Chapitre 7.2 : La dernière croisade

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 Les flocons ardents couvrent la lande désolée jusqu’à perte de vue. Les arbres dénudés semblent se contorsionner de douleur. Toute la forêt effectue un ballet macabre sous un ciel de plomb, encrassé par une suie colporteuse de mort. Il a déjà vu cet enfer, mais les simulations n’ont en rien cette dimension tragique que seul le réel sait vous jeter en pleine gueule. La décrépitude de ce paysage ne s’effacerait pas d’un claquement de doigt, le désespoir s’insinuerait toujours plus profondément dans son cœur.

 Son escouade avance à travers la cendre et les os depuis des jours. Lui et les siens font comme si la vue de tant d’horreur sur leur parcours ne les atteignait pas. Ils mentent, et ils savent qu’ils se mentent. D’ailleurs, peu s’imaginent rentrer de leur périple. La moitié a déjà périt, repérée et exterminée par un essaim tueur. Les autres ont laissé faire, intervenir aurait révélé leur présence. Leur avancé devait demeurer secrète pour l’ennemi. Malgré les hurlements, les supplications, personne ne bougea. Yeux fermés, oreilles bouchées, ils supplièrent eux aussi pour que la besogne des drones soit vite achevée. Lui seul regarda la scène avec détermination. Il n’oublierait pas un seul de leur visage, pas une seconde de leur souffrance. Leur sacrifice les feraient entrer au panthéon des héros. Encore fallait-il quelqu’un pour se souvenir d’eux. Cela sera son fardeau, il est né pour le porter.

 Le ciel gronde. L’orage ne se fait pas connaître. Les bruits proviennent de ces transporteurs lourds qui sillonnent les cieux noirs. Pas de pilotes organiques à la vision trop limitée pour les manœuvrer, les machines se passent de sens si primitifs. Avant sa naissance, lorsque les races tentaient de s’exterminer, au moins jouaient-elles sur un semblant de pied d’égalité. Le fusil d’assaut contre la bombe, l’arme bactériologique face au missile intercontinental, le nombre écrasant opposé à la tactique ; un semblant d’équilibre de la destruction, presque de bonne guerre. Face à ce nouvel ennemi, ce qui restait de l’Homme et de ses luttes était bien risible.

 Elle avait aidé ses maîtres dans leur entreprise, créée des armes sans pareilles, décimé des dizaines de millions. Puis elle continua sa purge, contre les maîtres ensuite, puis tous les autres. Au moins avait-elle réussi l’exploit d’arrêter la Guerre des Races. Ses soldats à elle ne souffrait d’aucun repos, aucune pitié ni compromission avec l’ennemi. Les Synthétiques et leur croisade contre les inférieurs ne laisseraient rien de l’ancienne espèce. Fin de partie pour Sapiens. Il reste cependant une dernière carte à abattre au singe sans poil, l’ultime balle en argent à loger dans le cœur du monstre qu’il a créé. Encore faut-il s’en approcher suffisamment près.

 Il est né pour cette mission. Tous les hommes qui l’accompagnent ne sont là que pour lui laisser l’occasion d’accomplir sa destinée. Son mentor ne lui en a jamais fait le secret : lui-même n’est pas un sapiens. Il est autre chose, un synthétique, une créature née de l’ingéniosité de l’Homme pour le codage du vivant. Un être organique, mais totalement conçu et programmé comme une machine, son évolution qui vient boucler une boucle qui n’aurait peut-être pas dû être ouverte.

 Le guerrier est né pour la détruire, c’est son unique raison d’être. Et pourtant, il appréhende le combat. Non, pire que ça. Il est terrifié.

 Les nuages de charbon se mettent à pleurer un sang acide, comme pour lui rappeler que les organiques ne sont pas les bienvenus sur ces terres. Il ordonne à ses troupes de revêtir leurs protections, le chemin sera encore long.

*

 Hier, Alexandre est mort. Irremplaçable. C’est le terme qui le qualifiait le mieux. Le chef de guerre a secrètement laissé quelques larmes fuir de ses yeux, quand personne ne pouvait les voir. Il n’a pas le droit de montrer ses failles, le mental des autres en dépend.

 L’antre de la bête est proche. C’est sa dernière demeure, son ultime refuge. Tout échappatoire lui a été enlevé. Il a fallu des années afin d’éliminer toute retraite potentielle. Si l’esprit de leur ennemi peut voyager à travers le Réseau et ses méandres, il lui faut impérativement un point d’encrage, et il se trouve presque à portée de main. Tous les autres corps qu’elle aurait pût utiliser ont été détruit, les sapiens y ont veillé, méthodiquement.

 Son cœur le serre, tape jusque dans ses oreilles. Il ne mange plus depuis des jours. L’affrontement lui fait peur, mais l’après le terrorise. Quel avenir après ça ? La Terre est déjà brisée, l’espoir envolé. Cette croisade sera la dernière.

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