A la recherche de l'Amour perdu

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Leurs yeux étaient fixés sur moi.

Je sentais leurs regards sur ma peau ,Je cherchais celui de mon Gérald tant aimé, je rencontrais la petite silhouette de Maximilien s'agitant dans mon champ de vision.Il m'envoyait des bisous de sa main,que se passait-il dans sa petite tête?Le temps s'arrêtait,marche d'automate,j'avançais dans la file d'inconnus.

"C'est bien l'avion qui part pour La Réunion?"question saugrenue,c'est le seul qui décolle si tard de Blagnac. Une Maman,son bébé dans les bras me répond étonnée:"Il n'y en a pas d'autres c'est le dernier!"

A travers les vitres du couloir qui me menait à l'avion,je cherchais une dernière fois les yeux bleus de Gérald,je ne le trouvais pas.Une fois installée,quarante cinq minutes d'attente pour le décollage! Je me sentais délivrée d'avoir pris une décision, et si c'était une erreur? Je le verrais bien. Je fermais les yeux quand l'avion s'arrachait de la terre. Je sentais une boule au creux de l'estomac,çà y est je suis dans les airs. Mes larmes coulent, des émotions diverses m'assaillent.C'est définitif et sans appel: je vais revoir mon île. Ces heures de vol ont été jalonnées de larmes de joie,de tristesse , de désespoir parfois,avec l'unique certitude de ne plus jamais revoir les gens que j'aimais. Ma pensée flotte parfois entre réel et la conscience de vivre un rêve longtemps attendu:"Vingt-quatre ans que je rêve de ce moment et maintenant c'est là,présent,tout mon être ,par tous les pores se laisse envahir,assaillir,habiter sans les retenir ces émotions,ces sensations! tourbillons de visages,de paroles,mots qui reviennent et forment une farandole, le goût de ses lèvres sur ma bouche,je sublime cet instant.Souvenir de serrer mon fils dans mes bras "une dernière fois"étreinte d'une mère se tournant vers son destin de femme. J'ai posé en acte une souffrance intolérable, un amour impossible,une solitude,désir irréalisable pour un homme qui ne m'appartient plus. Mon rêve de vivre auprès de lui s'est brisé,comme une vague sur des rochers. Aucun ressac. Pourquoi? mes interrogations sont nombreuses et restent sans réponses. Où est la clé pour m'ouvrir les portes du chemin qui me mènent à son coeur?

Je m'égare, mes larmes coulent en silence quand le steward me demande gentiment d'abaisser ma tablette devant salade verte,fromage et vin rouge,poulet et purée, je mange pour faire comme mes voisins, l'appétit n'y est pas, je ne me souviens plus du goût. Repas insipide ,j'ai d'autres préoccupations que de me nourrir.

Après le service restauration, vient la soirée cinéma:"Le cousin" avec Patrick T ,film violent où à côté une mère cache les yeux de sa fille quand le sang coule sur l'écran. Je fais le vide dans ma tête, mes paupières se ferment, je retrouve le vide du noir sommeil,quelques minutes.Je ne trouve pas de position confortable, mes jambes sont engourdies et je ne puis les étendre. Au petit matin, les passagers commencent à bouger et se lever pour aller aux toilettes. De temps en temps un passager soulève le rideau et une lumière éblouissante jaillit en faisceau lumineux dans l'avion troublant la pénombre artificielle. Les hôtesses s'activent et nous servent le petit déjeuner, elles sont fraîches comme des roses et leurs sourires calqués sur leurs visages nous réveillent davantage.

L'arrivée: le commandant l'annonce d'une voix morne,fatigué de le répéter,le récitant presque.Les conversations s'arrêtent. Une vidéo des endroits de l'île à visiter nous tient en haleine, puis un vent d'excitation, d'étonnement traverse l'appareil à l'annonce de la température "trente-six degrés!" A l'atterrissage et l'immobilisation de l'appareil, je bondis dans l'allée, je suis la première devant l'écoutille,attendant l'ouverture de la porte. Enfin elle s'ouvre, la chaleur et le soleil envahissent le palier, je suis dehors, un voile de chaleur me suffoque, j'ai du mal à respirer,mon coeur cogne dans ma poitrine. Emotions pures, impossible à décrire. Je descend les marches machinalement. Une rangée de policiers m'indique la route à suivre. Je me sens robot; je suis le mouvement des passagers et montre mon passeport avant d'arriver à la salle des bagages. Derrières de grandes baies vitrées, des visages inconnus nous observent,je panique quelques instants pour une banale pièce de dix francs pour le chariot. Je m'allume une cigarette pour me poser, me calmer(cela fait onze heures que je n'ai pas fumé),au fond de mon sac à main je trouve de quoi débloquer l'un de ces maudit charriots pour récupérer mes bagages: toute ma vie est là : mes effets personnels. Je me sens seule à cet instant, seule mais tellement grande, j'ai fait un grand voyage et je ne m'en croyais pas capable. Je traîne tous mes bagages et franchis la douane sous l'oeil goguenard des douaniers. Je comprend pourquoi: je suis habillée à la française: pantalon, chemisier à manches longues, veste que je quitte rapidement et encore!,ils ne savent pas que sous mon pantalon j'ai des collants, je sue à grosses gouttes quand je capte le regard de ma mère, à ses côtés un homme que je reconnais entre mille: Le père P:mon père,que je crois toujours mon père. Elle fend la foule de son pas lourd et me cueille dans ses bras en pleurant. Je pleure avec elle , j'ai atteint un but, je ne sais lequel encore. Le corps de ma mère contre le mien me pèse, j'étouffe(en plus de la chaleur) je me sens engluée dans une robe de chair collante, humide et dégoutante. Je capte le regard de Père P au dessus de son épaule et je me retrouve dans un mouvement impulsif dans ses bras:"Ma petite fille chérie, c'est toi Myléne? comme tu es belle! c'est toi ma fille?"ses petits yeux noirs me dévisagent cherchant je ne sais trop quoi. Il me serre dans ses bras et là au creux de son épaule, j'ai l'impression d'être arrivée à bon port. La présence à ses côtés d'une jolie femme noire aux yeux de braise attire mon regard, il s'écarte:" je te présente Nathalie" C'est presque ma fille" me dit ma mère."elle m'appelle Maman Blanche. En sortant de l'aéroport j'appelais Gérald cela faisait onze heures que je ne l'avais entendu, il y avait la messagerie. J'allumais une autre cigarette avant de monter en voiture. " Nous allons à Bras-Panon, chez moi à la cure. Des senteurs moites me parvenaient de la vitre ouverte. Paysages inconnus et pourtant reconnus, ma mémoire revenait par vague, qui une odeur,un arbre en fleurs, des fruits en guirlandes,et j'écoutais le Père me faire les louanges de notre île, avec son accent qui me berçait dans un chant déjà connu. Arrivés chez lui, sa maison était derrière l'église, entourée d'un magnifique jardin fleuri,parfaitement entretenu. J'avais envie de marcher pieds nus, pour retrouver le contact de ce sol qui était le mien, ma terre natale.

Les jours ont passé, nous avons voyagé dans mon île, j'ai revu ma famille, leur maison tout en haut des collines, signes évidents de réussite. Ils avaient laissé la ville à la basse couche de la société. Tout me paraissait petit , sale, seule les couleurs me dépaysaient, le bleu me paraissait plus fort ,plus puissant. Les montagnes se découpaient au loin, plus menaçantes presque oppressantes. Ile naïve,je me sentais enfermée, prisonnière. Les fruits étaient abondants, mais les gens passaient sans les voir,zombies dirigés,manipulés, la nuit ne pouvait qu'être dangereuse. Leur agressivité le jour, leur violence éteinte sous des cendres de difficulté à survivre dans la misère. La nuit , des échos lointains de bagarres allumées par l'alcool, d'ivrognes se disputant la bouteille, chaleur moite. Et dans ces montagnes si prés de la mer, le silence: pas âme qui vive. Et ma solitude se ravive de jour en jour. Rues traversées dans les villes bigarrées, tout le monde se côtoie, s'interpelle dans une langue chantante, voix aiguës transperçant mon âme pour ne plus me sentir animale. Les jours passent et je découvre des gens qui se battent pour une autonomie plus large, La France aux dires de certains ne reconnait pas La Réunion avec une identité propre, elle maintient l'île sous une chape de silence; les postes clés étaient occupés par des "zoreilles", on prenait les réunionnais pour des sous-développés. Ces problèmes me semblaient tellement graves pour le respect de ses habitants que je me rends compte de ma situation privilégiée d'avoir vécu en France. Le créole vit en autarcie et avec une mentalité très fermée ,vieille de cinquante ans en arrière ,avec quelques voix qui s'indignent de la situation, mais peut-être vite tues par la chaleur tropicale et la misère quotidienne qui allait de soi parce qu'ils ne connaissent pas autre chose ou parce que l'Afrique du Sud et Mandela n'étaient pas bien loin. «La différence c'est La France!» on en parle comme d'une Amérique lointaine et terre promise,on y croit et cela fait rêver. Parenthèse ressentie au travers de mes rencontres là-bas. Je portais cette histoire en moi sans le savoir. Mes quinze premières années s'étaient construites avec cela. Je comprenais mieux ma répulsion face au racisme;à l'exclusion; à la souffrance quelle quelle soit. Au silence des injustices de proximité, celles du quotidien, qu'on ne parle pas parce que banales, minimisées, parce que tout le monde la vivait cette violence et qu'on  avait tendance à penser qu'il y avait pire, et qu'après tout "on" était pas si mal que cela par rapport à quoi? à qui?

C'est brouillon ce que je dis et je n'avais qu'effleuré le problème réunionnais ,le livre de Père P "Quel diable de prêtre" le traite en profondeur avec un brin de révolte. Comment ne pas l'être? Comment ne pas dénoncer et la parler?

Je voyageais dans toute l'île, je retrouvais une amie d'enfance: Marie-France, secrétaire médicale, elle portait sur elle une sophistication qui reniait un petit peu sa nombreuse famille et les souvenirs de partie de "riz chauffé" mangée à même la marmite avec la main. Je montais au Tampon où la fraicheur et la pluie me surprirent au détour de la rencontre de la famille de ma "nounou" Madame Damour, son nom même indiquait ce que j'avais reçu de plus précieux dans mon enfance. Sa famille était dans la même petite maison, dans le même grand tournant de la route. Je retrouvais les mêmes yeux bleus chez sa soeur ! le même étonnement et plaisir à me rencontrer, moi la petite fille devenue adulte qui avait tant compté dans la vie de sa soeur. Elle se rappelait de ce coup de fil reçu de la France pour me confirmer le décès de sa soeur. Elle se rappelait mes sanglots à l'autre bout du fil, ne sachant que dire pour me consoler.

Je voulais revoir la maison de mon enfance, je voulais feuilleter les albums de la famille, je voulais des photos, je voulais qu'elle me parle de sa soeur, la faire revivre une dernière fois, ce qu'avait pensé celle qui m'avait élevé. Mon impatience fébrile à tout savoir ,tout voir ou revoir. Racontes-moi, dis-moi comment, pourquoi? , et je pleurais:"Il ne faut pas pleurer, tu ne la laisses pas se reposer en paix!". Ces mots ne faisaient que redoubler ma peine. Je pleurais sur celle qui avait été ma mère pendant quatorze ans. Je sanglotais sur ce passé qui me rattrapait, qui me faisait mal ,sur ce deuil, cette porte à refermer. J'étais venue et visitais la maison de mon enfance, mes larmes coulaient confirmant le but de ma visite, je ne les essuyais pas: elles m'étaient salvatrices, elles chassaient le doute, la maison vide remplissait ma certitude qu'elle avait vraiment disparue, emportant avec elle mes souvenirs d'enfance, mon histoire, ses vieilles chansons et vieux contes terrifiants, la chaleur du feu de sa cuisine au bois, l'odeur du café grillé et sa viande boucané, l'arôme des oeillets rouges cueillis pour les vendre au marché. Et la treille de raisin n'était plus là, ni l'odeur de la cire qu'elle mettait sur son parquet. Et enfin cette dernière vision d'une vieille dame qui m'avait serré dans ses bras sentant bon le savon. Ce jour-là le vent avait fait voler son chapeau de paille découvrant une chevelure grise par les ans. Elle avait son sourire dans les yeux et de la tristesse aussi que je n'avais pas capté, toute excitée à l'idée de prendre l'avion. Non ces souvenirs n'avaient pas disparus, ils étaient là en moi, remontant à chaque pas, me délivrant du chagrin emmagasiné pendant toutes ces années d'absence. Je la faisais revivre à chaque pièce que je franchissais,au travers chaque regard posé sur toutes les choses qui faisaient le lieu. Sa soeur et ma mère papotaient, indifférentes, ignorantes de ce que je vivais de l'intérieur. Brouhaha de conversations qui m'indignait et m'agaçait, comme ces gens qui parlent forts dans une église ne respectant pas le recueillement qu'exigeait l'endroit. Emotions pures, douloureuses, je retrouvais le perron, le jardin entourant la maison me paraissait petit, abandonné. La pluie faisait jaillir les couleurs, lavant les feuilles vernissées des plantes. Lavant aussi ma peine, mes larmes ne se voyaient plus dehors. Une fraîche odeur de terre mouillée remontait du sol. Une main se posait sur mon épaule, je fermais les yeux, l'interruption me ramenait dans la réalité douloureuse d'être vivante, d'être obligée de reparler, communiquer. Nathalie me demanda doucement:"Veux-tu que je prenne des photos?" Sa voix se frayait un passage au travers mes émotions, et, comme un réveil que l'on remonte à l'aide d'une clé, je me remis à fonctionner, à me sentir, à capter les sensations extérieures. J'acquiesçais sans paroles .

La date du départ approchait. Je reprenais l'avion sans regrets, avec la certitude que mon île m'attendrait. Que ma vie était à présent en France,la sureté que je reviendrai me faisait regarder devant, l'avenir,des projets pleins la tête, professionnels avant tout: acquérir des diplômes pour aider les gens de mon île. Faire des formations pour me protéger et repartir là-bas pour soulager, aider, la misère peut-elle être plus supportable au soleil? a-t-elle une couleur différente? l'éclat du soleil est-il si fort qu'on ne la voit plus? Les lunettes de soleil des riches touristes occultaient-elles les gens qui ne voyaient plus que l'obscurité au bout du chemin?

"C'est dans l'absence de l'être aimé que je me construis": le manque de qui? des hommes et des femmes qui ont étrennés ma vie? Dans chaque être que j'ai rencontré, à la recherche de qui étais-je? mon père?, ma mère? Inconsciemment, et pourquoi pas? Ne me suis-je pas construite dans ce modèle absent qu'était mon père? Quel chemin m'avait-il offert? Comment faire autrement? Aimer et désirer rencontrer l'être absent, l'indifférence existait-elle?

Les mots ne restent que des représentations de ce que l'on a vécu, engrangé pendant de longues années. Temps perdu ou à jamais renouvelé, reconquis dans le leurre ou sublimé dans la répétition? En exergue de ma franchise me restent les heures grises du temps qui s'épuise, il n'est point perdu. J'en retire un savoir vivre, pour au final savoir mourir.

Mourir d'avoir trop aimé, mal aimé. La pluie fine me met en exil de ne plus jamais prononcer le verbe"aimer", la course à l'amour ou s'oublier dans l'autre? mourir pour l'autre.

Est-ce dans le pouvoir qu'on oublie d'aimer? Est-ce dans le savoir qu'on affirme son identité? N'est-il pas vénérer l'être humain que de le laisser choisir sa vie? Est-ce oublier de s'aimer que de respecter l'autre dans ses désirs et ses folies? la connaitre est ne pas faire l'autruche, regarder, s'étonner c'est ne pas oublier. Vivre dans l'attente de l'autre en sachant qu'il existe, qu'il n'a pas disparu, n'est-ce pas se donner un sens à la vie? certes un petit sens mais quand même. Savoir vivre parce qu'il existe, c'est aimer au delà des mots puisqu'on ne s'entend plus, au delà du temps et de la raison. Frontière invisible,impalpable de la folie. Se créer sa propre réalité est-ce nier sa vie? si pauvre et misérable soit-elle l'homme n'a-t-il pas cette terrible liberté de penser, de rêver?"terrible" car c'est dans la souffrance de son être qu'il l'exprime le mieux.

L'accompagnement de mon père a été douloureux, j'ai senti en moi une véritable cassure de ce vécu, il est parti et ses derniers mots a été:" j'ai passé une bonne journée". Et maintenant, ironiquement, je lutte pour passer de bonnes journées. Chaque jour finissant, j'engrange des petits riens qui puissent me faire tenir. Lutter me devient douloureux. Image de sa déchéance, image de ses pleurs, de ses interminables interrogations sur ce que sera l'au-delà. Toujours répondre, toujours rassurer, l'amener à accepter l'inexorable. Il avait des choses à régler avec moi. Chaque mot lâché aurait dû être un adieu, mais je le retrouvais au moment où il s'en allait, je ne voulais pas lui lâcher la main. Cette main qui était bien leste quand je le bravais de mon regard, quand d'une crispation de sa mâchoire il me demandait de baisser les yeux. Quand dans un brouillard j'entendais la voix de ma mère: "Myléne , tu le sais ,baisses les yeux", alors il se levait, se tenait à la table d'une main et de l'autre dégrafait son ceinturon ,je ne baissais pas les yeux et les coups pleuvaient, ma mère se réfugiait dans la chambre pour ne pas entendre mes cris m'a t-elle dit plus tard. Il me frappait dans ses vapeurs d'alcool, il reprochait à ma mère de lui acheter de l'alcool , alors, il buvait, il faisait ce que sa femme voulait. Mon père me touchait bien plus profondément maintenant , dans cette trêve, mes bleus à l'âme seront bien plus douloureux à guérir.

Ensuite adulte on met un comportement masochiste en place, plus j'ai mal moralement, plus je me sens exister, et si tout va bien, ce n'est pas normal, je ne le mérite pas, je fais tout pour que cela aille mal, tout ce qui peut arriver de bien dans ma vie n'est pas mérité, je n'y crois pas . Je suis torturée à l'idée que c'est faux, factice et que cela ne va pas durer. Je me suis rendue compte, en un éclair, qu'après la vie, il y avait la mort, voile déchiré sur une réalité effrayante, sa disparition m'a entrainé aux confins de la souffrance. Comment lier , relier ceux qui nous sont chers, comment ne pas les aimer dans l'éternité? Que me restera t-il, que me reste-t-il de mettre des enfants au monde et qu'ils meurent après? quel sens cela a ? Colère immense contre moi-même, contre l'ironie de la vie. Fallait-il que je sois malade pour faire trois enfants et les faire souffrir en disparaissant? N'est-ce pas les leurrer tout petit déjà de leur faire croire que nous sommes grands, forts et beaux alors que nous nous sentons infiniment petits? Comment rester mère quand je sais ce qui les attend plus tard? Leur ai-je donné assez de bagages,de caractère, de force pour affronter et leur donner le goût de vivre, de créer pour eux-mêmes. J'ai fait mes enfants avec un père choisi et aimé, que j'ai appris à aimer mais toujours dans la compulsion, la répétition de ma propre histoire, je recherchais un père en chacun des deux. Et quand j'avais touché leur fibre paternelle pour le second, je mettais en place la destruction de ce que j'avais patiemment bâti. Il m'a fallu dix sept ans, la mort de celle qui m'a élevé: Madame Damour, la mort de mon père(mon beau-père), une résidente de mon travail (Brigitte). Travailler a contribué à ce que je laisse tout, emportant avec moi deux valises, des verres bleus de mon père et mon amour d'adulte pour Gérald. L'aéroport, mes deux valises à mes pieds, premier numéro de téléphone à composer, celui tant aimé. Réponse: «Système D ma vieille, la maison où nous habitions a brulé, désolé pour toi, mais je ne peux plus rien pour toi". Je raccrochais ébahie, l'homme que j'aimais et qui occupait toutes mes pensées jour et nuit me rejetait, m'abandonnait. Je composais le numéro d'une amie créole qui m'hébergeait aussitôt, elle me laissait sa chambre. Je restais une semaine car l'endroit était un quartier chaud de Toulouse et un matin, avant de partir au travail, je retrouvais ma voiture pillée, cassée, vandalisée. La seule personne qui savait où j'étais c'était le père de mes enfants , je manquais pas de le lui reprocher en lui disant que si je n'avais plus de travail, je ne pourrais plus payer la pension alimentaire pour les enfants(il me faisait payer 2000 francs pour les trois, en attendant le divorce). Denise mon amie créole habitait au dixième étage et j'avais de plus en plus envie de me jeter en bas de l'immeuble, aussi je décidais de demander à une autre amie de m'héberger dans le village de mon travail. Avec regret, elle m'accordais un coin du grand lit de sa petite fille. Les jours passaient, ma seule joie était de travailler, je ne me sentais bien qu'avec ces enfants en difficultés, il me semblait être utile à quelque chose. La nuit je ne dormais guère ruminant mon récent passé. Ma rencontre avec Gérald: mon mari, les enfants et moi étions invités à un mariage à Nice: celui qui avait construit notre maison prenait pour épouse une camerounaise: Nicole. Nous nous étions donné rendez-vous à l'entrée de l'autoroute , j'ai fait la connaissance de Thierry et de Muriel et Serge nous présentait Gérald, sous la pluie nous nous sommes serrés la main. Après quelques heures à rouler à une vitesse vertigineuse, une halte fut décidé pour manger un morceau. Je choisissais les encas quand je croisais le regard de Gérald, quelques secondes dans ma vie, un bleu intense, hasard? Nous avons repris la route et sommes arrivés à minuit trente à Nice, c'était le jeudi 8 mai 1997. Nous avons passé la nuit à discuter, la journée à préparer le mariage et le soir, les garçons et les filles se sont séparés pour faire la fête, nous sommes allés dans un bar sur le port où il y avait un orchestre et des gens qui dansaient. Je me sentais belle et désirable pour la première fois de ma vie. Nicole avait disparu depuis un moment quand elle revint pour me présenter deux hommes assis au bar. Le plus grand s'appelait Maurice et nous avons discuté un moment. Il me demanda de partir avec lui, je dis à Nicole ma décision de le suivre, elle me dit de revenir pas trop tard car nous devions rentrer avant les hommes. En route il s'est arrêté pour acheter du whisky et du coca. Devant un immeuble avec interphone, nous nous sommes garés, c'était un petit appartement joliment décoré. Sur les murs de grands posters  photos d'une belle jeune femme, elle était sur scène et chantait. Je le questionnais et il me racontait: sa fille, elle était morte après les suites d'une intervention de chirurgie esthétique du nez, il était en procès avec la clinique de Nice. Sur le divan il a commencé à me déshabiller et m'embrasser, je me laissais faire avec la nausée au bord des lèvres, le whisky sans doute. Je frissonnais et il m'emmena dans sa chambre, c'est à ce moment  que nous avons entendu le téléphone sonner, puis tout de suite aprés la sonnette de l'interphone. "Ne bouges pas , c'est Nicole qui te cherche, elle est entrain de faire un scandale à mon copain". Nous entendions tambouriner à la porte, Maurice m'a tendu un peignoir que j'ai rapidement enfilé. Quand il a ouvert Nicole se mit à m'agresser verbalement, je n'appréciais pas du tout:"Myléne, il faut que tu rentres avec moi tout de suite, si Edouard rentre et ne te trouves pas , mon mariage va se passer dans les disputes et je ne veux pas"je lui rétorquais que j'étais assez grande pour savoir ce que je faisais enserrant le peignoir un peu plus autour de moi. Je retournais dans la chambre m'habiller pendant que Maurice me notait son numéro de téléphone sur un bout de papier." Je ne veux pas en rester là avec toi,me dit-il, tu es différente des autres, appelles moi quand tu veux". Je rentrais sagement avec Nicole et Muriel, sous les reproches et la morale, je répondais que je n'étais plus une gamine.

Pendant tout le séjour,Nicole me parlait de cette nuit et je sentais que si cela n'avait été son mariage, elle aurait tout dit à Edouard. Elle a fait monter la pression à tout le monde, se disputant avec les uns et les autres. Son mariage s'est bien passé, la cérémonie se passait à la mairie et les deux témoins de Serge étaient Edouard et Gérald. Le repas était dans un restaurant du port , je me retrouvais à table face à Gérald ,Edouard à côté. A la pièce montée, les mariés se sont levés pour couper le gâteau, Gérald me déposa une assiette avec des choux , sans dragées, je laissait échapper ma déception:"oh! il n'y a pas de dragées!", il se releva et revint avec une poignée de dragées qu'il déposa dans mon assiette en disant:"alors comme cela tu aimes les gâteries?" avant que je puisse répondre, Edouard prit la parole, le verbe haut:"Vous parlez de gâteries?, si tu veux des gâteries mon vieux, il va falloir passer à la caisse d'abord!" du tac au tac Gérald lui répondit:"Pas de problème, j'ai ma carte bleue". Après cet échange le silence se fit autour de la table, les deux hommes se défiaient du regard. Je me faisais l'effet d'être au marché des esclaves, encore heureux qu'il ne voulait pas montrer mes dents!, je me levais et parcourus l'espace entre la table du restaurant et les toilettes dans un brouillard, comme au ralenti. J'avais la rage, la haine, je ne savais plus, je m'enfermais à double tour et appuyais mon front brûlant contre le carrelage. Des pensées tourbillonnaient, je serrais les dents pour ne pas hurler, je donnais plusieurs coups de tête au mur, le dernier me réveilla à la douleur physique n'atteignant en rien celle de mon coeur. Je ne sais combien de temps je passais là, pas une larme ne vint me délivrer. Je me résignais à affronter à nouveau le regard des autres. Je plaquais un sourire sur mon visage en me promettant qu'Edouard me le paierait. Quand nous sommes rentrés à l'appartement, les mariés comme entendu avec les invités, nous leur avons laissé la seule chambre et ce fut au tour de notre couple de dormir sur le canapé, Thierry et Muriel avaient choisi les coussins par terre(la veille c'était nous), la nuit d'avant ce sont Serge, Edouard et Gérald. Et ce soir c'était Edouard,Gérald et moi sur le canapé. Gérald ne voulant pas dormir, Edouard se serra contre moi, une main sur ma hanche, j'étais rancunière et ma haine m'empêchait de dormir aussi. Je me remémorais le vendredi matin, avant le mariage, bien avant que tout le monde soit levé, le temps s'était arrêté pour moi. Un instant précieux.Je m'étais levé ne pouvant plus dormir. Je croisais Gérald dans le couloir:" Veux-tu un café?"j'acquiesçais, c'était gentil, agréable, il avait posé deux chaises sur le balcon, la baie de Nice s'étalait sous nos yeux, sans un mot nous dégustions nos cafés, le soleil se levait, les couleurs étaient éclatantes, je suivais un oiseau du regard, la voix grave de Gérard me toucha:"Vois-tu la même chose que moi?"je lui répondais par l'affirmative. Nous regardions dans la même direction. Des mots ont été échangé, des banalités. Un instant d'une grande plénitude fait de sérénité. Petit souvenir que je me remémorais pour calmer les battements de mon coeur, je levais la tête ,Gérald était toujours assis à table :"Tu ne dors pas?" lui chuchotais-je "Non,je bois" me répondit-il "Je retrouve le goût du peppermint", il se leva et s'approcha du lit, il me proposa une cigarette, nous la fumâmes en silence, nos regards s'étaient accrochés et ne se quittaient plus. Dans la pénombre il avança sa main et caressa mes cheveux, son visage se rapprocha et nos deux bouches s'unirent. Le désir et la peur me taraudaient. Le bras d'Edouard était toujours autour de moi ! mais quand la bouche de Gérald s'éloignait, je sentais un besoin irrésistible de retrouver sa chaleur. Nous nous sommes embrassés sans retenue, nos désirs étaient exacerbés, il voulait que je me lève, je lui dis que c'était impossible, j'avais mes règles et lui dit sans détours. Dans le lit Edouard bougeait, Gérald se leva et se plaqua contre le mur. Nous nous sommes parlés les quelques heures qui restaient, embrassés aussi. Le temps s'était arrêté. Quand le jour s'est levé, dans nos yeux il y avait une étincelle particulière, insaisissable, nous deux seuls savaient, la connaissaient, elle était à nous. En dehors du groupe , nous avions déjà notre souvenir, le premier. Dans la matinée, tout le monde s'est préparé pour aller voir des essais de Formule 1 à Monaco. Edouard décidait qu'il fallait rentrer, moi ,je ne voulais pas, j'insistais lourdement mais aucun argument ne le fit changer d'avis. Sur le trajet du retour, je me sentais mal à l'aise. L'angoisse m'étreignait dans son étau, je fermais les yeux, essayant de me ramener à la raison. Je sentais une peur grandissante m'envahir, me pénétrer et ne plus me quitter. Par tous les pores de ma peau, je l'éprouvais, je ne savais pas d'où elle venait, je la repoussais de toutes mes forces mais elle était là comme une bête, tapie en moi prête à bondir, à m'engloutir dans les couloirs de la folie. La vitesse du véhicule me terrorisait, aucun mot ne franchissait mes lèvres. Je me sentais comme prête à exploser et Edouard et les enfants ,dans mon imagination, allaient recevoir mes lambeaux de chair et de sang en pleine figure. Je m'agitais tout le long du trajet, mes yeux essayant de trouver des choses sur lesquelles se fixer pour retenir mon attention, contenir cette folle angoisse aussi longtemps que possible. Je me retournais et trouvais ma fille en pleurs, la veille je lui avais dit qu'en arrivant à la maison, je ferais mes valises et partirais, je voulais me séparer de son père, je n'en pouvais plus de la situation de notre couple, elle me minait. Pour sécher ses larmes, d'un sourire triste, je la rassurais en lui disant que je ne le ferais pas, que j'allais me faire soigner, car j'étais malade. Je savais au fond de moi que ce que je vivais n'était pas normal, ce mélange de haine , de peur, d'angoisse signifiaient quelque chose, je voulais trouver ces raisons et y faire face , l'angoisse ne lâchait pas prise, les voitures qui nous frôlaient me faisaient sursauter, tout ce que mes sens enregistraient, se transformait littéralement en peur. Et enfin nous sommes arrivés. Les jours suivants furent mécaniques, je reprenais le travail avec entrain. Et c'est là que je reçus un coup de fil de Gérald, il désirait me revoir. Mon coeur éclatait de joie, j'acceptais bien sur. Et notre première rencontre eut lieu dans un café de la gare de Colomiers «Le Vignemale». Nous étions tétanisés, hypnotisés de part et d'autre, Gérald me fascinait, il avait la faculté de faire battre mon coeur plus vite, par sa présence il me rappelait que j'existais, que j'étais en vie. Nos rencontres se faisaient dans la joie, nous nous sentions bien ensemble. L'espace temps n'existait que quand nous étions séparés, ne vivant que pour l'instant futur , promis. Un matin où je ne travaillais pas, ma fille me réveilla pour signer son cahier de liaison, et je ne pus garder mon secret plus longtemps, je lui annonçais que j'étais amoureuse, lui lus un poème de Gérald que je gardais précieusement, me posant la question s'il m'était bien adressé. Quand je lui dis son prénom elle me dit qu'il était super. Le vendredi suivant je l'emmenais avec moi à l'un de nos rendez-vous, elle fut prise d'une crise de larmes en nous voyant ensemble et je réalisais que c'était une erreur et lui faisais mal en la confrontant à cette situation. Confusion des rôles, je n'avais pu séparer la mère de la femme qui était en moi. Naïvement je croyais pouvoir partager mon bonheur avec ma fille, qu'elle serait heureuse de me voir heureuse. Je le regrettais aussitôt mais le mal était fait et j'allais le payer chèrement par la suite et cela , je ne le savais pas. La semaine suivante je préparais mon mari et mes enfants de mon absence de la maison, je ne supportais plus le climat qu'il y avait entre lui et moi, j'alternais mon immense joie de voir ou de revoir Gérald et mon désespoir des heures et des jours qui nous séparaient. Bien sur je ne le cachais pas, je le transpirais par tous les pores de ma peau, je n'arrivais pas à mentir q'avec des plaisanteries volontiers vérité comme: Edouard:"toi, tu as quelqu'un" mi-affirmatif, mi-interrogatif. Et moi de lui répondre en riant aux éclats:" Bien sur, j'ai un amant tu ne le savais pas?"et dans ce rire qui me venait je soulageais ma tension de ne pas pouvoir dire la vérité, la plupart du temps je me taisais. J'inventais une histoire que j'aidais une copine que son mari avait jeté de chez elle, moralement je la soutenais. Et je décidais d'aller passer quelques jours dans les Landes avec elle. En réalité je partais passer quatre jours à Capbreton avec Gérald, il m'avait proposé de partir avec lui. Et un jeudi le 5 juin 1997, après ma séance chez le psychiatre, je pris la route pour l'océan. D'abord nous avons été caché ma voiture dans un parking privé puis nous avons pris la route , Gérald était fatigué, les yeux cernés, arrivés à Gimont je lui ai fait arrêté la voiture pour lui donner un cadeau avec un petit mot qui disait :"n'ouvres ce cadeau qu'avec une grosse envie". C'était un coeur en or qu'on pouvait diviser en deux et le porter en médaillon, je voulais graver nos prénoms, mais je n'en avais pas eu le temps. Il le mit sous le volant sans l'ouvrir et me remercia. Arrivés à Auch nous nous sommes arrêtés pour manger, en haut de la ville, sur la place du jet d'eau. Je n'avais pas faim,tout à mon bonheur d'être avec lui. Gérald me demanda de prendre le volant en repartant,je n'osais refuser,et me retrouvait toute tremblante à conduire dans la nuit noire. J'arrivais à Mont de Marsan sans encombres et m'arrêtait sur le parking d'un lycée à l'entrée de la ville. Il se réveilla et d'une voix ensommeillée:"Il fallait me réveiller! il y a une bifurcation à prendre pour aller à Capbreton!". Il a repris le volant et nous sommes arrivés, la voiture garée au bord de l'océan, j'étais émue, fatiguée du voyage, l'immensité d'eau face à moi, le bruit des vagues et les bras de Gérald autour de moi. L'appartement était petit mais joli avec ses meubles en pin naturel. Nous avons passé ces quelques jours en autarcie, à discuter, à rire, moi à pleurer en lui racontant ma vie, aussi bien professionnelle qu'intime. Je lui lisais mes écrits quelques mots jetés sur des feuilles que je gardais précieusement dans mon sac. Ces mots pour me détacher, prendre du recul d'une situation douloureuse...

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