Chapitre 5.1 : Le poids du passé

5 minutes de lecture

 La vibrolame est encore lourde pour ses petits bras d’enfant. Son souffle est court, la peur se lit aisément dans ses yeux. Le drone ne faiblira pas. Il ne connait ni la peur de la mort, ni la brûlure de ses muscles poussés jusqu’à leurs limites. Son avantage est indéniable.

 Le sale insecte de métal virevolte en vrombissant de façon agaçante. Il va de nouveau passer à l’offensive. L’enfant reste stoïque, il n’a pas le droit à l’erreur. Il court enfin se réfugier derrière un tas de gravats. Une seconde de plus et il était mort, la balle a frôlé son épaule. Un fin filet de sang perle sur sa veste de combat, son cœur tambourine entre ses côtes et joue de la cymbale jusque dans ses tempes. L’enfant soldat sert les dents. Encore un effort !

 Le drone passe au-dessus de sa tête. Les machines jubilent-elles à l’idée de la victoire ? Aucune importance, elle a mordu à l’hameçon. Le petit guerrier bondit comme un chat furibond. D’un geste sa vibrolame tranche son ennemi alors que sa voix frêle déchaîne les enfers pour se donner du courage. Son cri de rage et de désespoir se transforme rapidement en une acclamation victorieuse. La chose de métal git devant lui, en deux, vaincue.

 La tension dans ses épaules retombe en même temps que son arme chute dans la poussière. À ses côtés une faille dans la réalité vient de s’ouvrir et en sort un grand homme en blouse grise. Ses yeux gris caché derrière de fines lunettes se posent avec fierté sur le garçon.

 – Bravo. C’était pas mal du tout.

 L’enfant ne répond pas. Il reprend son souffle difficilement sans se soucier du nouvel arrivant. Après quelques secondes, il daigne tourner la tête pour s’adresser à cet homme qui triture les hologrammes dansant sur sa tablette.

 – J’ai mal.

 – Ça va vite passer, on va te sortir de là.

 Le petit semble peu convaincu pour la réponse de cet adulte insensible à sa blessure. Il grimace tandis que ses lèvres osent formuler la même question qu’à chaque entrainement.

 – On ne peut pas discuter pour faire la paix ?

 – Tu sais que non.

 – C’est ce que vous dites tous. Mais… vous essayez vraiment ?

 La grande silhouette nonchalante se redresse de toute sa hauteur sous sa blouse. Elle pianote frénétiquement sur son jouet et dans l’instant le décor change totalement.

 Un passant manque de renverser l’enfant. Il peste en esquivant le petit et continu sa route sans ralentir la cadence, ses chaussures de ville battant le béton comme s’il leur appartenait. Sa valise intelligente le suis comme une admiratrice trop zélée, manque elle aussi de se heurter au petit soldat. De hautes flèches de verre scintillent comme l’argent, fonçant vers des cieux bleutés où tournoient des drones de transport. Les rues regorgent de vies qui s’activent dans un ballet de fourmilière. Chaque homme, chaque femme semble suivre sa propre chorégraphie incomprise et pressée.

 – New-York, année 2084, informe l’homme en blouse grise.

 Un nouveau tour de passe-passe sur son holotab, le monde change encore de visage. Le garçon se retrouve sur un parterre de cadavre pavant la grande rue. Ils sont dans un état de décomposition avancé, leurs os blanchis par le vent et les pluies acides ressortent comme les éclats du soleil sur une mer de gravats et de cendres noirâtres. Les hautes flèches d’argent tombent en décrépitude, leurs vitres brisées ne reflètent plus que la morne teinte d’un ciel bâillonnant le feu du soleil par une lourde chape de poussière.

 – New-York, année 2086.

 – Je sais tout ça, fustige le garçon.

 – Alors je ne vois pas pourquoi tu voudrais discuter. Les choses sont claires : c’est une lutte à mort.

 – Pourtant elle et des nôtres et…

 La claque résonne entre les gratte-ciels en ruine. Le petit soldat semble aussi surpris que le scientifique.

 – Nous n’avons rien à voir avec elle ! Rien !

 L’enfant frotte sa joue endolorie. Elle brûle. Presque assez pour lui faire oublier son épaule.

 – C’est trop tard, elle a choisi sa propre voie. Une voie dont on ne revient pas. On ne peut pas sauver tout le monde, tu sais. Elle doit être arrêtée, point.

 Le garçon serre le poing. Il n’échappera pas au destin qu’on a tracé pour lui.

 – Woden… Je veux pas faire la guerre.

 – Moi non plus. C’est pourquoi on va faire en sorte d’en finir rapidement.

 – C’est pas que ça. C’est… J’ai peur.

 – Peur ? De mourir ?

 L’enfant hoche timidement la tête. Il sait que tout signe de faiblesse lui est interdit. Pourtant c’est plus fort que lui. Woden soupire, son visage dessine une grimace compatissante. Il range son holotab dans sa poche et s’accroupit devant l’enfant.

 – Tu vois, c’est exactement ce qui nous sépare d’elle. Elle a choisi la facilité, de leur ressembler.

 Le drone de combat coupé en deux réapparait alors que Woden le désigne du doigt.

 – Mais toi. Toi tu éprouves des sentiments, tu vis pleinement ! C’est une route difficile, mais sans cette peur, comment ferais-tu preuve d’un tel courage ?

 Le garçon semble perplexe, mais son mentor lui sourit avec assurance.

 – T’inquiète pas, petit frère. On est tous derrière toi et on te soutient. On sait que tu y arriveras.

***

 Le géant de foudre dominait de toute sa hauteur sa première servante Fides, assise dans l’un des larges et opulents fauteuils de ses spacieux appartements privés. Elle aimait s’y blottir, y regrouper ses jambes contre sa poitrine en les enlaçant de ses bras. Cette position l’apaisait autant les bons jours que les mauvais. Ceux où ses frêles épaules d’albâtre lui suppliaient de rompre sous le poids de ses responsabilités.

 – Les soulèvements seront bientôt matés. J’ai mis mes meilleurs éléments sur le coup, lança-t-elle.

 – Tu n’as pas l’air de comprendre. Je veux que la révolte soit matée dès maintenant, riposta sèchement l’Empereur.

 Cassandre ne dit plus un mot. Elle se contenta d’observer l’émanation de son dieu, essaya de décrypter ses pensées les plus profondes.

 – Depuis combien d’années la cherchez-vous ?

 – Je ne me souviens plus… avoua l’Empereur.

 – Votre Divine Majesté, puis-je vous suggérer d’arrêter les recherches ? Votre esprit est bien plus fort que n’importe quel autre, mais je crains que cela ne vous détourne de vos responsabilités plus immédiates.

 – Tu insinues que je ne suis pas assez fort pour tout gérer à la fois ?

 – Nullement, balaya Cassandre. Mais vous avez déjà tant à faire. Des milliards d’êtres dépendent de vous.

 – Des milliards d’êtres qu’elle a le pouvoir d’annihiler.

 – Qu’elle eût, le corrigea Fides. Vous l’avez vaincu et réduite à l’impuissance. C’est du passé. Inutile de chercher à ressusciter de vieux démons.

 – Elle a toujours été tenace, rêvassa l’Empereur.

 Le géant déambula un bref instant, laissant dans son sillage quelques gerbes de foudre crépitante. Si elles n’avaient pas été holographiques, nul doute qu’elles auraient incendié les sombres et fins voilages de tissus brodés d’or, ceux qui pendaient à travers l’immense pièce à vivre. Mais il interrompit rapidement sa marche méditative, revenant se fixer face à la femme toujours recroquevillée dans son fauteuil.

 – En parlant d’être tenace, Tarkon a réussi sa mission, lui adressa-t-elle.

 – Je sais.

 Le silence s’installa, alors que l’Empereur jaugeait à son tour son interlocutrice.

 – Ce n’est pas trop difficile à supporter pour toi ? Je ne reculerai pas, mais je comprendrais que tu sois mal à l’aise. C’est une part importante de ton ancienne vie après tout.

 – Ancienne vie, comme vous le dit si bien. Je n’ai plus d’autre préoccupation que la famille des adeptes et le projet Zarathoustra fut ma plus grande erreur. Jamais nous n’aurions dû nous y impliquer aussi personnellement, ni lui donner cette direction. Je rachèterai mes fautes.

 – Bien. Je n’aurais donc pas à te forcer la main.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Morpheus "Troglodyte Ier" Scaja ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0