Chapitre 8.6 : Eve

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 Les chirurgiens et leurs assistants dénaturés grouillaient autour du corps inanimé de la jeune femme dans une chorégraphie froide, mécanique et implacablement technique. Cette vision était des plus troublante pour Thalie, qui assistait à sa propre boucherie cérébrale, hors d’elle-même. À ses côtés se trouvait la mystérieuse apparition de la veille.

 – Je t’avais dit que je t’aiderai.

 – Comment c’est possible ?

 – Ton esprit est le royaume à envahir, la pièce maîtresse du jeu. Tu dois leur résister !

 – Je ne comprends pas.

 – Regarde.

 Le rat de laboratoire fait femme leva la main, se concentrant sur la nuée devant elles. Les appareils sophistiqués des tortionnaires déraillèrent, au point de perturber la savante danse des technoslaves environnants. Elle abaissa la main, les machineries reprirent leur rythme maussade. L’un des hommes masqués quitta son poste et s’avança dans la direction des deux jeunes femmes comme prit d’une intuition. Il se campa face à elles, ne dévisageant que le vide derrière ses grosses lunettes teintées.

 – Ce ne sont que des pions et toi, tu es une reine. Il te suffit de faire régner ta volonté.

 – Ça semble si simple quand tu le dis.

 – Parce que ça l’est, répondit-elle sèchement à Thalie. Tu dois t’endurcir et croire en tes capacités. Tu es bien plus dangereuse que tous ces insectes repoussants…

 Thalie hésita. Était-ce la suite d’un cauchemar duquel elle réussirait à s’extirper un jour ? Elle avait arrêté de chercher un sens aux événements dont elle était victime et leva simplement la main vers son double, allongé sur la table d’opération, le crâne ouvert.

 La main du virtuose en blouse trembla, si bien qu’il retint son coup de scalpel. Assaillit d’un profond malaise, il posa son instrument à ses côtés. Il s’appuya sur la table d’inox le temps de reprendre son souffle. Son assistant principal le questionna, mais la douleur dans sa poitrine s’intensifiait. Son cœur battait lourdement, et son dos se trempait de sueur. Un sentiment d’oppression germa dans son esprit. L’instant d’après, il s’effondra.

 – Tu apprends si vite !

 – J’ai tué un homme.

 – Qu’importe ! Ce monstre méritait un sort moins doux que la mort. Tu ne crois pas que le monde se portera mieux sans cette ordure ?

 – Si. Sans doute.

 – Alors pourquoi ce sentiment de culpabilité ?

 – Parce que… c’est le premier ?

 – Beaucoup d’autres suivront. Mais ça sera mérité.

 Thalie observait les assistants de son tortionnaire en chef s’agiter pour le sauver, mais en vain. Au milieu de sa culpabilité émergea un sentiment grisant, jubilatoire. Pour la première fois de sa vie, elle était puissante. Elle n’avait pas besoin de son frère ou de son père pour la protéger. Thalie se remémora ses sombres pensées de la nuit. Comme elle l’avait pressenti, elle était morte sur cette table d’opération ; mais pas de la manière à laquelle elle s’attendait. Il s’agissait plutôt d’une renaissance, d’un nouvel espoir qu’elle devait à sa nouvelle amie.

 – Tu ne m’as pas toujours pas dit ton nom, releva la jeune femme.

 Les monstres m’appellent Eve.

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