« Il y avait cet homme lorsque j'avais pris mes fonctions à la caserne de Yeoncheon, au sud de la frontière avec la Corée du Nord. Il n'était ni petit, ni grand. À vrai dire, il ne se distinguait pas particulièrement du lot, c'était un conscrit comme on en croisait dans toute les casernes et dans toutes les armées de notre pays. Et celui-ci avait visiblement choisi de faire son service militaire dans l'armée de terre, puisqu'il était rentré dans ma division, la 22e division d'infanterie. Il n'aimait pas particulièrement l'armée, n'était pas spécialement bavard et préférait rester dans son coin, se contentant de suivre les ordres qu'on lui donnait et attendre les vingt et un mois avant que son service obligatoire arrive à terme. Rien de plus, rien de moins.

Je n'ai jamais été contre le service militaire obligatoire, puisque ma destinée a toujours été d'intégrer l'armée et c'est ce que mon père voulait pour moi. Il attendait de moi que cette expérience soit une révélation et qu'elle me pousse à suivre ses pas pour devenir un jour un commandant respecté, voire même, un général d'État-major. C'était sa façon de penser et j'avais la conviction qu'après tout, notre pays avait besoin d'hommes endurcis qui puissent la défendre si jamais la guerre venait à se déclarer contre la Corée du Nord. Mais pour cet homme et tous ceux tués ou blessés ce jour-là, j'aurais préféré qu'ils n'entrent jamais à l'armée. J'aurais préféré qu'ils vivent leur vie loin de cette caserne et qu'ils ne manquent jamais de rien. Mes hommes garderont ce jour en mémoire comme un traumatisme qui comme moi, ne les quittera plus.

La peur que j'ai vue dans ses yeux m'a percutée avec la même force que ce mur qui s'est effondré sur le bas de mon corps et qui m'a rendu aussi misérable. Ma jambe a été un énorme sacrifice pour moi, j'ai failli y laisser la vie, mais je ne pouvais pas comprendre à l'époque ce que ce jour mettait en lumière.

Jeune et débordant d'ambitions mal placées, j'étais resté braqué sur mes convictions et mes désirs égoïstes de viser plus haut dans la hiérarchie.

Maintenant, je suis vieux, mais cet événement m'a définitivement changé, autant psychologiquement que physiquement. Non, je ne serai plus jamais comme avant, parce que la vie m'a donné une seconde chance et que je n'ai pas su la saisir. »

_ Extrait du Livre des Aveux. Rapport de l'affaire Lim.