Chapitre 2 : Ne fais pas honte à ta famille

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|Da Hyo|

Lorsque ses yeux s'ouvrirent lourdement, les rayons de soleil essayaient de se frayer un chemin à travers l'épaisseur des rideaux.

Une sensation de lourdeur s'abattit sur tout son corps et Da Hyo roula difficilement sur le côté, les membres endoloris. Elle avait pleuré durant de longues minutes avant que la fatigue ne finisse par avoir raison de son malheur. Les paroles de son père avaient longtemps résonné dans son esprit, augmentant la douleur, comme si son inconscient voulait la torturer davantage.

Une fatigue psychologique vint s'ajouter à celle physique et la morosité prit le dessus sur sa bonne humeur habituelle. Comme chaque jour depuis deux semaines. Da Hyo ferma les yeux avec force pour chasser les mauvaises ondes qui tentaient de s'emparer d'elle. Elle voyait presque les ombres noires de la dépression s'approcher de son lit, prêts à l'attaquer à n'importe quel moment.

Soudain, on frappa à la porte.

— Mademoiselle ? Êtes-vous réveillée ? Madame vous attend pour dîner. Mademoiselle ?... Hmm... Veuillez m'excuser, je me permets d'entrer, dit une voix féminine de l'autre côté de la porte.

Une dame de la quarantaine en uniforme de femme de chambre entra avec douceur dans la pièce pour ensuite aller ouvrir les rideaux afin de laisser le soleil rayonner dans l'immense chambre. Da Hyo n'y avait pas prêté attention la veille, mais l'endroit était resté tel qu'elle l'avait laissé lorsqu'elle était partie à l'étranger. Le ménage y avait été fait, mais aucun objet ne semblait avoir changé de place.

Omo {oh mon dieu} ! Mais qu'elle horrible tête vous faites. Est-ce que tout va bien ? s'inquiéta un peu trop la femme.

Comme électrisée par sa remarque, Da Hyo releva la tête d'un mouvement brusque. Elle n'aimait pas qu'on la voie dans cet état. S'il y avait bien une chose qui l'insupportait, c'était de montrer aux autres à quel point elle se sentait misérable. Un vieux réflexe la fit donc coller un sourire sur les lèvres et effacer ainsi le chagrin de son visage. Fille de bonne famille oblige.

— Tout va bien, ne vous en faites pas pour moi ! Vraiment !

L'air perplexe de la femme ne laissa pas de doute quant à ce qu'elle en pensait vraiment de son mensonge, mais elle n'en fit tout de même pas la remarque. Après tout, elle n'était pas payée pour ça.

— Madame m'a envoyé vous chercher. Le dîner est servi. Votre jeune frère est là, lui aussi.

Faisant un signe de main à la servante, Da Hyo la laissa repartir en la regardant s'incliner devant elle, puis jeta un rapide coup d'œil à l'horloge murale qui trônait au-dessus de son lit. Il était presque 13h. Madame Kim n'avait pas pu attendre et avait fait monter la servante pour qu'elle la réveille. L'étudiante en psychologie s'anima de courage et commença à se préparer pour rejoindre sa famille.

Les escaliers en marbre n'étouffèrent pas le bruit des chaussons de Da Hyo lorsqu'elle les descendit, ce qui permit à sa mère et à son frère d'être prévenus de son arrivée. Et lorsqu'elle rentra dans la salle à manger, Madame Kim et Joon tournèrent simultanément le regard vers elle, mais leur réaction n'en demeura pas moins différente. L'un exposait sa joie habituelle et l'autre affichait une sévérité qui lui était propre. Comment son frère avait-il réussi à grandir aussi joyeusement et innocemment avec ce genre de parents ? La jeune femme s'en étonnait une nouvelle fois.

Eomeoni {mère}... la salua Da Hyo, mais la dame aux vêtements bien taillés et au maquillage parfait ne lui adressa pas un regard d'affection comme une mère le ferait habituellement pour sa fille. Mais arrêtant de manger, elle préféra lui mettre la pression en gardant le silence.

Voyant que la situation n'était vraiment pas bonne, Joon fit un effort, se racla la gorge et raconta sa semaine avec entrain, dans le but très clair d'apaiser sa mère. Mais celle-ci ne l'entendait pas de cette manière et ordonna à son fils de se taire, avant de reprendre les baguettes qu'elle avait déposé dès l'arrivée de sa fille. Madame Kim arborait un air sombre et détaché qui jetait un froid dans toute la pièce.

— Continue de manger Joon, ton entraînement de basket commence bientôt. Tu dois aller te préparer avant de partir.

Plus un regard à l'intention de Da Hyo. Celle-ci vint s'asseoir à la droite de sa mère et en face de son frère. Elle serra et desserra les poings dans une tentative pour se donner du courage.

— Madame Lee ne travaille pas aujourd'hui ? J'espérais la revoir ce matin et ...

— Je l'ai viré. Elle ne remettra plus jamais les pieds dans cette maison.

La surprise fit se crisper les deux enfants Kim. Le ton froid de leur mère provoqua une chair de poule à Da Hyo et ses yeux s'agrandirent sous l'effet du choc. Madame Lee était la femme sur laquelle ils avaient toujours pu compter ; chaleureuse, sage et adorable en toutes circonstances. Elle avait été présente pour les deux jeunes à chaque fois que cela avait été nécessaire et bien plus encore, telle une mère aimante. Alors pourquoi la renvoyer ? Elle n'avait jamais créé de problèmes depuis qu'elle travaillait pour la famille Kim, toutes ces années de fidélité et de dévouement, brutalement éjectés.

La jeune femme n'arrivait pas à le croire. Espérant avoir mal entendu, elle balbutia :

— Quoi ?! Mais ...

— SILENCE ! tonna la voix de la maîtresse de maison.

Les émotions qui se succédaient sur son visage étaient indescriptibles. Ni Joon, ni Da Hyo n'osaient plus respirer.

— Tu n'as vraiment rien d'autres à penser ?! Tu t'inquiètes juste pour une servante que tu n'as pas vue à ton retour ?! NE TE MOQUE PAS DE MOI ! Si tu es revenue avec le peu de dignité qu'il te reste, réfléchis plutôt à ce que tu dois faire pour ne plus apporter de honte à ta famille !

La fureur prit le pas sur le dégoût apparent et madame Kim hurla ces mots au visage de son aînée avant de se lever brusquement de table et de quitter la salle à manger.

Complètement sonnée, Da Hyo avait l'impression que toute la pièce était en train de se mettre à tourner, heureusement qu'elle était assise, car ses jambes n'auraient pas pu la soutenir bien longtemps. Encore incrédule, elle attrapa sa tête entre ses mains, la tristesse lui assenait un sacré coup. Son frère se leva et se posa à ses côtés, une main sur son épaule, dans une tentative de réconfort.

— Il lui faut seulement un peu de temps, tu sais, moi aussi j'ai été choqué de l'apprendre. J'ai juste mieux digéré la nouvelle. Ne leur en veux pas noona.

Ne le laissant pas parler davantage, Da Hyo le coupa dans son élan. Plus que la colère de sa mère, c'était la disparition de madame Lee qui la faisait trembler.

— Comment est-ce possible ?! Pourquoi l'a-t-on renvoyé ? Elle travaille chez nous depuis plus de trente ans ! Pourquoi tu ne les en as pas empêché !?

Noona... Je...

L'attrapant par les bras pour le secouer, Da Hyo le força à la regarder en face. Quelque chose n'allait pas, les yeux de Joon s'étaient assombris et la tristesse les faisait briller comme deux perles noires.

— Joon ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Le benjamin baissa la tête, le cœur alourdi par la culpabilité. C'était sa faute si madame Lee ne travaillait plus chez eux. Mais comment le dire à sa sœur ? Encore plus que lui, les deux femmes entretenaient des liens très étroits et il avait peur de sa réaction. Quelle puisse le détester par la suite, cette simple idée lui était insupportable.

— Joon ! Dis-moi ce qu'il s'est passé. C'était donc pour ça qu'elle ne répond pas à mes appels ?

— Elle ne te répond pas ?! À moi non plus. Je pensais qu'avec toi, elle voudrait bien parler, lâcha l'adolescent, en fronçant les sourcils d'incompréhension.

L'inquiétude grimpait avec une telle vitesse dans son corps que sa tête se mit à tourner. La jeune étudiante en psychologie se leva brusquement et sortit de la pièce en courant pour monter quatre à quatre les marches du grand escalier, sous les exclamations de son frère. Une fois dans sa chambre, elle attrapa rapidement son sac à main et après une dernière réflexion, elle prit aussi ses lunettes de soleil. Dans le grand hall, elle hurla à Joon qu'elle partait retrouver la vieille femme et se précipita dehors sans donner plus d'explication. Sa mère allait être furieuse, mais les débuts de problèmes de dos de la vieille Lee lui faisaient oublier toute prudence, sa santé était devenue dès lors sa priorité.

Sortant de la villa, elle se mit presque à courir en direction de l'arrêt de bus le plus proche. Madame Lee les avait reçus chez elle à plusieurs reprises lorsque Joon était encore à l'école primaire et Da Hyo espérait pouvoir se souvenir du chemin qu'ils avaient empruntés.

Laissant de côté ses doutes, elle posa rapidement ses lunettes de soleil sur son nez et se couvrit la tête avec la capuche de son sweat-shirt, essayant de passer le plus inaperçu possible. Après tout, son visage était déjà passé aux infos, pas besoin de créer d'autres problèmes.

Heureusement, le bon temps ambiant permettait de justifier la présence des lunettes et puis, dans la rue, peu de gens font attention aux personnes qui les entourent.

Lorsque le bus arriva, la jeune coréenne paya son billet et partit s'installer au milieu de celui-ci, à côté d'un homme à l'expression sombre, qui regardait par la fenêtre. Il tressaillit lorsque Da Hyo s'effondra sur sa banquette à cause de l'accélération du transport en commun.

Joesonghamnida (je suis désolée) ! Je ne voulais pas ...

Mais sa voix mourut dans sa gorge lorsque le regard marron foncé de l'inconnu croisa le sien. Elle avait baissé les lunettes de soleil en s'excusant et n'osait plus faire un geste. L'homme écarquilla les yeux, donnant un peu d'expression à ses yeux et illuminant un instant son visage. Mais il détourna rapidement le regard sans un mot. D'un mouvement brusque, il jeta la capuche de son sweat sur sa tête, remonte la tirette jusqu'à sa bouche et se colla davantage contre la vitre, les bras croisés sur sa poitrine dans une posture de protection.

Sentant son cœur battre à mille à l'heure, Da Hyo cligna des yeux à plusieurs reprises avant de baisser la tête pour regarder de son côté, bien trop bouleversée pour faire à nouveau face à son voisin de chaise. Que lui arrivait-il ? C'était la première fois qu'elle se sentait aussi étrange à la vue d'un inconnu. Avait-elle eu peur de se faire reconnaître et qu'il cria ensuite son identité à tous ? La jeune femme n'en savait rien. Était-ce la fatigue et le trop-plein d'émotions qui lui jouait soudainement un tour ? L'étudiante en psychologie essaya d'analyser sa propre réaction, ne voulant pas penser à la possibilité d'un coup de foudre. Elle n'y avait jamais cru. Et pourtant...

Sans qu'elle ne pût s'en empêcher, son dos se décolla de son dossier et son cou s'allongea suffisamment pour qu'elle puisse regarder discrètement le reflet de l'homme sur la vitre du bus. Mais à sa grande déception, le soleil frappait bien trop fort. La jeune femme se moqua silencieusement de sa propre stupidité.

Elle était incapable dire si c'était son instinct de future psychologue ou pour une raison obscure, pourtant l'expression de l'homme avait réveillé quelque chose en elle. La déception qu'elle éprouvait du fait de ne pas pouvoir le regarder à nouveau était très éloquente. Quelques secondes ont suffi pour qu'elle le trouve incroyablement beau – malgré son air sombre – et que son visage surprit s'imprime sur sa rétine.

Ses cheveux noirs en batailles dépassaient de sa capuche, l'incitant à suivre le chemin de cette frange qui lui donnait l'envie irrésistible de lui arracher ce fichu bout de tissus. Elle voulait tant revoir les traits de son visage, suivre du regard la ligne de sa mâchoire, celles de son nez, ses belles lèvres rosées. Elle ne se reconnaissait plus, mais c'était plus fort qu'elle. Et ses yeux. Intenses. Sombres. Troublants.

Elle l'observa comme elle put par des œillades plus ou moins discrètes, puis soudain, l'inconnu releva les yeux dans sa direction et croisa son regard. Da Hyo sursauta violemment, comme prise en faute, et se colla aussitôt contre le dossier de sa chaise, le regard droit devant elle, le souffle court et la tête pleine de reproches auto-adressées. Elle ferma les yeux de honte et attendit qu'il l'interpelle pour se plaindre de son comportement, mais il n'en fit rien.

À son plus grand soulagement, le bel inconnu retourna à sa position initiale. Pourtant, la jeune étudiante était bouleversée par l'immense conscience de sa proximité, à tel point qu'elle se sentait comme une lycéenne d'une timidité excessive à l'idée de s'asseoir à côté de son amour secret. Ce qui était franchement ridicule.

À force de retourner cette situation dans son esprit, Da Hyo ne remarqua pas le temps passer, et quand le bus s'arrêta à un arrêt, une dizaine de minutes plus tard, l'homme à la capuche se leva et demanda à passer.

Shillye hamnida (excusez-moi) ... Je dois sortir... l'interpella l'homme d'une voix roque qui la fouetta sur le coup, on aurait dit qu'il n'avait pas parlé depuis des jours.

La jeune femme se déplaça de coter –encore troublée– pour le laisser passer. Elle admira un instant son dos large, mais un mouvement étrange attira son attention bien plus bas et elle fût soudainement prise de pitié.

« Le pauvre », pensa-t-elle. « Il boîte ». La pitié s'intensifia davantage lorsqu'elle se fit la réflexion qu'il ne devait pourtant pas avoir cinq ans de plus qu'elle. Vingt-sept ou vingt-huit ans, tout au plus.

Avant de sortir, l'homme entièrement vêtu de noir croisa son regard et le baissa aussitôt vers le sol, comme brûlé par ce qu'il avait lu dans le sien. Il sortit en trombe et faillit trébucher. Da Hyo sursauta et se redressa, prête à l'aider, mais les portes du bus se refermèrent sans qu'elle ne puisse faire un mouvement dans sa direction. Elle eut toutefois le temps de voir l'homme couvrir ses yeux avec maladresse à l'aide de sa capuche avant d'enfoncer les mains dans ses poches et de lui tourner le dos. La jeune coréenne essaya de suivre la silhouette boiteuse à travers la vitre, mais elle disparut dans la foule et le bus prit un virage.

Da Hyo n'eut pas le loisir de se poser plus des questions, car le nom du prochain arrêt résonna dans le haut-parleur. Nom qui lui revient instantanément en mémoire. C'est ici qu'elle devait descendre, elle en était certaine.

Une dernière pensée la ramena à son bel inconnu et au regard qu'il lui avait lancé. La culpabilité naquit en elle et un soupire de frustration lui échappa. Peu importe qu'elle se frappe la tête avec la paume de la main en se maudissant, ce sentiment restait entièrement marqué dans son cœur. Elle venait ni plus ni moins d'échouer en tant que futur psychologue, car au lieu de soigner les personnes malheureuses, elle venait d'en blesser une.

Une énième faute. Encore une.

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