Je voudrais être une gomme

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Je ferme les yeux pour effacer de mes pupilles ton image de femme – une femme qui a l’audace d’être telle dans ce monde d’homme, sans t’en cacher ni t’en excuser. Sans t’en vanter non plus. Mais qui a le culot d’en jouer en faisant rire tes yeux bordés d’un fin mascara alors que je t’interroge. Tu croises et décroise les jambes au rythme de mes questions, consciente que nous avons tous les yeux rivés dessus tandis que tu prétends n’en rien voir tout en commentant le diaporama dont je n’ai plus rien à faire mais qui permet d’allonger les minutes de cette réunion inutile.

De toi, j’ai les paupières tapissées. Des milliers d’images y dansent en boucles ; toi perchée sur tes talons inacceptables que nous envions tous sous nos remarques insipides ; toi, d’en rire, déployant en arrière cette gorge d’où découlent les notes chaudes que j’aurais voulu t’apprendre. « Ce que femme veut… », justifies-tu parfois, en faisant claquer ces talons moqueurs sous ton déhanché. Le tissu de tes jupes caresse ta cuisse avant de valser en coup de vent, et c’est tout juste si je me demande s’il ne s’agit là que d’un vêtement ou si tu te drapes de ta propre peau d’ébènes. Je t’imagine enfiler ce coton sur ta nudité dans les vapeurs de la douche achevée, ombrer tes oreilles d’une pointe d’opium puis te saluer du clin d’œil dont tu m’accueilles le matin… Un clin d’œil – non, jamais – mais que j’imagine toujours dans ton regard par en-derrière, un vif éclat d’azur qui vient masquer ta prunelle noisette avant de disparaître instantanément. Sur la toile de mes idées blanches, un artiste vous dessine, toi et ta crinière en milliers de petits ressorts noirs et serrés où je n’imagine pas passer un peigne mais où je noierais bien ma main … comme une vieille publicité qui défile dans ma tête à longueur de journée.

Je dois rouvrir les yeux pour m’exorciser de ton visage ; je tombe dans tes iris ironiques qui savent très bien de quoi il retourne. Tu conclues ta présentation d’une question que je me dois de satisfaire, attendant ma réplique dans ton sourire carminé de féminité. Un tic nerveux te fait tapoter cette pulpe de l’embout de ton crayon, de droite et de gauche, avec une légèreté sans affectation qui me met d’autant plus hors de moi que je devine ton impatience d’en finir avec cette farce. Ce crayon, je le tenais il n’y a pas deux heures, le faisant rouler entre mes doigts, en suçotant inconsciemment le bout gominé que tu t’oublies parfois – souvent – à effleurer, assez souvent pour que je le préfère à un autre. Tu te reprends, le reposes en me contemplant sans ciller. C’est moi qui baisse les yeux.

Je m’attèle à mon clavier pour y imprimer les caractères d’encre chinée que tu me dictes ; les lettres blanches défilent sur le fond noir de mon écran. Je ne dois surtout pas fermer les yeux, car sous ta voix, ta peau d’obsidienne se juxtapose à mon texte en filigranes de femme. Je n’ose contempler ton visage dur, sérieux, trop occupé à me dicter ce rapport pour deviner que je le tatoue sur ton corps.

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