05. Frère et soeur, jour et nuit

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Eliaz

— Mais arrête donc de me tirer comme ça, je te dis qu’on a des places réservées !

Je souris en voyant l’empressement de ma sœur à pénétrer dans la salle de concert alors qu’avec ma carte de presse et l’article que ma patronne a promis à l’agent de Big Flo et Oli, nous sommes sûrs de pouvoir y aller.

— On va être en retard, réservées ou pas, tes places ne vont pas arrêter le temps, Grand Frère !

— Mais tu sais bien qu’à ce type de concert, ça ne commence jamais à l’heure. Et je suis sûr qu’en première partie, les petits débutants qui vont se produire, ça n’est pas grave si on en manque une partie.

Je souris en voyant son impatience. Je la trouve ravissante, ce soir, et franchement, elle est canon, ma sœur. Nolwenn a en effet mis sa tenue de chasse, comme je l’appelle, celle qu’elle réserve aux festivals et aux concerts : des collants noirs, une petite jupe rouge et un haut décolleté sous une apparence sage. Je suis fier de m’afficher à ses côtés ! Et puis, je me dis que cela va me protéger de toute tentative d’une autre femme.

J’ai eu un peu de mal à me faire à l’idée que ma petite sœur avait une vie sexuelle, mais quand elle m’a rejoint à Paris, il a fallu que je le comprenne. Si j’ai d’abord voulu jouer le grand frère, j’ai vite compris qu’elle était à l’aise dans son corps et dans ses baskets, qu’elle assumait sa sexualité et qu’elle ne me laisserait pas y mettre mon nez, alors j’ai plus ou moins accepté et j’avoue être heureux pour elle.

— Tu sais que beaucoup d’artistes hyper connus aujourd’hui ont commencé en faisant des premières parties ? Et si on manquait un futur Orelsan à cause de ça ?

— Ah oui, impossible à imaginer ! me moqué-je en arrivant au contrôle de sécurité.

Nous passons le contrôle sans difficulté même si je remarque que l’agent a passé beaucoup plus de temps à palper Nolwenn que moi, et nous dirigeons vers le carré VIP qui n’est pas encore bien rempli. Il y a des gens qui ne viennent que pour les stars, tant pis pour eux. Mon œil de journaliste essaie de noter tout ce qu’il voit : il y a une foule déjà bien compacte qui est présente. Énormément de jeunes, voire très jeunes, ce qui me donne l’impression d’être déjà vieux. Nolwenn est ravie car de là où nous sommes, nous avons une vue imprenable sur la scène où un groupe de jeunes avec des casquettes aux logos américains s’installent. Il y a de la fumée qui sort et des flashs lumineux, ce qui donne à l’ensemble une impression électrique qui semble alimenter l’énergie des spectateurs déjà bien excités.

J’essaie de trouver un angle d’attaque pour l’article que je vais rédiger sur ce concert et les deux stars qui vont se produire, mais, pour l’instant, rien d’original ne me vient en tête. Je me penche au-dessus de la barrière pour observer les gens qui sont présents. J’ai besoin de matériel, de concret pour pouvoir écrire quelque chose et pour l’instant, je n’ai pas grand-chose. Sauf cette fille qui a les bras en l’air. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle me fait un peu penser à ma collègue Adèle, mais quelque chose dans son attitude m’interpelle. Elle bouge les bras et semble comme hypnotisée par le spectacle. J’ai vraiment l’impression qu’elle est en transe et je sais que c’est avec elle que je vais commencer mon article.

La première partie n’est pas trop mal et quand les jeunes se retirent, ils partent sous les applaudissements du public qui a l’air conquis.

— Tu as aimé ? Les prochains Orelsan, alors ? me moqué-je car ils n’ont clairement pas le niveau.

— Hum… Au moins, j’ai pu danser, c’était cool, et mieux que rien !

C’est vrai qu’elle aussi s’est bien trémoussée et que tous ceux qui ont rejoint notre petit carré VIP en ont bien profité. Il y a notamment un grand brun qui est tout à fait le genre de ma sœur et je suis content qu’elle ne l’ait pas encore remarqué. Je crois qu’il reste à distance parce qu’il pense que nous sommes en couple, mais si elle le voit, elle va lui sauter dessus.

— Prête pour le big show ? demandé-je alors que des techniciens sont en train de faire les derniers réglages sur scène.

— Evidemment ! Je n’attends que ça, depuis le temps que je rêve de les voir en concert ! T’as géré, tu le sais, ça ? s’extasie-t-elle en plantant un baiser sur ma joue.

— Je gère tout le temps, sœurette, commencé-je alors que le grand brun s’est rapproché de nous. Et je crois que tu as fait une touche…

— Tu crois ? glousse-t-elle en jetant un œil autour d’elle discrètement. La magie de la jupe rouge, ça attire le mâle !

— Tu as promis de rester sage, ce soir ! On est venus ensemble, je te rappelle.

— Oh mais quel rabat-joie ! soupire-t-elle. Tu n’as pas craqué sur une jolie fille, sérieux ? J’ai l’impression que tu gardes les yeux constamment fermés. Ouvre-toi au monde, Eliaz !

Si j’ai les yeux fermés, c’est que je ne veux pas voir. De toute façon, qui aurait envie d’un mec comme moi ? Ma sœur, c’est elle qui a pris tous les charmes dans la famille, c’est un vrai canon. Mais moi, je ne pense pas que je puisse vraiment plaire aux femmes.

— Je suis ouvert, moi, c’est le monde qui ne veut pas de moi. Je ne plais pas aux femmes, c’est tout, dis-je un peu hypocritement car j’ai bien remarqué que certaines se permettaient parfois de me mater.

Le blocage vient de moi, c’est sûr, mais je n’ai pas envie de changer quoi que ce soit. C’est plus simple d’éviter de se lancer dans une aventure qui finira mal de toute façon.

— Ouais, bon, alors je vais te prendre un rendez-vous chez l’ophtalmo. Et puis chez le psy aussi, je pense que tu en as besoin. Et moi, j’ai besoin de me détendre, et ce beau gosse est la distraction idéale !

— C’est clair que c’est ton style, mais tu n’es pas venue ici pour lui ! On est à un concert de deux de tes stars préférées, je te rappelle.

— Je réitère, un vrai rabat-joie ! Promis, je reste sage jusqu’à l’entracte, mais qu’est-ce que tu peux être lourd quand tu t’y mets, soupire-t-elle. Tu devrais vraiment te trouver une fille, ça te ferait du bien.

Pourquoi je pense à ma collègue à ce moment-là ? Parce qu’elle est aussi chiante et pleine de caractère que ma sœur ? Parce que malgré tout ce que je peux penser d’elle, elle est bien une des rares que je me verrais bien mettre dans mon lit ? Je suis interrompu dans mes pensées par une sorte de vrombissement d’applaudissements, suivi d’une clameur et de cris de fans en folie. Une nouvelle fois, j’essaie de tout absorber pour pouvoir rédiger un article qui retranscrive cette ferveur. Les deux artistes arrivent sur scène et clament leurs paroles, reprises par tous ceux qui sont dans la fosse, près de nous.

Nolwenn n’est pas en reste et elle crie et s’amuse comme une folle. Je constate que le brun s’est approché et installé de l’autre côté. Un peu comme si j’allais écrire une histoire, je les observe faire semblant d’abord de s’ignorer, puis ils se jettent des œillades en faisant mine d’être gênés de l’attention de l’autre avant d’oublier un peu le concert pour se regarder. Si ce n’était pas ma sœur, je trouverais ça presque mignon, mais là, c’est la famille.

Au fur et à mesure du concert, le rapprochement se fait et il en arrive à s’enhardir, le gaillard, et à poser sa main sur le bas des reins de Nolwenn qui se contente de se mordiller la lèvre alors qu’il en profite pour l’attirer plus près de lui. J’ai l’impression d’être dans un zoo ou dans une réserve naturelle et de documenter la parade amoureuse de deux animaux en rut. Lorsque les deux artistes entament une de ses chansons préférées, elle saute et se retrouve, comme par hasard, devant lui qui bien entendu en profite pour l’enlacer. La petite jupe rouge fait son petit effet et je ne suis pas sûr qu’elle profite vraiment de la fin du concert vu qu’elle le passe à bécoter sa nouvelle conquête. Je profite d’un instant où il la relâche enfin pour attirer son attention.

— Tu ne vas quand même pas vraiment me laisser à la fin du spectacle !

— Oh ça va, tu es majeur et vacciné, non ? Ce n’est pas parce que tu as fait vœu de chasteté que c’est mon cas tu sais ?

— Ouais, lâcheuse… Protège-toi, surtout.

— Compte sur moi, je suis trop jeune pour prendre vingt kilos et devoir élever un gosse, glousse-t-elle. Mais je suis sûre que tu ferais un tonton du tonnerre.

Sans plus attendre, elle se jette à nouveau goulument sur le gars qui est piégé, je le sais. Quand elle est comme ça, elle est irrésistible. Quel mec normalement constitué pourrait résister aux assauts d’une fille bien foutue comme ma sœur, charmante et sensuelle ? Et vu comment il est bâti, je suis convaincu qu’elle ne va pas beaucoup dormir et l’utiliser pour son plaisir jusqu’à épuisement. C’est donc seul que je rentre chez moi.

Sur le chemin, pour une fois, je ne pense pas à l’article que je vais devoir écrire et sur lequel je vais sûrement passer le reste de la nuit. Non, je réfléchis à ce qu’elle m’a dit. Je n’ai pas besoin d’un ophtalmo, ça, c’est sûr. Des regards intéressés de jolies femmes, j’en ai vus pas mal. Par contre, il faudrait peut-être que je consulte un psy, moi. Sinon, je risque de finir célibataire endurci et, vu le sentiment de jalousie que je ressens en pensant que je pourrais être comme ma soeur, en train de m’amuser avec une partenaire sexy et sensuelle, je crois que ce n’est pas vraiment ce que je souhaite pour mon avenir. Mais de quoi ai-je vraiment envie ?

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