Chapitre 7.5 : L'entre de la renarde

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 Sa tête vint plonger vers l’avant et heurta le siège devant lui. Deux lignes de dents robustes mâchonnèrent grossièrement la chaire coriace de sa langue dans un craquement mouillé. Heres se redressa d’un bon, la douleur de la morsure encore un peu abêtit par le sommeil.

 – Ça va ? lui demanda Clovis, assis à côté de lui.

 Le dormeur passa deux doigts sur sa langue. Rien de vraiment grave, une légère entaille et à peine une goutte de sang en bouche. Il repassa encore son index à l’emplacement laissé vide par cette prémolaire aujourd’hui disparue. Mais Heres devait bien se rendre à l’évidence, elle était de nouveau là, fermement encrée à sa gencive. Comment ?

 – Eh, t’as pris un mauvais coup ?

 – Ça va aller, t’en fais pas.

 Heres retira son doigt de sa bouche. Il jeta un regard au rétroviseur intérieur, surprenant l’œil curieux du conducteur posé sur lui. L’homme de main de Maddax retourna aussitôt son attention sur l’horizon. À l’avant, deux discordiens n’échangeaient pas un mot. Il en était de même à la dernière rangé du véhicule où Doren et Novak se surveillaient mutuellement de discrètes œillades, chacun vissé de part et d’autre de la large banquette du tout terrain militaire.

 Dehors, rien. Mise à part une large lande recouverte par les premières neiges immaculées. Elles ne quitteraient ses terres qu’à la faveur d’un printemps clément, et encore. La Terre s’était refroidit ces derniers siècles, une histoire de cycle solaire. Du moins c’est ce qu’Harbard disait. Doren conservait toujours son étrange fusil, lové entre ses jambes.

 Le véhicule continuait sa route sur les étendues blanches. L’intérieur laissait ses occupants dans une douce fraicheur malgré le chauffage. Au dehors, les températures devenaient assassines. Ce qui restait du convoi volé à l’Empire s’aventura finalement au milieu des ruines gelées, assaillies par les rafales de l’hiver. La mort, le décor ne pouvait évoquer que cela. Un monde avait péri de cela quelques siècles. Un temps infini aux yeux d’un homme, un simple soupir aux yeux du monde. Et de ces gravas à la gloire passée, l’Ancien Monde réduit à l’état de carcasse pouvait contempler, impuissant, la course du temps se poursuivre sans lui.

 La colonne s’arrêta sur ce qui avait dû être une place. De gros flocons tombaient mollement en un lourd linceul et vinrent s’agglutiner sur les tignasses et les épaules qui s’aventuraient hors des habitacles.

 – Comment c’est possible que le climat soit si déréglé ? demanda Doren. Le temps à Munkenn était bon, et d’un coup on est tombé en plein hiver.

 – C’est le climat des grandes cités de l’Empire qui est plus clément qu’ailleurs, expliqua Novak. L’Empereur les protège des hivers trop froids.

 – Un type tout seul peut changer la température ? Tu te fous de nous, rétorqua Clovis.

 – Pas un type. Un dieu.

 Maddax coupa court à cette démonstration d’amicalité corrosive en déboulant de nulle part, emmitouflé dans un lourd manteau de fourrure rousse rapiécée digne de son statut. Sa couronnes bouffonne avait retrouvé sa place, sur cette chevelure mal peignée.

 – C’est très impressionnant mais ça, ça n’a rien de divin. Ma tête à couper que c’est le système Éole. Ou plus simplement la chaleur émise par les cités elles-mêmes.

 Le crissement de la neige accompagna les quelques pas du roi.

 – Il peut faire pleuvoir, chasser les nuages, augmenter ou baisser les températures en jouant avec les vents… Et qui sait quoi d’autres encore ? Mais ça reste un tour de passe-passe technologique. Rien de plus.

 – Tu sous-entends que l’Empereur n’est pas un dieu ? demanda Novak.

 – Précisément. Une bonne boîte à outils ne rend pas subitement divin.

 – Mais tu peux prouver ce que tu affirmes ?

 – Non. Mais au fond, qu’est-ce qu’un dieu ? Peut-être qu’il l’est, va savoir. Et puis bordel, la légende de la Croisade Artificielle. Non mais sérieux !

 Heres resta silencieux. Visiblement, l’adversité ne devait pas nécessairement être synonyme de haine aveugle. Un concept nouveau, aux limites de sa rationalité. Du reste, son « ami » Mad semblait toujours se fasciner pour ses propres questions philosophiques mal placées.

 – On dirait que tu l’aime bien finalement, gloussa Clovis. Ça c’est de la résistance !

 Maddax posa un œil dédaigneux sur le jeune homme, comme s’il le remarquait seulement.

 – J’ai bien moins d’aversion pour celui qui a protégé l’Humanité que pour ceux qui le vénère sans un gramme de cervelle, dit-il en regardant Novak avec un faux air discret et une moue essayant la compassion.

 Une femme sorti des ruines d’un large bâtiment, s’avançant dans la neige recroquevillée sous une ample cape de fourrure. Sa chevelure de feu tranchait avec le décorum blanchit, tout comme ses airs accueillants chassait son caractère maussade. Malgré l’agressivité de l’hiver, sa révérence à sa majesté fut souple et se devina gracieuse sous son gros vêtement sauvage. Maintenant qu’il y faisait attention, Heres s’aperçu qu’il faisait un froid presque polaire, que ses compagnons toujours habillés en citadins grelotaient sous les gros flocons paresseux. Seul Novak semblait plus mort et gelé que les ruines.

 Rien à voir avec la petite renarde qui se tenait face à eux. Ses grands yeux noisette et ses joues tâchées de son surplombaient un sourire solaire. Lui-même monté sur une mâchoire carrée aux fines arrêtes qui se finissaient sur un menton à la fossette marquée. Peut-être était-elle un peu plus âgée que Heres et ses compagnons. Mais la vie l’avait d’avantage chahuté.

 – Monseigneur, nous t’attendions avec impatience ! chanta une voie à la fois douce mais à la tonalité d’un mécano d’ateliers.

 – La neige… Toujours cette foutue neige ! J’ai l’impression qu’elle revient sans cesse !

 – Sans doute parce que c’est le cas, glissa-t-elle dans un sourire.

 Elle analysa l’attroupement derrière son suzerain en levant son menton troué, écarquillant les sourcils.

 – De nouveaux amis ! expliqua Maddax.

 – Tu nous raconteras au chaud.

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