Chapitre 7.6 : Liens brisés

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 Sous terre, encore. Le ciel était de béton, mais avait l’avantage de les protéger des températures. En dessous du bâtiment d’où avait surgit la rouquine, Dahlia de son prénom, se trouvait un antique entrepôt de véhicules s’enfonçant dans les tréfond du sol gelé. Un « parking » autrefois banal, aujourd’hui habité par tout une tribu s’y cachant des longs hivers. Ici comme dans les montagnes, la même méfiance envers les yeux par-delà le ciel.

 Et dans ce parking, plusieurs niveaux articulés autour de zone d’habitation, d’entrepôts, d’ateliers de fabrication, d’élevage également. Le rat se multipliait vite et facilement, apportant une source de protéine bienvenue. Les arrivants ne firent pas les fines bouches. Ils étaient déjà heureux de poser leur cul mordu par le froid hivernal sur de moelleuses couvertures et des tapis de peaux, caché de la curiosité de la tribu par les voiles de jute qui formait la hutte de Dahlia.

 – Je nous pensais presque seul, affirma Doren. Qu’il n’y avait pas autant de monde par-delà les montagnes pour s’opposer à nos ennemis.

 – Les montagnes sont particulières, lui confia Dahlia. Elles sont difficiles à dompter, mystérieuses…  Et un peu paranoïaques. L’Empire est souvent trop occupé pour vraiment faire attention à nous. Peut-être que c’est parce que nous sommes plus proche de lui que nous avons remarqué son désintérêt croissant pour nous. Le plus souvent ses hommes n’interviennent que si nous nous faisons remarquer.

 Doren hocha la tête en guise d’approbation. La théorie de Dahlia semblait tenir la route, surtout quand on savait ce qu’était devenu la puissante armée impériale. Le jeune guerrier se tourna vers ses amis. Clovis n’avait pas touché à son ragoût, gardait cet air suffisant qui l’insupportait tant. Novak ne faisait que semblant d’écouter, tandis que Heres restait dans ses brumes intérieures. Son pouce faisait pression sur sa joue, sans doute avait-il encore mal, même s’il cicatrisait à vitesse folle.

 La toile de jute s’éleva sans crier gare. Maddax entra à toute allure et aplatit son derrière sur le sol devant ces regards braqués sur lui. Il resta silencieux, un sourire niait figé sur sa face volontairement ahurie.

 – Je vous dérange ?

 – Du tout, Mon sir ! lui répondit la rouquine. Nous faisions connaissance avec Doren. Les autres ne sont pas très causants.

 – Ils retrouveront leur langue tôt ou tard. D’ailleurs, il y en a un pour qui c’est tout de suite.

 Le roi des fous frappa dans ses mains deux fois avec légèreté. Trois balourds intervinrent aussitôt, déboulèrent sous la hutte avec une l’intention évidente de s’en prendre à l’ex-lieutenant impérial. Vif comme un chat sauvage, Novak était déjà sur ses deux jambes, prêts à bondir et à laisser sa lame glisser sur leur viande.

 – Calme-toi, tempéra Mad. Tu seras bien content de les avoir pour t’empêcher de finir paralysé.

 Maddax tapota son majeur sur sa nuque. Les muscles de Novak se relâchèrent, il abaissa son couteau. Le chef des discordiens respectait sa parole. Qui l’eut cru.

 – Ça va faire mal.

 – M’en fou.

 – Quel homme ! Non mais sans déconner, on peut pas t’endormir pendant l’opération. Sinon ta puce risque de te griller. Tu vas bouffer copieux. Tu risques même d’en crever.

 Novak laissa le silence répondre pour lui. Il suivit son escorte sans plus attendre hors de la hutte. En un instant tout fut fini, le calme froid retomba aussi sec sur le petit groupe. Clovis se leva à son tour et quitta l’assemblée, sans un mot.

 – Ouah. Une franche camaraderie ! Vous êtes toujours sûrs pour Éminence ?

 – Ça ira, répondit Heres. C’est juste… un peu tendu. Ça va passer.

 Maddax n’en cru pas un mot. On pouvait le lire sur ses traits toujours plus explicites qu’un panneau de signalisation clignotant à travers la nuit.

 – Bon. Maintenant à nous deux !

 Le roi de Béton-Lac se leva et tapota sur l’épaule de Heres avec énergie.

 – Viens, j’ai un truc à te montrer.

 Ils sortirent, mais Heres échangea un regard furtif avec son dernier compagnon avant de passer devant lui. Il leur fallait retrouver leur cohésion, et vite.

*

 Clovis fila suffisamment loin pour ne plus risquer de croiser l’un de ces compagnons de voyage. Les regards curieux des membres de la tribu qui l’accueillait se posèrent sur lui, mais il s’emmura dans sa colère. Il se glissa dans l’interstices de deux cabanons de bric-à-brac. Ici, personne ne viendrait le déranger.

 Il écouta son cœur battre dans ses tempes, ressentit la chaleur se diffuser dans ses poings serrés sur son pantalon, alors que sa tête adossée au mur le tapait comme pour en laisser s’échapper ses pensées. Le jeune homme prit de grandes inspirations à rythme lent et régulier. Ses mains arrêtèrent progressivement de trembler, le reste de son corps suivit pour se détendre péniblement.

 Clovis ne supportait plus de faire emblant, rien n’allait. Son monde réduit en cendre, ses parents … Cloitré entre ces deux maisons, au fond d’une impasse, il se vit l’espace d’un instant faisant partie du monticule de corps calcinés qu’eux. Peut-être aurait-il mieux valu. Il enrageait de revoir chaque jour le visage de l’un des responsables. Comment Heres et Doren pouvaient-ils le supporter ? En avaient-ils seulement quelque chose à foutre ? Pour eux, seul Thalie comptait encore. La douce et mielleuse princesse Thalie, pour qui le monde devait s’arrêter de tourner. Pire, se sacrifier ! Tout le village, sa famille, assassiné pour la retrouver. Pourquoi ?

 Pire que tout, sa responsabilité dans cette catastrophe ne le quittait plus. Comment aurait-il pu deviner ? Doren avait peut-être raison, sans lui rien ne serait arrivé. Ou peut-être que le monstre qui les traquait aurait trouvé une autre piste ? Sans doute.

 Sa mâchoire se décontracta alors que de ses yeux ruisselaient ses premières larmes depuis la tragédie. Papa et maman, les deux seules personnes à avoir réellement cherché à le comprendre lui, le petit bizarre à la grande gueule. Papa était comme lui, chétif, pas bien dégourdi avec un outil entre les mains. Et de maman il avait hérité sa fougue. Ils étaient les seuls dans la confidence quant à ses vrais sentiments, ses tiraillements entre les autres et cette nature qu’il gardait pour lui. Il aurait aimé l’avouer à Heres, mais il était trop tard. Comment aurait-il pu lui pardonner d’être un fois de plus la cause de ses malheurs ?

 Une seule option s’offrait encore à lui : suivre le mouvement, comme d’habitude. Et attendre son heure. S’il ne pouvait revenir en arrière, au moins ferait-il payer les responsables. Faire souffrir, c’était là son dernier talent.

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