avait sans doute mis bien trop de force dans ce coup de pied, mais celui-ci eu cependant le mérite de lui révéler la véritable nature de son interlocuteur. Ce n’était pas un homme qui gisait au sol face à lui, mais un cyborg imitant à la perfection les traits humains. La partie endommagée de son visage laissait maintenant apparaître son ossature d’acier. Et de son orbite meurtrie ne coula qu’un léger filet d’une imitation sanguine, sans doute suffisante pour feindre l’humanité dans la vie de tous les jours. Le Martien reprit vite son assurance.

 – Dans ce cas, cela sera encore plus aisé de te faire parler. Faite venir le technomancien.

 Novak, qui trouvait de déroulement de cette mission de plus en plus dure à décrypter, ne voulut pas assister à une nouvelle démonstration des pouvoirs de l’hybride martien. En fait, il le trouvait étonnamment moins humain que cette chose, qui gisait devant lui à cet instant. Il laissa alors vagabonder son attention quelques secondes. Il remarqua alors le sac couvert de poussière laissé à l’abandon dans la cuisine. Son œil de rapace remonta alors la piste jusqu’à ces conserves, répandues au sol devant le placard. Il s’avança alors vers ce dernier et en ouvrit délicatement la porte avec méfiance. Novak analysa rapidement le désordre régnant dans ce petit espace et comprit vite la supercherie. Le chasseur alpin se tourna alors vers Tarkon.

 – Général, l’interpela-t-il en désignant d’un geste de la tête le garde-manger.

 Tarkon fit signe à l’un de ses hommes de s’en occuper. Le colosse s’avança jusqu’à pousser Novak. Sans ménagement, il explosa le fin panneau de bois servant à dissimuler le double fond. À cet instant le cri strident d’une proie acculée s’éleva. Le Martien attrapa rapidement Thalie pour l’extraire de sa cachette comme un vulgaire animal. Il la força à sortir, mais cette dernière opposa une vive résistance, se débattant et se mouvant telle une anguille grâce à l’énergie du désespoir. Mais ce fut en vain, le soldat la maîtrisa rapidement. Le colosse l’agenouilla devant son supérieur tout en lui maintenant la tête de l’une de ses grandes mains gantées. Tarkon inspecta alors la prise de son subordonné. Il eut un nouveau sourire satisfait, et s’adressa à Harbard de nouveau maintenu au sol par les chasseurs de Novak.

 – C’est bien ça. N’est-ce pas ?

 Harbard resta muet.

 – Évidemment que c’est ça.

 – Crétin, pesta Harbard. Tu ne sais même pas ce que tu fais. Espèce de singe hypertrophié. Tes actes auront de lourdes conséquences.

 Le général eut un regard amusé à l’intention du médecin. Il demanda alors aux hommes de Novak de s’écarter à nouveau. Dès lors qu’ils s’exécutèrent Tarkon attrapa Harbard. Il lui décocha une violente série de coups, une pluie sauvage de poings de pierre enrobés d’une robe d’acier sur tout son corps meurtri. Pour finir, le martien attrapa la tête de sa victime tête d’une main, puis cala l’autre sur son épaule. Sous le regard médusé des chasseurs, et celui de la jeune femme emplie de terreur, il utilisa sa force herculéenne pour détacher la tête du pauvre Harbard de son corps.

 Thalie hurla d’horreur. Son visage d’ordinaire rayonnant de joie de vivre se déforma hideusement. Le cœur de Novak se souleva, même si le supplicié fût une machine. Il avait toujours mis un point d’honneur à exécuter ses missions et la pitié était un frein à l’accomplissement de son devoir. Mais ces Martiens-là faisaient preuve d’une cruauté détachée des plus dérangeantes, et même inquiétantes. Tarkon jeta alors les restes du cyborg comme de vulgaires déchets puis quitta simplement la pièce. Les Martiens suivirent alors leur maître. Celui qui tenait Thalie la plaça alors sur sa large épaule tel un simple sac pour mieux la transporter. La jeune femme en état de choc ne pensa même plus à opposer la moindre résistance. Son regard horrifié se fixait sur les restes de celui qui l’avait élevé.

 Un fugace instant, elle se remémorât le jour où elle se blessa la jambe en tombant dans un puit de mine, après s’être enfuie de la maison à la suite d’une dispute. Assise sur l’un des lits de la clinique, elle et Harbard se tenaient là, sans dire un mot ; tandis que le médecin pensait sa jambe après avoir désinfecté la plaie. L’air contrarié, il releva la tête en observant la petite fille d’un air sévère. Mais il ne put tenir ce regard longtemps, ses yeux s’adoucirent malgré lui. Bien que Thalie se vu passer un savon quelques minutes plus tôt, Harbard lui confia alors tout bas ces mots qui résonnaient à présent en elle, tandis qu’on l’emmenait loin de son cadavre gisant au milieu de leur foyer détruit : « Je veillerai toujours sur toi. Même si tu ne le veux pas, même si tu tentes de t’enfuir. Même si on veut t’arracher à moi. Tant que je garderais un souffle de vie, je veillerai sur toi et te protégerai jusqu’à la fin. Parce que je t’aime. Plus que tout ».

 L’un des hommes de Novak s’approcha de son lieutenant, tentant de communiquer à propos des événements.

 – Lieutenant…

 – Pas un mot. S’il vous plait, le coupa Novak avant de sortir à son tour.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Morpheus "Troglodyte Ier" Scaja ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0