Chapitre 5.3 : Le caveau des hommes-machines

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 Le quadricoptère fonçait à toute vitesse au-dessus d’Éminence et dominait tous les arrondissements de son lourd vol d’acier. Tous, sauf le premier. Tranquillement, le pilote de l’appareil s’avançait avec confiance contre la falaise de fer et de béton par-dessus laquelle était implanté l’immense palais impérial. Une ouverture se dégagea parmi la muraille menaçante, s’ouvrant telle la bouche d’un monstre titanesque bayant au réveil. Elle englouti alors l’appareil qui continuait sa route, toujours droit devant lui.

 Mais dans le ventre du monstre, pas d’estomac. Plutôt la tranquille agitation d’une nouvelle ville imbriquée dans cette autre ville qu’était le Palais, lui-même posé sur la gigapole d’Éminence. Un dédale urbain et suburbain sans fin ; un monde dans un monde. Un monde lui-même imbriqué dans le cosmos ; une étourdissante vision à peine concevable d’esprit d’homme. Les lieux étaient illuminés artificiellement çà et là par une multitude d’éclairages timides, comme autant d’armés de lucioles scintillant contre les parois de cet univers. Et sur ces parois, nombres de bâtiments accrochés à elles, fondus en leur sein, formant une couche tel le lichen sur les arbres. L’ensemble entourait un vide abyssal se perdant dans des tréfonds insondables. C’est précisément la direction que prit le quadricoptère qui se laissait happer par les ténèbres dans une descente à la verticale.

 L’engin fini enfin par atteindre le fond du gouffre. Il se posa sur une piste d’atterrissage s’éclairant timidement à son approche de ses néons aux reflets jaune maladif. Le pilote coupa les moteurs. Un calme glaçant s’installa, laissa l’appareil seul dans ces étrangetés semblables aux fosses marines les plus profondes. Une bonne minute passa, et rampait vers le quadricoptère une multitude de bourdonnements timides et de cliquetis discrets se rapprochant inexorablement.

 Une nuée de technoslaves s’extirpa des ombres dans une effervescence frénétique, comme si ces derniers avaient attendus ce jour depuis des temps immémoriaux. Ils s’agglutinèrent autour de l’appareil en un essaim silencieux et inquiétant tandis que le lourd quadricoptère s’ouvrait pour laisser apparaitre sa cargaison, entourée par une impressionnante escorte martienne. Les surhommes du général Tarkon descendirent en accompagnant la cellule sur chenilles motrices dans un silence morbide. Les technoslaves s’écartaient sur leur passage, le technomancien Ajax en tête. La nuée suivit les guerriers de Mars, marchant, roulant, virevoltant dans tous leurs étranges aspects de cyborgs sans âme. Assemblages dérangeants de peau, dos et de circuit synthétique, un étrange esprit de ruche semblait animer leurs actions.

 Thalie fut prise d’une angoisse lui dévorant les tripes à la vue de ces monstruosités de chair et de métal. Son corps entier se crispa, autant sous l’effet de cet air frais comme la tombe que de ceux qui le respiraient. Ils en sortaient de tous les côtés, muets et repoussants, oppressants. Attendant tapis dans l’ombre depuis des temps incertains comme autant d’insectes grouillant sous une pierre. Sous les yeux apeurés de la jeune femme, c’est en réalité tout une ville chtonienne qui s’éveillait lentement, s’éclairant timidement de ses lueurs blafardes et cadavériques. Mais cette ville ne ressemblait que peu à celle qui se trouvait au-dessus d’eux. Celle-ci était en ruine, datant des Temps Obscurs, à n’en pas douter. Elle devait même trouver ces racines bien au-delà, car elle mêlait les architectures de différentes époques révolues.

 Elle put même apercevoir, le long d’un fleuve serpentant dans les ombres, l’un de ces temples d’une civilisation disparue ayant inspiré le monde impérial. C’était un bâtiment solide, en pierre blanche noircie par les âges, mais jouissant d’une aura étrange indescriptible, resplendissante dans ce décorum de caveau mortuaire. La structure en elle-même semblait pouvoir traverser les millénaires, mais elle avait perdu de sa superbe. Venait s’accumuler sur elle une quantité impressionnante d’échafaudages d’acier effondrés, mordus par le temps ; installés afin de reconstruire ce toit qu’un tragique évènement avait dû emporter dans la tombe. Le chantier ne fut jamais terminé, mais se dressaient toujours avec orgueil deux majestueuses tours gothiques gardant l’entrée de cet édifice dédié à une religion éteinte. L’Ancien Monde avait-il dû se décrépir avant sa rénovation, puis disparaître, emmuré et enseveli sous le monde d’après. Ne restait que la pierre finement travaillée mais noircie, cachée sous la crasse, et ses tentatives de sauvetage pour témoigner des derniers soubresauts d’un monde agonisant.

 Le groupe du général Tarkon et leur prise défilèrent ainsi dans les rues en ruine de ce monde oublié, suivit par l’angoissant cortège de ces êtres à demi humain en une procession étrange et glaçante. Non loin de l’ancien temple, un bâtiment s’érigeait. Il était de facture actuelle, bien que résolument plus simpliste dans sa conception que ceux de la surface. Quatre murs, deux étages, un toit plat, ni plus ni moins. C’était une boîte de ciment posée là dans un but bien plus pratique qu’esthétique, ne possédant pour tout artifice que d’étroites fenêtres munies de solides barreaux en guise d’ouvertures.

 Les lourdes portes blindées du monolithe s’ouvrirent en coulissant sur les côtés, laissant s’échapper une lumière crue et agressive dans laquelle le défilé s’engouffra sans plus attendre. La nuée de chair et d’acier s’évapora dans la berceuse de ses chuchoteries mécaniques et lugubres. Les ténèbres et leurs pâles lueurs laissèrent alors place à une ambiance radicalement différente. Au milieu de ce cimetière poussiéreux, un bâtiment aux murs gris et sobres, avec un sol impeccable brillant de propreté. L’intérieur de l’édifice était presque accueillant quoique impersonnel. Et sur le mur faisant face à l’imposante porte blindée, un majestueux logo d’un vert vif se dressait pour accueillir les arrivants. Un sceptre, autour duquel s’enroulait un serpent tentant d’en mordre le pommeau en forme de A.

 La lourde cage mobile entra à la suite du général Tarkon et de son technomancien martien. Un homme en blouse grise vint à leur rencontre. Il adressa un simple hochement de tête en guise de bienvenu aux deux colosses, déjà concentré sur le sujet de sa curiosité. Il s’approcha de la cage, dévisageant la jeune femme comme l’une de ces bêtes exotiques venues d’un autre monde. Ajax sorti alors une holotab de l’une des poches de sa lourde bure. Après avoir pianoté dessus, il la tendit au simple humain face à lui avec un air dédaigneux. L’homme en blouse l’attrapa puis commença à consulter les données contenues sur l’appareil.

 – Nous allons nous mettre au travail au plus vite. Mais à première vue ces données sont bien en dessous de ce à quoi nous nous attendions. Ces mesures restent anormales pour un sapiens mais…

 Le scientifique observa le général d’un œil anxieux. Il hésitait à finir sa phrase face au géant qui l’observait de haut avec sévérité.

 – Monseigneur. Êtes-vous certain d’avoir rapporté le bon spécimen ?

 – Évidemment, intervint le technomancien en se mettant en travers de son supérieur pour lui éviter de se salir les mains en châtiant ce misérable. Il n’y avait qu’elle.

 – Bien. Dans ce cas nous commenceront au plus vite.

 Thalie pleura, hurla, supplia qu’on la laisse en paix. Mais à peine une demi-heure après son entrée dans le monolithe de béton, elle se retrouvait déjà dans une étrange salle lui rappelant de façon évidente l’installation médicale de son père adoptif, en bien mieux équipée et plus complexe. On lui retira ses vêtements de force, sans ménagement. On la passa à la douche désinfectante comme un animal. Elle fut scannée, inspectée sous toutes les coutures possibles et imaginables, même les plus intimes. Et maintenant elle gisait là, allongée et sanglée sur une grande table d’inox, totalement nue alors que commençait à s’agiter autour d’elle trois hommes en blouse et leur cohorte de technoslaves médicaux. Au-delà de sa terreur, elle remarqua une chose, une seule. Ces hommes, aux visages impassibles et au jargon technique, ne rayonnaient pas de plus d’empathie que leurs créatures sans âmes.

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