Chapitre 4.6 : Infiltration

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 Le lieutenant se stoppa à une centaine de mètre de la grille qui s’érigeait droit devant en barrant la route. Il jeta un œil par-dessus son épaule. D’un air méfiant, Heres s’avança jusqu’à se tenir derrière lui.

 – Tu as pensé à un moyen d’entrer ? le questionna Novak

 – Non.

 – Tssss. Tu pensais juste venir, défoncer la porte d’une forteresse et t’enfuir avec ta sœur sous le bras ?

 – J’y ai pas vraiment réfléchi. Mais ce que je vois, c’est que la sécurité n’est pas votre fort. Y a qu’un seul gars à la grille.

 Elias ne surenchérit pas, il savait que les mots du jeune homme étaient justes. Cela faisait des décennies qu’aucune attaque n’avait fait mugir les sirènes de la ville impériale. Et aucun de ses habitants n’aurait cru cela à nouveau possible. Les barbares n’étaient plus que quelques poignées, dispersés à travers les terres dévastées, et tremblaient de peur à l’idée d’attirer sur eux les yeux de l’Empereur tout puissant. C’est pourquoi les effectifs militaires avaient été réduits à chaque nouvelle génération, que la ville autrefois surarmée n’était plus que l’ombre de ce qu’elle fut. En grande partie délaissée, délabrée, vidée de sa garnison.

 Heres bouscula son captif vers l’avant, le poussant à agir. Toujours résigné à obéir, Elias avançât vers la grande porte grillagée qui barrait la route menant au fort. Là, il se retrouva nez à nez avec le soldat chargé de surveiller l’entrée de son air nonchalant. Gardant une bonne distance, le trio observa les deux hommes discuter. Ils se connaissaient visiblement et échangèrent des mots à peine audibles. Doren se tint prêt à appuyer sur la gâchette, dans l’éventualité où Novak tenterait de les doubler. Novak décrocha un coup de boutoir aussi vif qu’inattendu au pauvre homme qui s’écrasa mollement au sol. À peine en eut-il fini avec lui que le lieutenant s’enfonça dans le poste de garde. Le trio s’élança alors rapidement à sa suite, évitant toujours autant que possible la lumière des lampadaires. D’un geste du bout de son fusil, Doren signifia à Novak de s’éloigner de la console, empêchant ce dernier de presser discrètement le bouton d’alarme situé sous celle-ci. Avec l’aide de Clovis, Heres porta le gardien jusqu’à l’intérieur.

 – J’enfile ses fringues, annonça Clovis. Si quelqu’un passe par là ça éveillera moins les soupçons que s’il n’y a personne.

 – Si ça devient louche, sert toi de ton talkie, continua Doren.

 – Pfff, évidemment !

 Sans plus tarder, le jeune rouquin enfila la tenue du militaire, bien qu’un peu trop grande pour lui, et se saisit de son arme, laissant son vieux fusil à Heres. Pendant ce temps lui et Doren prirent le chemin du grand édifice surplombant le village d’un pas pressé, accompagné de leur captif marchant toujours deux bons pas devant eux. Ils montèrent un escalier de secours en métal rouillé sans un bruit, puis se trouvèrent devant une lourde porte gardée par un œil de verre d’un noir profond comme l’abîme.

 – Je ne sais pas comment l’ouvrir, tenta Elias.

 – Moi oui, répondit Heres. Mon… Harbard, gardait la réserve de sa clinique avec un système comme celui-ci. Il reconnait l’empreinte des yeux.

 – On ne m’a jamais expliqué ça, rétorqua l’officier impérial.

 Bien sûr, le lieutenant mentait. Mais il n’avait pas prévu qu’un sauvage pouvait identifier un lecteur d’empreinte rétinienne.

 – Colle ton œil devant, continua le jeune homme.

 Il s’exécuta, mais la porte d’acier blindée resta aussi calme et immobile que la nuit. Heres et Doren échangèrent un long regard, avant que le premier ne reprenne.

 – On va aller chercher l’œil du type en bas alors. Peut-être que ça marchera.

 Novak plongea son regard froid dans celui de Heres dans lequel naissait à chaque instant une détermination plus grande. Il se demanda si le jeune homme tentait là un coup de bluff. Même s’il semblait retissant à l’idée de tuer, serait-il prêt à mutiler un homme pour retrouver celle qu’il recherchait ? S’avouant vaincu, Novak colla sa main sur l’orbe.

 – J’avais oublié, mais ça marche aussi avec la main.

 – Bien sûr…

 Le petit globe scintilla alors d’une douce lueur bleutée, avant que la porte n’émette un vrombissement sourd pour se débloquer dans un claquement discret.

 Elias passa le premier. Rien ni personne n’attendait de l’autre côté, si ce n’était un nouveau poste de garde vide, donnant sur un long couloir tout aussi désert. Doren ne put retenir un pouffement moqueur. Toute leur vie, ils avaient vécu dans la crainte de ces hommes de l’Empire suréquipés et entrainés à la guerre, fondant des cieux en essaim sur les villages afin de les éradiquer jusqu’au dernier enfant. Tout cela pour finalement se retrouver face à une bande d’incapables qui n’étaient en réalité pas foutu de monter la garde pour défendre leur propre forteresse convenablement. Novak senti le poids des regards des deux jeunes hommes sur lui. Il n’inspirait plus la peur. Ni lui, ni les siens. Mais un simple sentiment de haine.

 Ils s’enfoncèrent ainsi dans ce couloir, laissant la porte se refermer derrière eux. Novak eut un coup d’œil discret pour la caméra qui n’avait pas perdu une miette de leur entrée. Pourvu que le garde assigné au centre de surveillance central ne soit pas un idiot assoupi,. Sur leur route, ils croiseraient bien assez de caméra pour se faire remarquer. Il laissa ainsi le piège se refermer sur ses victimes et loua intérieurement la naïveté de ces dernières.

 Ils s’arrêtèrent avant toute chose dans un vestiaire situé sur la première porte à droite du long couloir, afin que les deux sauvageons trouvent des tenues plus adaptées. Il était préférable à tous qu’ils se trouvent des affaires dégageant une odeur moins écœurante. Après avoir forcé quelques cadenas, ils revêtirent des tenues de combat impériales standards. De couleur sombre, motifs forestiers, ces dernières étaient assez légères pour ne pas entraver le mouvement tout en étant équipées de plaques de renfort aux points stratégiques. Elles s’inspiraient des tenues des légionnaires de la très lointaine Rome antique, une civilisation légendaire dont ne restait presque rien. Mais dont l’histoire avait grandement inspiré le monde d’après les Temps Obscurs.

 – On va forcément croiser du monde vous savez, leur fit remarquer Elias, assis sur un banc et toujours tenu en joue.

 – Et tu parleras pour nous trois, repris Heres. Mais si tu parles trop, Doren te fera très vite taire.

 – Même si je vous aide, vous ferez quoi après ? Si t’abandonne tout de suite vous pouvez encore vous tirer en vitesse, toi et tes potes. Mais sinon, tu vas les faire tuer en même temps que toi.

 Heres ne répondit pas, se contentant d’attraper un fusil et de le charger tout en l’inspectant. Le matériel impérial ressemblait plus ou moins au leur, du moins dans son mode de fonctionnement. Pour le fusil de Harbard, c’était une autre histoire. Lui ressemblait davantage à l’armement qu’utilisaient les géants. Une sorte de mâchoire monstrueuse crachant ses balles dans une gerbe d’étincelles furieuses. Heres montra un fusil impérial à Novak.

 – Ça transperce les armures des grands ?

 – De qui, des guerriers de Mars ? Aucune chance.

 Le jeune homme haussa un sourcil surpris et déçu.

 – Au moins ça marchera sur les plus petits.

 – T’as de sacrées burnes, gamin. À moins que tu sois juste idiot. Mais tu vas te faire tuer. Arrête tant que tu peux.

 Heres ne fit rien des conseils avisés de son ennemi. Lui et Doren finirent de s’équiper et les trois hommes se dirigèrent vers le niveau inférieur. Ils ne croisèrent personne sur leur chemin, à la grande surprise des deux jeunes gens, et se rendirent jusqu’aux geôles de la petite forteresse. Enfin, Elias se stoppa devant une cellule, faisant signe à Heres de regarder par le judas de la lourde porte blindée. Le jeune homme s’exécuta mais ne vit rien, si ce n’était une pièce vide. Son sang bouilli jusque dans son cœur, rougi ses joues avant que ses poings ne le démangent. Il se retourna et agrippa férocement Elias, le plaquant contre la lourde porte en serrant sa gorge.

 – Tu te fous d’ma gueule ! Où est Thalie ?!

 – Sûrement déjà en chemin, répondit Elias entre ses dents serrées par la douleur de sa pomme d’Adam écrasée. Il est parti encore plus tôt que prévu.

 – Qui ça ?!

 – Le général qui a pris ta sœur.

 L’interrogatoire fut coupé net par l’arrivée soudaine de quatre gardes. Attendant en embuscade, ils surprirent les intrus par leur entrée en scène et les mirent en joue. Dans un geste vif comme l’éclair, ils se placèrent derrière leur captif, l’agrippant solidement en le menaçant avec une arme de poing volée précédemment dans le stock du fort.

 – Pas trop tôt, soupira le lieutenant. Bon, les enfants. Vous allez me lâcher. Et vous messieurs, en échange, vous ne les abattrez pas. Ok ?

 Doren et Heres furent frappé par la sérénité qui se dégageait de leur otage. La confusion s’immisça alors dans leurs esprits une fraction de seconde. Il y eu un léger flottement, Novak sut en tirer profit. Il s’extirpa des mains le menaçant pour se jeter au sol et laisser les deux jeunes hommes à la merci des tirs des quatre soldats qui leur faisaient face.

 Le couloir des geôles s’empli du fracas des tirs. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, les deux jeunes hommes étaient à terre, mais indemnes. Ce n’était pas le cas des gardiens. Ils formaient un amas de viande déchirée et encore chaude que la vie quittait lentement avec le ruisselet de sang qui se formait devant eux pour rejoindre une grille évacuation. Clovis avait su arriver au moment crucial. Le lieutenant n’en revint pas, mais avant qu’il ne reprenne ses esprits la botte de Heres percuta sa tête avec force, le laissant inconscient sur le sol bétonné qui se gorgeait de sang.

 – C’est la merde ! s’écria Clovis. Ça s’agite dehors, faut se tirer !

 Le trio s’engouffra à toute vitesse dans l’escalier menant à l’étage d’au-dessus. Ils coururent aussi vite que possible, jusqu’à devoir se stopper face à l’avancée d’une seconde équipe de soldats. Doren et Heres n’eurent pas le temps de lever le canon de leur arme que Clovis leur passa devant. Il enfila un masque de combat à respirateur avant de s’écrier en direction des impériaux.

 – On a que des morts en bas. Ils utilisent des armes chimiques !

 La patrouille le cru sur parole, lui qui était habillé comme l’un d’entre eux. Tous enfilèrent leur masque et prirent le chemin de la sortie au pas de course. Devant le bâtiment régnait une agitation grandissante. Les soldats étaient aussi furieux qu’abasourdis et les masques empêchèrent les impériaux de déceler les intrus parmi leurs rangs. Le commandant Standrech, à peine arraché à son lit, beuglait ses ordres tandis que des véhicules partaient en tous sens afin de ratisser les environs. Dans ce chaos, les trois jeunes hommes n’eurent pas de mal à s’éclipser, profitant de la confusion pour s’éloigner un maximum. Une fois suffisamment loin de l’essaim furieux ils prirent quelques instants pour faire le point.

 – Ta sœur ? demanda Clovis

 – Enlevée, répondit Heres en reprenant son souffle.

 – Faut sortir d’ici. On ne peut plus rien faire, désolé…

 – Non ! Ils vont quitter la ville. Sûrement par les airs, ils se déplacent toujours comme ça.

 Sans demander l’avis de ses deux compagnons, le jeune homme fonça en direction de l’aérodrome de la base militaire qu’il avait parfaitement identifié à l’aller.

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