Chapitre 6.2 : Désaccord

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 Confortablement installé sur son trône de fortune, il se concentra durement. Tout son corps se crispa, jusqu’à ce que le timide clapotis de l’eau ne vienne le délivre de sa charge tout en lui léchant le fondement. Le pantalon sur les chevilles il restait là, à profiter du silence. Il n’était pas vraiment pressé de rejoindre les autres couillons. Faire le planton devant l’entrée du complexe n’était pas parmi ses tâches préférées, alors autant traîner là où on ne le dérangerait pas.

 S’accordant quelques minutes supplémentaires, il tritura son holobracelet jusqu’à l’apparition de silhouettes féminines se contorsionnant de façon lascive. Des succubes aux visages angéliques. Aux iris mauves, rouges ou même félines. À la peau tatouée et arborant parfois trop d’attributs pour être naturelles, comme une seconde paire de seins ou encore un membre viril. Il faisait défiler les modèles du bout des doigts d’un air totalement détaché, ayant vu et revu le catalogue. « Le Palais de Lilith. Les démones les plus perverses de tout l’Alterworld ! », tout un programme.

 Avec flegme, il s’arrêta sur un modèle à son goût et parcouru sa description. Mais alors qu’il allait enfin poser le doigt sur le bouton de prise de rendez-vous, une violente détonation déchira la tranquillité de son entracte. Les murs frémirent et la cuvette tremblota sous ses cuisses.

 Il se leva d’un bon en attrapant son fusil, le braqua droit sur la porte de métal rouillé, celle qui le séparait du couloir menant à l’entrée du repaire. Des cris s’élevèrent ainsi que les rugissements des armes à feu de ses camarades. L’homme reconnu également le sifflement chantant si caractéristique des armes à impulsion magnétique de dernière génération. Ce fut ensuite le silence.

 Un plat morbide s’installa et le laissa dans une peur moite manquant de faire glisser son vieux fusil de ses mains tremblantes. Son holobracelet lui demandait toujours de confirmer son horaire de visite et si son pantalon avait pu parler, il lui aurait sommé de le remonter, pour plus de dignité.

 Il crut entendre des pas de l’autre côté de la porte et se tint prêt à accueillir d’une volée de plomb tout intrut tentant de pénétrer sa ridicule forteresse. Un nouveau sifflement. Un projectile venait de traverser la pièce en le transperçant de part en part sans même qu’il ne le réalise. D’un air surpris, il regarda sa tunique se gorger d’hémoglobine. Il n’avait même pas senti la balle le perforer, mais maintenant ses forces le quittaient.

 Lâchant son fusil, il s’effondra avec lourdeur sur la cuvette des toilettes, alors que la porte qui le séparait de l’extérieur tombait à terre en soulevant un nuage de poussière bétonneuse. Apparut l’intimidante silhouette écarlate d’un homme revêtant une armure d’éradicateur. Le soldat inquisitorial entra avec précaution. Constatant que le tir avait fait mouche, il laissa passer son supérieur.

 – Bonjour, bonjour ! s’exclama Naka avec un large sourire.

 Le Grand Maître de l’Inquisition rayonnait d’une magnifique aura oppressante, revêtant avec style sa longue robe de combat pourpre et carmin. Le grand protège nuque de son accoutrement lui remontait sur toute la partie antérieure du crâne et la combinaison qu’il portait sous sa robe lui prenait le cou, suivant les traits de sa mâchoire jusqu’à englober ses oreilles. Ainsi, seul son visage blafard serti de grosses cernes violacées transparaissait. Naka s’avança jusqu’au pauvre homme à l’agonie, son sourire bâtard toujours pendu aux lèvres.

 – Le bureau de Maître Ktonn je vous prie ?

 – Maître Ktonn ?

 – Votre nouveau grand chef, enfin ! Maître, Seigneur, Chef, Connard… Peut m’importe le titre que vous lui donnez. Où se trouve-t-il et à quoi ressemble-t-il ? J’aimerai l’attraper vivant, de préférence.

 – Je… J’sais pas ! paniquât le garde. Un vieux, avec une cicatrice sur la bouche.

 – Vieux avec une cicatrice sur la bouche… Ça devrait aller. Merci !

 L’inquisiteur tourna aussitôt les talons en laissant agoniser sa victime. L’éradicateur ressurgi face à l’homme se vidant de son sang, lamentablement condamné à mourir sur le trône, les fesses à l’air, et son rendez-vous dans un bordel virtuel toujours en attente de confirmation. Le soldat couleur de sang sorti tranquillement sa lame courbée. D’un geste vif et précis, il ouvrit la gorge du blessé puis sorti rapidement afin de rattraper son maître.

 Naka et la légion d’hommes qui l’accompagnait progressaient dans les pièces et couloirs de ce grand complexe tel une meute sanglante. Ils mettaient en pièce tout être vivant croisant leur chemin. En plus de ses propres éradicateurs, le grand maître s’était approprié plusieurs corps de gardes impériaux locaux. Mais aussi des inquisiteurs de rangs inférieurs et leurs propres soldats carmin, pour ceux qui étaient suffisamment haut dans la hiérarchie pour en posséder.

 La pitié ne faisait nullement partie du lexique de cette petite armée qui avançait en laissant s’épandre des flots de sang dans son sillage. Naka semblait se promener, l’air satisfait, jouant à l’occasion de son pistolet magnétique sur les mourants. Plus en avant son armé s’occupait de dératiser le complexe, s’engouffrait toujours plus profondément dans ce terrier sans fin. La balade du grand maître pris pourtant fin lorsqu’il se retrouva au pied d’une immense porte blindée que ses hommes peinaient à forcer. Naka rangea alors son arme dans son étui, croisant les bras en tapotant du pied d’un air contrarié. Mais la serrure de l’imposant obstacle put être rapidement déjouée à l’aide d’une charge perforante.

 La porte allait s’ouvrir quand Naka passa sa main à sa ceinture pour s’apercevoir qu’il avait encore oublié de se munir de son matériel. Dans ce cas précis c’était son masque respirateur qui lui faisait défaut. Il fit alors signe à l’un des inquisiteurs présents de s’approcher. Il attrapa le masque pendant à la ceinture de celui-ci avant de le congédier d’un geste de la main, oust !

 Alors que la lourde porte s’ouvrait, un épais nuage verdâtre se répandit tel une marée abominable. Tous mirent leurs casques à respirateur et leurs masques à gaz, sauf le pauvre homme dépouillé par Naka. Quant aux simples gardes impériaux présents, enrôlés dans cet assaut sans plus de préparation et d’équipement, ils tentèrent de fuir le nuage à toutes jambes. Certains ne coururent pas assez vite. Il y eu des quintes de toux, des râles d’agonie, les bruits caractéristiques de flaques de bile s’épandant à terre. Puis plus rien. Un calme morbide s’aplatit tandis que le brouillard s’élevait pour mieux s’enfuir par les aérations du complexe.

 Une fois l’épais nuage dissipé, Naka enjamba le corps sans vie de l’inquisiteur qui s’était étouffé devant lui et s’avança vers la prochaine étape de son parcours. L’endroit avait semble-t-il servi de centre de commandement duquel était géré tout le complexe, ainsi que les opérations des Arpenteurs du Vide à travers l’Empire comme dans l’Alterworld. Cependant l’endroit était désespérément vide. Ne restait qu’un spectre verdâtre et crépitant, se tenant tranquillement devant une grande table de commandement, les mains jointes dans le dos et attendant patiemment qu’entre l’inquisiteur.

 – Et bien sûr, le méchant a déjà pris la fuite. Laissant derrière lui un message narquois pour nous montrer à quel point il est le plus intelligent, théâtralisa Naka.

 – Un classique ô combien essentiel à ma propre survie, rétorqua l’hologramme de Ktonn.

 – Vous êtes un pessimiste. J’aurais largement préféré vous garder en vie. Au moins quelques jours.

 – Là est le problème. Je compte bien vivre encore un long moment. Et même vous survivre, à vous et vos laquais. Au fait, beaucoup sont morts ?

 – Moui… quelques-uns… Mais bon, c’est vous qui en avez perdu le plus aujourd’hui, et de loin !

 – Des éléments remplaçables, fustigea l’Arpenteur du Vide avec la main. Seule notre mère est unique.

 – Votre mère ? On parle bien du même fantôme d’autrefois ?

 – EVE est loin de faire partie du passé. Elle est l’avenir depuis le jour de sa création.

 – Un avenir où les êtres comme nous n’ont justement PAS d’avenir. Je serais curieux de savoir où vous autres pouvez bien vous placer dans ce dessein. C’est assez… illogique. Et malheureusement quand je réussi à converser avec l’un des vôtres en face à face il est toujours d’un profond ennuie. Soit trop zélé pour répondre, soit tout bonnement trop bargeot. Dans les deux cas je dois me résoudre à en finir rapidement.

 – Ce dessein, comme vous dites, vous dépasse. Tout simplement. Les portes du paradis ne s’ouvrent qu’à ceux capables de les percevoir et qui ont la Foi.

 – Oh pitié, on croirait entendre un Néo-C…

 – Parce que vous vous n’avez pas foi en l’Empereur vous ?

 – Si, évidemment. J’ai foi dans l’homme qui a dépassé les hommes, continua Naka d’un ton sec et sans fioritures.

 – Un homme qui dépasse les hommes reste un homme, même s’il se place au-dessus d’eux. Moi je parle de transcender la condition humaine. De la surpasser et de l’écraser !

 – Un même objectif, deux visions différentes.

 – Une de trop. Ce monde est trop petit pour nos deux maîtres. Le reste de l’Univers le sera également tôt ou tard.

 – Alors autant en finir au plus vite ! Dites-moi où vous trouver, que nous continuions cette joute philosophique en face à face !

 Le maître de toutes les tribus d’Arpenteur du Vide émit un bref soufflement nasal démontrant son amusement, bien que son visage buriné restât de marbre.

 – Votre mort, ma mort. L’histoire est en marche. Peu importe que de simples pions comme nous tombent ou non.

 – Vous allez donc me quitter comme ça, et me laisser sur ma faim ? chouina Naka.

 – Bien sûr que non ! J’ai un minimum de savoir vivre.

 – Je sais, le complexe va exploser dans cinq minutes et je dois foncer dès maintenant vers la sortie ! s’enthousiasma le grand maître.

 – Non.

 – Oh… Vous n’avez pas le sens du dramatique.

 – Bien au contraire, mon nouvel ami ! Et si je vous disais que ce que nous avons fait jusqu’ici dans l’Alterworld, nous sommes en mesure de le généraliser ?

 – Pour le coup ça, ça serait vraiment dramatique.

 La bouche balafrée de Ktonn se garni d’un sourire mauvais alors que sa main droite se levait. Il claqua des doigts. Dans la seconde, l’hologramme s’évanouit.

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