Chapitre deuxième

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Debout à la proue du navire, un drakkar de vingt-quatre rameurs, Halvard recevait avec bonheur le vent marin et les embruns sur son visage. Les côtes bretonnes se rapprochaient et il foulerait enfin du pied les terres des magiciens les plus réputés, les plus mystérieux de cette époque. D’aucun prétendaient que Merlin vivait encore, caché quelque part dans un royaume dissimulé par magie et qu’il y régnait sur toutes sortes de créatures et de magiciens en compagnie d’une reine fée. Tout cela ne sonnait aux oreilles du jeune homme que comme autant de calembredaines, mais il aimait l’idée que la magie puisse offrir une deuxième chance, une deuxième vie, car c’était précisément ce qu’elle lui avait offert.

Tout jeune, il avait reçu l’enseignement de sa mère. Les secrets des herbes, des potions, des cycles lunaires, des propriétés de certaines pierres. Les gens du village voisin la respectaient pour son savoir et sa bonté. D’origine immigrée, elle élevait son fils seule, se disant veuve. Mais parfois, elle évoquait avec son petit garçon son père, grand sorcier, héritier d’une longue lignée de magiciens dans les racines remontaient jusqu’à la Grèce et à l’Egypte antiques, en passant plus récemment par l’Espagne. Un jour, il visiterait toutes ces contrées, mais pour l’instant, il voulait apprendre. Apprendre ce qui lui avait manqué le jour du raid, le jour où sa mère lui fut enlevée et lui, réduit en esclavage pendant toute son enfance, jusqu’à ce que ses pouvoirs deviennent trop puissants pour être canalisés. Alors le vieux sage, Ingvard, l’avait pris sous son aile, lui enseignant une magie différente de celle de sa mère, une magie plus naturelle, plus proche de la terre, qui ne nécessitait ni incantation, ni longue préparation.

C’est fort de ce savoir qu’il s’était libéré et qu’il s’était forgé un nom, Halvard, l’homme libre. Et il s’apprêtait à découvrir de nouvelles traditions, de nouvelles connaissances.

— Du nerf ! cria-t-il à ses rameurs, de féroces guerriers qui, malgré leur force et leurs armes, respectaient le chétif Halvard.

Car c’était encore un jeune homme, un gamin presque, frêle comme une brindille de hêtre. Plus que du respect, certains éprouvaient de la crainte à son égard, ses accès de colère donnaient lieu à des manifestations surnaturelles et plusieurs hommes en avaient déjà payé les conséquences. Halvard devenait de plus en plus puissant, de plus en plus dangereux et la plupart des hommes seraient soulagés, à n’en pas douter, lorsqu’il les abandonnerait pour poursuivre ses rêves de gloire et de pouvoir.

Ils touchèrent terre sur une petite plage morne et grise, dominée par de hautes falaises. Un chemin serpentait le long d’une pente raide, remontant vers l’intérieur des terres, signe que l’endroit n’était pas entièrement sauvage. Halvard sauta du navire et fit quelques pas sur le sable, respira l’air saturé de sel et d’iode. Il sentait tout cela, mais il sentait aussi autre chose : une présence. Il n’aurait su l’expliquer mais la magie était, sur ces terres, plus riche que ce qu’il avait jamais ressenti.

— Libre à vous de piller, de commercer, de tuer ce que vous voulez, dit-il aux hommes qui débarquaient derrière lui. Moi, je vous abandonne. J’ai d’autres choses à conquérir.

Puis, sans un mot, il s’avança d’un pas vif, presque en courant, tant l’appel qu’il ressentait était puissant.

Les hommes du nord échangèrent des regards intrigués, mais ils se sentaient soulagés de voir ce fils de Loki les quitter. Ils vaquèrent donc à leurs occupations, espérant ne jamais plus le revoir.


Halvard déambula au hasard dans la campagne pendant des jours, traversant des prés, des forêts et des rivières, se nourrissant autant de cette magie qui, lui semblait-il, crépitait dans l’air que de ses rations qui se raréfiaient. Il gravit des collines, admira des lacs et, au détour de l’une de ses pérégrinations, alors qu’il songeait enfin à regagner la civilisation, il resta bouche bée devant un spectacle saisissant. De sa vie, il n’en avait jamais vu. Bien sûr, les légendes en parlaient, en bien comme en mal, mais de son point de vue, ils n’étaient que cela : des créatures légendaires, irréelles. Pourtant ils étaient bien là, voguant dans les airs comme des oiseaux au-dessus des eaux, immenses comme des monstres marins : deux dragons verts.

Halvard les observa un long, très long moment. Les deux créatures se posèrent quelques minutes sur un éperon rocheux qui dominait le lac, se reposant de leurs batifolages, étendant leurs ailes sous un soleil timide. Puis, comme si un signal leur avait été donné, ils se redressèrent et s’envolèrent vers le nord. Le jeune homme, ému, resta là un moment à contempler l’horizon et ce paysage fascinant, cet écrin cerné de montagnes peu élevées mais abruptes. Il s’imagina se construire une maison, sur cet éperon rocheux. Non pas une maison, une demeure, un manoir, un château, pourquoi pas ? Mais pour le moment, ce n’était qu’un rêve. Il devait apprendre, gagner, conquérir avant de prétendre à la réaliser. Il quitta ces lieux à regret et se dirigea vers le sud. Là-bas, il trouverait ce qu’il cherchait : des hommes et, avec un peu de chance, des sorciers tel que lui.

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