Chapitre 2.1 : Comme un loup en cage 2/2

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 Le jeune chasseur progressa sans un bruit à travers les bois durant deux bonnes heures. Après avoir pu profiter de sa bouffée d’air pur dans le silence des grandes forêts de conifères, il se chercha un endroit où s’établir pour la nuit tout en étant sûr de pouvoir apercevoir du gibier. Pour se faire il rejoignit le lit d’un petit torrent qui coulait non loin du fond de la vallée et le longea. En le suivant il pourrait sans doute surprendre un ou deux animaux, venus s’abreuver au coucher du soleil. Ou peut-être aux premières lueurs du jour suivant.

 Une fois le coin idéal trouvé, il enverrait un message à ses deux compagnons de chasse pour qu’ils le rejoignent. Mais pas avant, car il espérait profiter de son répit le plus longuement possible, savourant chaque instant de liberté avant de longs mois de mornes hibernations. Quoiqu’hibernation n’était pas vraiment le terme adéquat. Car si la nature hibernerait, lui ne connaitrait pas le repos, seulement la réclusion. Il passerait en effet l’hiver à aider aux tâches ingrates dans le fond des galeries de mine avec « les siens », pour en extraire le précieux charbon indispensable à la survie du village.

 Soudain, il marqua l’arrêt comme l’aurait fait un limier dressé. A une centaine de mètres en avant, dans une petite zone dégagée baignant dans la douceur du soleil de fin d’automne, un chevreuil paissait tranquillement sur un sol que les premières neiges trop fines ne parvenaient pas à soumettre. Heres tenta de s’approcher d’un peu plus près, ne quittant pas sa proie de ses yeux plus perçants que ceux d’un faucon. Avec la discrétion d’un spectre dans la brume, il se plaça derrière un arbre abattu, puis cala doucement son fusil. Lentement, il se prépara, rejouant méthodiquement une scène qu’il avait déjà effectué des dizaines de fois.

 Les hommes du village lui avaient appris à tenir un fusil dès le plus jeune âge et il les avait dépassés depuis bien longtemps dans ce domaine. À dire vrai, il les avait même surclassés dans tous ceux qui faisaient les bons chasseurs ou les grands guerriers. Un corps athlétique, agile, et des instincts de fauves associés à une grande vivacité d’esprit avaient fait de lui un jeune homme dont on ne savait plus se passer pour les sorties en surface.

 Et pourtant, Harbard avait aussi refusé catégoriquement qu’on le laisse servir comme guerrier, ou même simple éclaireur. Heres se souvenait même avoir surpris une discussion entre le chef du village et son père adoptif menaçant de fermer sa clinique si cela devait arriver. Il pouvait déjà s’estimer heureux de pouvoir mettre le nez dehors pour aller chasser sans que Harbard ne lui barre le chemin, encore plus particulièrement aujourd’hui. En fait, le jour où le jeune chasseur demanda à son père s’il pouvait déménager pour aller vivre sa vie au village de surface de La Motte avec Thalie, il crut que le médecin allait faire une attaque. Cette demande le plongea dans un mélange de détresse, d’anxiété et même de colère inexplicable. Avec du recul, Harbard avait peut-être bien fait de les empêcher de partir pour ce village, songea-t-il. Car sans cela ils auraient sans doute été tués dans l’attaque de la veille, eux aussi.

 Sous ses airs détachés, Harbard avait en réalité la nature étouffante de trois mères poules ; chose dont le jeune homme espérait réussir à se débarrasser prochainement. Cette attitude envenimait fréquemment les relations familiales et au printemps, Heres partirait. Sans explications ni négociations. Il s’y résolvait depuis quelques semaines déjà et attendrait le bon moment pour agir. Malheureusement, il ne lui restait plus que cette solution pour ne pas sombrer dans une haine aveugle à l’égard de Harbard qui avait pourtant tout fait pour lui à la mort de leurs parents. Cependant il se refusait à partir sans sa sœur. Mais l’heure n’était pas aux pensées parasites. Le jeune homme vida son esprit tout en ajustant la lunette de fortune juchée sur son fusil.

 À l’autre bout de son canon, la bête continuait paisiblement son repas. Un spécimen d’exception, aussi fort que majestueux. Sa ramure convenait parfaitement à ce petit seigneur des bois qui la portait telle une couronne avec un panache princier. Heres aurait pu l’abattre des dizaines de fois, mais n’en fit rien. Il se contenta d’observer ce prince avec admiration durant de longue minutes, contemplant sa majesté animale. Quand subitement, la bête sembla comme frappée d’un éclair prémonitoire. Elle releva sa tête couronnée avec une dignité anxieuse, tout en observant dans la direction du jeune chasseur. Ils s’observèrent une fraction de seconde, mais lorsque le chevreuil prit l’initiative de bouger il était déjà trop tard. La balle vint se loger dans sa chair et lui éclata le cœur. Lorsque Heres arriva sur place, il était déjà mort.

 Il se plaça au-dessus de sa proie, la contemplant d’un œil admiratif. Une très belle prise pour un très beau tir. Le prince cornu s’était rapidement assoupi. Son esprit avait déjà rejoint la terre dans laquelle ses os le suivraient sous peu, comme le voulait le Grand Cycle. Le jeune homme posa son fusil à ses côtés avant de sortir un grand couteau de chasse à la lame effilée de sous son manteau. Il prit alors quelques secondes, les yeux fermés pour adresser une pensée à l’animal qu’il venait d’abattre, la main posée sur son pelage que la chaleur de la vie commençait déjà à quitter. Il le remercia avec joie et humilité comme on remerciait un valeureux adversaire après un combat. Peut-être même avec une pointe de compassion pour sa défaite.

 Après ce bref moment de recueillement, Heres laissa glisser la pointe de son couteau sur l’abdomen de sa proie afin d’entamer la prochaine étape. Tout en commençant à vider l’animal, le vainqueur de la rencontre eu une pensée pour sa petite sœur. Ses efforts du jour seraient récompensés par son sourire, mais aussi par le festin qu’elle préparerait grâce à cette viande.

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