Chapitre 1

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L'eau me réveilla en sursaut. Un vieil homme ronchon venait de me renverser un seau d'eau sur la tête. D'un certain côté, je le comprenais, je venais de dormir sur son palier. Mais ce n'était certainement pas une raison pour me renverser de l'eau sur la tête, m'appeler aurait été suffisant.
— Dégage de ma porte, grogna le vieux monsieur, ou j'appelle le CES.
Le CES était le comité d'éradication des sans abris, un vrai cauchemar.
— Oh ! C'est bon, pas besoin de s'énerver.
Je me levai et considérai mon interlocuteur d'un œil méfiant.
Comme riposter n'aurait servit qu'à me faire envoyer là-bas, je partis dans la rue encore sombre à cette heure-ci.
— Et que je ne t'y reprenne plus, cria l'homme derrière moi, en jetant son seau dans ma direction.
J'esquivai son attaque et continuai ma route comme si de rien n'était.
Je jetai un coup d'œil à mes habits, c'était malin, ils étaient tous trempés, maintenant.
Je continuai à marcher jusqu'à ce que je trouve un quai, où je m'assis, les jambes pendantes au-dessus de l'eau.
Le soleil se leva un peu plus tard, réveillant avec lui le quartier. J'entendis des portes claquer, des enfants crier et courir dans tous les sens et des bols se casser en tombant par terre. La ville était toujours bruyante, on ne peut pas dire que Paris eut été une ville très silencieuse, même dans le passé.
Je recommençai à marcher. Je ne savais pas vraiment où j'allais, plus loin, ou ailleurs étaient des réponses appropriées. Je marchais lentement, le regard rivé sur mes pas, pour ne pas voir celui des passants qui me dévisageaient. Tout le monde s'écartait de moi. Je ne passais pas vraiment inaperçue avec mes habits détrempés, mes cheveux bleus vif, et mon vieux sac à dos marron rapiécé et recousu avec un morceau de tissu où dansaient des petits lapins jaunes.
J'avais pris l'habitude qu'on m'évite ainsi.
— Eh ! Toi, là-bas, cria quelqu'un.
On entendit le bruit de ses chaussures résonner dans la rue.
Je continuai ma route sans me retourner, la personne ne m'appelait pas, il s'agissait sûrement de quelqu'un d'autre. Mais elle vînt se planter à côté de moi.
La jeune fille devait avoir deux ans de moins que moi.
—Coucou, déclara-t-elle toute excitée.
— Salut, lui répondis-je, contente que quelqu'un veuille bien m'adresser la parole.
— Je t'ai vu chez le monsieur, ce n'est pas sympa ce qu'il t'a fait.
Je haussai les épaules.
— Ah ! T'as vu ?
— Oui. C'est pour ça que je t'ai suivie...
— Tu m'as suivi ? La coupais-je.
— Oui, expliqua la jeune fille, comme s'il était tout à fait normal d'entrer dans la vie privée des gens, je cherche des gens qui veulent nous aider à changer les choses et la relation entre les gens comme nous et les autres...
— Attend, moins vite, la coupai-je encore, c'est qui nous ?

Cette fille parlait plus vite que n'importe quelle personne que j'avais pu rencontrer jusqu'alors.
Elle m'adressa un grand sourire.
— Tu dois bien connaître la Ligue ?
— Bien sûr que je connais, j'avais demandé à m'inscrire là-bas, mais ils m'avaient refusé, lui expliquai-je d'un ton amer.
Je m'en souvenais, cela datait de moins de 18 heures. Ils m'avaient vraiment rejetée comme une vielle chaussette, et maintenant, si j'avais bien compris, ils me proposaient de me reprendre.
La Ligue était encore le seul endroit sûr pour les personnes comme moi. Toute personne sans domicile essayait d'y avoir accès. Ils étaient situés dans un ancien quartier tombé en ruine depuis et y avaient créé une sorte de campement. Jusqu'à maintenant, le CES n'avait jamais osé s'y attaquer.
— Et donc, si je comprends bien, tu me proposes d'y vivre, ajoutai-je en croisant les doigts.
— Oui, mon père est le président de la Ligue. On a inauguré une nouvelle " chambre ", et j'y emménage ce soir. Mais il reste une place, il m'a proposé de choisir quelqu'un pour me rejoindre.
— Et donc c'est moi que tu as choisi ? Mais pourquoi ? Demandai-je incrédule.
— Je n'en ai aucune idée, tu as l'air sympa, et je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression que je dois te faire confiance, avoua-t-elle.
— Ah, merci. Mais je n'ai rien de spécial.
— Si tu le dis.
Elle me fit signe de la suivre et commença à me poser plein de questions.
— Comment tu t'appelles ?
— Aïna. Et toi ?
— Zoé. Aïna Comment ?
— Je n'ai pas de nom de famille.
— Ah bon ? Et tes parents, tu les connais au moins ?
— Non.
— C'est bien la première fois que j'entends ça. Et t'es à la rue depuis combien de temps ? Et pourquoi ?
— Je ne sais pas non plus.
— Hein ? Tu n'as pas fait de sauvegarde ?
— Non, je n'ai jamais fait de sauvegarde, avouai-je.
Avec l'avancée technologique, les humains étaient de plus en plus équipés en gadgets électroniques. Les scientifiques avaient inventé toutes sortes de montres directement dans le poignet, des lentilles spécifiques, et un disque dur où stocker les souvenirs. Pour les enregistrer, on effectuait une sauvegarde. Si cette sauvegarde n'était pas effectuée, alors au bout de 24 heures, les souvenirs disparaissaient.
Zoé me regardait, les yeux grands ouverts, sa mâchoire à deux doigts de se décrocher.
— Attends, si je résume, déclara-t-elle, tu n'as aucun renseignement sur toi, mis à part ton prénom, aucune sauvegarde, je suppose aucun téléchargement, et ta carte mémoire vide...
— Non, la stoppai-je, mais peut-être n'aurais-je pas dû le faire.
— Ah t'as une carte mémoire normale.
— Non, elle a disparue, lâchai-je.
La carte mémoire était une petite plaque placée dans le poignet droit, qui permettait de stocker les informations importantes, dont le contenu ne pouvait pas être vu par les services du LABO, qui avait accès à l'intégralité de nos sauvegardes.
— Incroyable, s'écria Zoé. Et toi qui disais ne rien avoir de spécial, tu es la seule à être comme ça.
— Je sais, mais si tu pouvais t'arranger pour que cela ne se sache pas s'il te plaît, la suppliai-je.
— Ne t’inquiète pas. Motus et bouche cousue.
A force de parler, je n'avais pas remarqué qu'on était déjà arrivée à destination.
De grands immeubles se dressaient devant nous, à moitié en ruines.
Entre deux immeubles, des draps colorés étaient accrochés, faisant de l'ombre dans les rues. Les personnes autour de moi s'affairaient à ranger des caisses.
Zoé me dirigea vers un grand homme brun.
— Voici mon père.
— Enchantée, déclarai-je.
— De même, répondit le père de Zoé. Tu es la bienvenue ici.
La bienvenue avait été oubliée la veille.
— Viens, suis moi, intervint Zoé, je vais te montrer ta nouvelle demeure.
Elle me dirigea vers un des immeubles et tira un rideau qui dévoila une petite pièce. Deux lits de camp un peu usés étaient étalés par terre. À part ça, rien d'autre. Mais c'était déjà largement assez.
— Et le meilleur pour la fin, annonça Zoé, j'ai trouvé ça il n'y a pas longtemps.
Elle dévoila une petite baguette et appuya sur un des côtés.
Un petit écran en sortit.
— Une télé ? L'interrogeai-je.
— Eh ouais.
— Oh, trop de chance.
— Si tu veux, après manger, on pourra la regarder.
— C'est vrai ?
Elle me sourit.

Le repas finit, on se retrouva dans la chambre. On s'allongea côte à côte et elle alluma la télévision.
L'écran afficha une image avec un peu de grésillements, mais elle se précisa assez vite.
On voyait un présentateur télé montrer des images de personnes en costumes futuristes, les chronos.
— " Les chronos viennent encore une fois de résoudre une enquête datant de plus de 100 ans"
— Je suis fan des chronos, s'exclama Zoé. J'aimerais trop être comme eux.
— Ouais moi aussi.
Qui ne rêvait pas d'être comme eux, aimés de tous, aucun problème financier...
On regarda donc l'émission jusqu'à la fin. Après, j'ouvris mon sac et en sortis le peu d'affaires dont je disposais.
Je m'allongeai sur le lit et me glissai dans mon sac de couchage.
— Bonne nuit, chuchota mon amie.
— Bonne nuit et merci de m'avoir invité.
— De rien, ça me fait plaisir.
Je m'endormis tout de suite, heureuse de dormir dans un lit digne de ce nom, et surtout, en compagnie de ma première amie, en tout cas, d'après le peu de souvenirs que j'avais.
On me secoua, je me crus de retour chez le vieil homme, jusqu'à ce que j'entende une voix que je connaissais.
— Réveille-toi, il est plus de midi. Tout le monde est déjà debout, chuchota Zoé.
J'ouvris les yeux, mais les refermai aussitôt, la lumière passait entre les rideaux et m'aveuglait. Il devait effectivement être tard.
Je rabattis mon sac de couchage à mes pieds et m'assis sur le côté du lit.
— Tu dors longtemps toi, me taquina Zoé.
Je hochai la tête.
— Ça faisait un bout de temps que je n'avais pas aussi bien dormi.
— C'est sûr que c'est plus confortable que le palier du vieux monsieur, rigola-t-elle.
— Oui, ça, c'est vrai.
Elle s'apprêtait à sortir, quand elle revint sur ses pas pour me tendre un petit carré.
— Comme ça au moins tu en auras une, je l'ai trouvé avec la télévision, l'autre jour...
C'était une carte mémoire.
Je me retins de lui sauter dans les bras, au lieu de ça, je la remerciai simplement.
Je tapotai mon poignet pour ouvrir le clapet de la montre, dans laquelle je glissai la carte.

Je sortis du lit, m'habillai en vitesse. Je sortis dans la rue. On avait l'impression d'être dans une immense fourmilière, tout le monde s'activait, aidait les autres, installait de nouveaux couchages, personne ne s'arrêtait, tous s'occupaient de quelque chose. On prit des caisses et on les amena dans une sorte de grand hangar. On répéta cette action jusqu'à ce que le tas de caisses laisse place à un espace vide où l'on installa ensuite des tables pour que puissent manger de nouveaux arrivants. La prochaine arrivée devrait se faire dans douze jours, deux semaines après la précédente. Il fallait donc que tout soit prêt avant ce jour.
Je m'étais rarement sentie aussi bien, tout le monde s'entendait à merveille et s'entraidait. C'était un bel exemple de solidarité. J'avais vraiment l'impression de faire partie d'une famille, que je n'avais jamais eue.

Cela faisait une semaine que j'avais rejoint la ligue et une forme de routine s'était installée. Chaque jour, après le travail, tout le monde se réunissait pour faire la fête, sans musique ni grand festin, mais l'ambiance y était toujours. Les gens dansaient et tournoyaient sur ce qui avait été décrété une piste de danse. Et une fois la plupart des gens partis dormir, Zoé et moi, on se rendait dans la chambre pour regarder la télé, et surtout les exploits des chronos. Ensuite, on discutait souvent et on rigolait beaucoup.

La ligue allait bientôt accepter de nouvelles personnes et reconstruire de nouveaux logis. Et recommencer, encore et encore. Mais peu importe ce qu'on devrait faire, cet endroit était le paradis.

 Un soir, Zoé appris que ce jour-là, passerait un film connu il y a très longtemps nommé Star Wars. J'ai trouvé ça très bien, mais les sabres lasers, c'était un peu démodé, de même que la main métallique de Luke Skywalker.

Je m'endormis en rêvant de vaisseaux spatiaux.

 Je fus réveillée assez tôt par des bruits de sirène et des cris.
Je me redressai instantanément.
— Zoé réveille-toi, hurlai-je en la secouant, le CES.
Elle se réveilla en sursaut.
— Hein ? Comment tu le sais ?
— Je connais leur sirène par cœur. Je te dis que ce sont eux.
— Vite sauvons nous.
Je ramassai mes affaires et les mis en boule dans mon sac que je mis sur mon dos.
En écartant les rideaux, on vit une foule courir dans tous les sens, paniquée.
On courut dans la direction que prenaient les autres. Au loin, on voyait le toit des voitures du CES.
Tout le monde se bousculait, si fort que ça me fit tomber. Ma tête heurta le sol violemment. Le monde autour de moi devint flou. J'entendis Zoé crier mon nom, mais j'étais trop sonnée pour lui répondre. J'entendais le bruit des sirènes se rapprocher. Je me relevais difficilement, ma tête me faisait souffrir. Je regardai dans la direction du bruit des sirènes, une voiture s'arrêta et cinq personnes en sortirent. Les chronos.
Au-delà d'être des super-héros, les chronos faisaient régner la loi. Et la loi ne voulait pas de nous. Ils ne voulaient donc pas notre bien. Il fallait partir, et vite.
Je ramassai mon sac, et me mis à courir. Au premier embranchement, je tournai, la rue était déserte. J'entendais déjà le bruit des chronos qui me poursuivaient. Si seulement je pouvais me retrouver loin d'ici.
Soudain, le paysage changea, sans aucun bruit ni flash. Je déboulais au milieu de grands immeubles, où des personnes en costumes, des mallettes à la main marchait, le visage de marbre. Je regardai derrière moi, la rue où j'étais, il n'y a même pas deux secondes avait disparue. Mais pourtant, je me trouvais au même endroit.
Oh, non ! Les chronos venaient de m'envoyer à une autre époque.
On me tira le bras pour m'attirer dans une petite ruelle. J'ouvris la bouche pour hurler, mais quelqu'un mis sa main, empêchant tout son de sortir.
— Chut, ne t’inquiète pas, je ne te veux aucun mal.
Je reconnaissais cette voix.
La personne me lâcha et je me retournai pour l'observer. C'était bien un chronos, ou plutôt une, elle avait le même habit. Mais je ne la connaissais pas, en temps que chronos, je voulais dire, parce que si je la connaissais, c'était moi. Elle n'avait pas la même couleur de cheveux, mais elle était moi tout de même.
— Je n'ai pas beaucoup de temps, expliqua mon double, alors écoute moi bien. Tu es un chronos, le dernier chronos. Il n'y a pas dix, mais onze chronos. Ils ont caché ton existence. Ils vont te chercher, tu dois faire attention. Ne fais pas confiance au LABO. Tu trouveras les réponses à tes questions dans ce livre.
Elle me tendit un énorme livre.
C'était qui "ils" ?
— Et tiens ça te sera utile pour tes voyages.
Elle me donna un costume comme celui qu'elle portait, gris foncé.
— Au cas où tu te demandais, on est en 2012, dans le quartier de la défense, continua-t-elle. Maintenant, je dois partir.
— Attends, tu viens du futur ou du passé ? Demandai-je.
— Peu importe.
Et elle disparue.
J'effectuai ma toute première sauvegarde. Je ne voulais surtout pas oublier ce moment.
Mais elle avait oublié un tout petit détail, elle ne m'avait pas expliqué comment je comptais rentrer chez moi.
J'ouvris la première page du livre.
Quelqu'un avait écrit une note au stylo en bas de la page.
Tu veux aller quand ?#
En 2381, le 2 juin, mais je ne vois pas en quoi ça pourrait m'aider.
Je levai les yeux, j'étais de retour à mon époque, si simplement.
Je rangeai mon costume et le livre dans le sac, et je me remis à courir. Je n'avais pas oublié que les chronos me poursuivaient. J'étais revenue au même moment que lorsque que j'étais partie et les chronos étaient au coin de la rue. Je me cachai derrière un mur et attendis. Longtemps, longtemps, jusqu'à ce que les sirènes s'éloignent. Je sortis enfin de ma cachette pour retrouver les autres.
Un groupe de rescapés s'était rassemblé dans la rue. Le bilan avait été lourd, plus d'une vingtaine de personnes avaient été emmenés.
Quand le père de Zoé me vit arriver, il me jeta un regard noir.
— Où étais-tu ?
— Derrière l'immeuble, je me cachais.
— C'est bizarre, annonça-t-il, dubitatif. Le CES ne nous avait jamais attaqués, et peu de temps après que tu sois arrivée, ils viennent, je trouve ça troublant. Je trouve que c'est une trop grosse coïncidence pour n'être due qu'au hasard. Je ne mettrais plus la ligue en danger, tu es donc bannie.
Il avait dit ça tellement vite que mon cerveau mit du temps à comprendre.
Je n'étais là que depuis quelques jours et me voilà déjà partie. Je pris mon sac et partis sans un mot de plus.
J'avais enfin trouvé un endroit où j'étais bien, et je n'avais quasiment pas pu en profiter. Mais bon, j'avais toujours vécu seule, je continuerais comme ça.
Cela faisait dix minutes que je marchais quand une voix que je connaissais m'interpella.
— Aïna, attend.
Zoé me rattrapa, son sac sur l'épaule.
— Je t'accompagne.
— Mais pourquoi ? Ton père vient de me bannir. Il croit que tout est de ma faute.
— Je te l'ai dit, fit Zoé. J'ai le pressentiment de devoir te suivre.
— Tu me fais confiance, mais tu ne me connais même pas, marmonnai-je.
— Tu n'es pas responsable de cette catastrophe ? M'interrogea mon amie.
— Non, bien sûr que non.
— Alors oui, je te fais confiance. Où va-t-on ?
Son enthousiasme me fit céder, et puis, c'était la seule amie que j'avais jamais eue.
Alors je répondis la chose que je me disais tout le temps.
— Plus loin.

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