08. Bienvenue chez les babas ch’tis

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Adèle

Je m’avance dans l’allée du train en verrouillant mon téléphone, blasée. Le LOSC joue à l’extérieur ce weekend, pas de petit plaisir à deux avec ce délicieux footballeur dont je tairai le nom, souci d’anonymat oblige. Il part au vert ce soir avec ses coéquipiers et rentrera dans la nuit de dimanche à lundi. Tant pis, il va falloir que je trouve un autre moyen de me détendre après ma petite altercation avec Eliaz.

Juliette m’attend sur le quai et me saute dessus telle un marsupilami excité. Je l’enlace en riant, manquant de me crever un œil sur sa veste noire bourrée de picots.

— Mollo, espèce de folle ! Je vais finir empalée à ce rythme-là, me moqué-je avant de passer mes doigts dans ses longs cheveux noirs de jais. Des mèches roses, sérieusement ? Quand je pense que tu trouvais ça hideux sur moi !

— C’est pour mon nouveau copain, il dit que le rose me donne un peu de tendresse, tu vois ? S’il n’y a que ça pour lui faire plaisir, moi je le fais ! Et toi, tu vas bien ? Je suis trop contente de te voir !

— OK, je ne vais pas me permettre de remarque sur le fait que tu te teins à moitié les cheveux pour faire plaisir à un mec, grimacé-je en passant mon bras sous le sien. J’irai mieux quand on aura bu deux ou trois verres et qu’on parlera de nos dernières parties de jambes en l’air ! Ah… non, pas la dernière en fait, c’était pas folichon. Oh putain, Ju, ma vie est une galère pas possible ces derniers jours.

— Pas folichon ? Eh bien, il faut remédier à ça et en trouver un autre qui te fera grimper aux rideaux ! Ah, ces Parisiens, ils ne valent vraiment rien ! Tu vas voir le footballeur ce soir ?

Je lâche un geignement qui veut tout dire, soupire lourdement et joue la drama queen jusqu’au bout. Oui, oui, je crois que j’ai des talents d’actrice. Enfin, ça fait bien rire Juliette, en tout cas, c’est l’essentiel.

— Entre mon emmerdeur de collègue, le type du bar incapable de me faire jouir et mon footeux pas dispo, mon chateau de cartes s’effondre, Ju… Je vais passer mon weekend à déprimer. Moi, Adèle, déprimée ! clamé-je alors qu’elle démarre la voiture.

— N’importe quoi, je suppose que ce soir, tu vas chez tes parents, mais demain, tu viens avec moi en boîte, je ne te laisse pas repartir sans que tu aies tiré ton coup !

— Amen ! Le programme me convient. Et toi, tout va bien ? C’est qui ce nouveau jules ?

— Oh un gars que j’ai rencontré au boulot. Il faisait les livraisons et je me suis laissée draguer. Franchement, c’est un bon coup, je ne me plains pas.

— Bon sang, je suis jalouse, mes collègues sont tous vieux ou coincés, Ju. Et je ne te parle même pas d’Eliaz, je te jure ! Ce matin, on est allés dans une salle de sport pour un article, et une nana l’a dragué, le pauvre, on aurait dit qu’il avait un balai où je pense, gloussé-je. Je trouvais ça presque mignon, jusqu’à ce qu’il sous-entende que je ne suis pas une bonne professionnelle. Ce type aura ma peau, je te le dis…

— Tu n’as qu’à pas bosser avec lui, tu dois en avoir plein, des collègues, et des pas coincés du cul, je suis sûre.

— Mais j’ai pas le choix, je te rappelle que Véronique nous a collés ensemble pour une rubrique bi-mensuelle sur le site, sans compter ses numéros spéciaux, soupiré-je. Elle doit fumer de la bonne, sérieux, elle associe le jour et la nuit, le yin et le yang, le ciel et l’enfer. Et c’est lui, l’enfer, c’est pour dire !

— A ce point-là ? Ne me dis pas que c’est lui, le mauvais coup ? Tu en parles comme si c’était le pire mec de toute la Terre !

J’éclate de rire à ses mots, et peine à me calmer. J’en arrive à m’essuyer les yeux tant l’idée me paraît saugrenue.

— Je n’ai pas couché avec Eliaz. Il est mignon, mais si tu veux mon avis, il doit être encore puceau. Franchement, ses réactions avec les femmes me laissent perplexe. Et puis, il passe son temps à me juger, je ne supporte pas ça. D’ailleurs, je pense que j’ai merdé. Jusqu’à présent, je souriais quand il me taclait, répondais à côté ou lui envoyais une pique bien sentie, aujourd’hui je me suis énervée et je suis partie.

— Il a quel âge, ce type ? Tu crois qu’on peut encore être puceau quand on est adulte ? Non mais, tu te souviens comment c’était au lycée ? Franchement, je n’y crois pas.

— J’en sais rien, Ju, mais il est du genre timide, et pas qu’un peu. Sauf quand il s’agit de critiquer mon boulot parce que je ne suis pas carrée et rigide comme lui. Il a vingt-huit ans, il me semble. Je conviens qu’avec sa belle gueule, difficile de l’imaginer puceau…

— En tout cas, il doit vraiment t’énerver, tu me parles plus de lui que de ton mauvais coup au lit. Ou alors, c’est que tu vieillis et que le sexe ne t’intéresse plus ?

— Tu déconnes ? La première chose que j’ai faite en me posant dans le train, après avoir pris mon billet sur un coup de tête, c’est d’envoyer un message à Mister G. Ça veut tout dire, non ?

Mister G, pour le point, vous vous en doutez, hein ? Faut dire que mon footeux est un dieu au pieu, voilà pourquoi il est l’exception à la règle. Lui, j’y retourne sans hésitation depuis plus de deux ans, le tout sans aucune attache, c’est très clair entre nous et c’est parfait. Je sais qu’en soi, on peut parler de relation entre nous, sans doute bizarre, glauque pour certains, mais ça nous convient très bien comme ça.

— Dommage pour Mister G, alors. Je te dépose chez tes parents tout de suite ou tu viens prendre un verre d’abord ?

— Non, dépose-moi, s’il te plaît. Ma mère va criser si je tarde, tu la connais !

Juliette rigole, consciente que ma petite Maman est sans doute plus folle que moi encore. Non pas qu’elle soit désagréable, mais c’est une aristo aux croyances baba cool qui prend en otage mon utérus depuis déjà deux ans. Savoir que sa fille préfère s’amuser plutôt que de lui faire des petits-enfants lui a fait prendre dix ans, elle se voit déjà mourir sans être grand-mère, comme si demain était son dernier jour.

Ju me dépose devant l’immeuble dans lequel ils se sont installés il y a quatre ans, dans un quartier chic de la Madeleine, avec vue sur la rivière. J’embrasse mon amie rapidement et m’engouffre à l’intérieur, pressée de me poser dans l’appartement familial bourré de plantes de partout, à la décoration Feng-shui et à l’odeur entêtante d'encens.

Ma mère connaissant l’heure d’arrivée de mon train, ouvre la porte dès qu’elle entend la sonnerie caractéristique de l’ascenseur, mais je me stoppe sur le palier en constatant que le voisin, un beau jeune quadra, semble très occupé à nettoyer les amygdales d’une jolie brune qu’il plaque contre sa porte. Merde, j’avoue que depuis que sa femme a quitté le domicile familial, mes petites hormones de demoiselle fantasmaient un peu sur le danseur, mais le fameux Alken a semble-t-il tourné la page avant que je tente ma chance.

— Adèle, qu’est-ce que tu fiches, m’interpelle ma mère, faisant se retourner les deux amants aux joues rougies et aux lèvres gonflées.

Faut croire que c’était un sacré nettoyage !

— J’arrive, Maman, soupiré-je. Bonsoir Alken, et bonne soirée !

OK, moi aussi j’ai dû rougir, je viens de passer pour une voyeuse, et je me dépêche de rentrer chez mes parents avant d’être étouffée dans les bras frêles de ma petite Maman. Mon père se joint à cet instant tendresse et m’ébouriffe les cheveux comme il en a l’habitude depuis que je suis née. Ou comment me dissuader de laisser pousser mes cheveux…

— Eh bien, on dirait que je ne suis pas venue depuis des mois, ris-je. Je vous ai manqué à ce point ?

— Mais oui, tu nous manques ! Qui va nous fournir en Marie-Jeanne, si tu ne viens plus nous voir, rigole mon père en retournant au salon qui est de plus en plus submergé par toutes les plantes que ma mère y met pour assainir l’air.

— Tu ne devais pas commencer à planter toi-même ? Il serait temps de t’y mettre, je n’ai plus trop de contacts de mon côté.

Bienvenue dans ma vie… Si j’ai arrêté de fréquenter Marie-Jeanne depuis un moment, mes parents, eux, consomment. Je me suis davantage faite engueuler quand je leur ai avoué avoir commencé la cigarette, que lorsqu'ils se sont rendu compte que j’avais piqué l’un de leurs joints. C’est pour dire l’amour qu’ils lui vouent.

— Vous avez bien laissé la porte de ma chambre fermée, rassurez-moi ? Ça pue l’encens, mon dieu, je vais encore me taper un mal de crâne phénoménal.

— Mais oui, même les chats n’y sont pas allés dans ton Royaume ! Tu sais bien qu’on t’aime et qu’on ferait tout pour toi !

J’ai des parents formidables. Complètement perchés, mais formidables.

— OK, alors promettez-moi de ne pas me servir de space cake, ce weekend. J’ai besoin de tous mes neurones pour le boulot !

— Oh, mais le boulot, c’est lundi seulement ! On a le temps de s’amuser avant ça ! La vie parisienne ne te réussit pas, ma fille, on dirait que tu es de plus en plus coincée !

Outch, elle fait mal, celle-là. Si moi je suis coincée… que dire de mes collègues ?

— Je ne suis pas coincée, M’man, je suis devenue une adulte, qui a la pression de ne pas vouloir se planter parce qu’elle aime le boulot qu’elle fait et compte bien progresser. Et puis, j’ai pris deux cuites cette semaine, je suis déjà en vrac, m’esclaffé-je.

— Oh, j’ai ce qu’il te faut ! s’extasie mon père en m’attirant vers un fauteuil. Tu vois, cette lampe ? Tu te mets en dessous pendant une heure, combiné au système qui te masse le dos, et tu verras, tu seras remise sur pied en un rien de temps !

Je m’installe sans grande conviction, mais me retrouve rapidement avec un verre de vin à la main et des petits fours préparés par ma mère à base de légumes, évidemment, cultivés sur le balcon. Et je sais d’avance que ce weekend sera cocooning, même si je vais refuser dix propositions de joints, subir les suggestions à peine masquées de ma mère pour me caser et faire des bébés, et me retrouver assaillie par les quatre chats qui vivent ici et adorent perdre leurs poils sur mes fringues. Mais, au moins, je n’ai pas pensé à Eliaz et ses réflexions désagréables depuis que j’ai mis les pieds à la maison.

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