Chapitre XVI : il ne faut pas confondre gisement épuisé et mine de rien.
Soudain, un carreau d'arbalète s'écrase contre la paroi, près de moi. Je perçois plusieurs nains à une trentaine de mètres, devant nous, à l'angle du boyau. Eux aussi voient dans le noir !? Je réagis immédiatement avec mes Libellules de Feu. Je murmure la formule en faisant mes passes magiques très vite :
Libellules de feu
Entendez votre servante
Noyez ces chevaliers armés
Battez de vos ailes
Pour éloigner ces fieffés demeurés
Et les jeter hors du Temps
Loin de mes amis guerriers
Je libère les énergies magiques qui partent de mes mains. Un nain crie de douleur. Eliodys et Balak courent vers l'endroit d'où vient le tir d'arbalète. Soudain, j'entends un sifflement. Quelque chose se passe dans le fond, au niveau de la paroi : je vois une lumière grossir du fond du boyau ; une boule vient vers nous et explose au milieu du couloir : ils envoient des boules de feu ! Je suis éjectée à plusieurs mètres. En retombant lourdement, je me blesse à la tête. Je ressens les brûlures du feu et les contusions du choc contre le sol. Mais, ce qui me fait le plus mal, c'est l'impression de sentir mon âme se déchirer en deux. La douleur est, à la fois, physique et spirituelle : c'est comme si j'avais perdu une partie de moi-même. Je sens un vide dans ma tête... Je ne reçois plus les pensées de Lucifer. Je m'affole en regardant autour de moi. Je vois son corps carbonisé qui gît près d'Eliodys.... L'elfe est inanimé et mes deux autres compagnons, au fond du couloir, sont à la peine contre les nains...
Quatre jours plus tôt. Le lendemain matin, nous avions quitté Toster. Avec mes trois compagnons, nous étions partis de Thurmestre pour le château de Palefroy. Le temps était clément et la route se fit sans accroc. Arrivés aux portes du château, nous croisâmes un groupe de trois rôdeurs qui sortaient de la forteresse, deux hommes et une femme. Ils portaient des habits de cuir souples, chacun un arc et un carquois plein. Hommes et femmes avaient les cheveux longs, noués en catogan ou en tresse. Ils étaient accompagnés par un loup et un lynx. Ils partirent sans un regard vers nous.
A peine étions-nous entrés dans le château, que le Comte de Palefroy nous fit chercher par son capitaine. Ce dernier nous conduisit dans la salle du trône. Nous n'avions même pas eu le temps de poser nos bagages. Le Comte avait une mine grave, mais lorsqu'il me vit, il se redressa et son sourire revint (il faut qu'il cesse d'avoir des vues sur moi !). Il s'adressa à nous avec inquiétude :
- J'ai demandé une enquête sur le guerrier de sang que vous avez tué. J'ai fait appel à des rôdeurs de la région : ils ont relevé des traces qui prouvent que la troupe venait des anciennes mines. Celles-ci sont abandonnées depuis bien des années. L'entrée est située après la forêt où vous avez combattu l'âme en peine du chevalier, dans les collines au-delà du grand fossé. J'aimerais, si vous acceptez, que vous alliez voir de quoi il en retourne dans ces mines désaffectées.
Ombre Dansante, d'un regard circulaire, semblait demander l'assentiment de chacun d'entre nous. Comme mes autres compagnons, j'acquiesçais de la tête. Il s'adressa alors au Comte :
- Vous pouvez compter sur nous tous. Nous partirons tôt demain matin.
- Je ne vous remercierais jamais assez pour ce que vous faites pour la région, répondit le Comte.
Ombre Dansante ajouta :
- Nous avons une requête à vous demander.
- Dites, maître elfe ! Si c'est en mon pouvoir.
- Monsieur le Comte, des fômoirés...
- Des quoi ?... Interrompit le Comte.
- Des fômoirés : ce sont des géants magiciens qui sont placides. Ils cherchent une terre à exploiter.
- Qu'attendez-vous de moi ? La plupart des humains ont peur des géants, quel qu'ils soient !
- Nous les avons envoyés dans la bande de plaine entre les marais et la forêt, au sud.
- C'est une partie de mes terres non exploitée...
Après un temps de réflexion il reprend :
- C'est d'accord. J'enverrais une ambassade pour définir les termes de l'alliance.
Nous prîmes alors congé. Nous montâmes dans nos appartements. Lorsque je fus seule avec Ombre Dansante, j'eus soudain un frisson qui me parcourut le dos. Instinctivement, je croisais les bras comme pour me réchauffer. L'elfe m'enlaça tendrement. M'abandonnant, je lui demandais :
- J'ai un sombre pressentiment. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai peur de ce que nous allons trouver dans ces mines...
L'elfe me tourna face à lui. Il me prit par les épaules et me chuchota :
- Je serais encore plus inquiet si tu n'avais pas peur. Mais, comme tu nous l'as dit hier soir, je soupçonne moi aussi qu'un ancien mal se réveille. Trop de forces s'activent pour qu'il en soit autrement. Peut-être retrouverons-nous Parella ? Peut-être trouverons-nous de puissants ennemis ? Il nous faudra être prudents. Espérons que nous aurons enfin des réponses...
Durant le reste de la journée, je m'entraînais au lancer de dagues. La concentration imposée par l'exercice m'obligea à me recentrer. Mais, je sentais toujours le regard du Comte derrière les fenêtres du château.
En fin d'après-midi, je pris mon bain. L'eau était chaude à souhait. Lorsque je sortis du baquet, Nadij resta seule pour m'habiller. Elle me dit :
- Madame, des rôdeurs sont venus voir le Comte hier soir. Ils sont partis du château ce matin, lorsque vous êtes arrivée avec vos compagnons. Mais hier, ils ont parlé au Comte d'activités dans les anciennes mines. Le Comte leur a dit de ne rien faire et qu'il enverrait des personnes de confiance enquêter.
- Les personnes de confiance, ajoutais-je, sont déjà mandatées par le Comte : ce seront mes compagnons et moi-même. Mais, Nadij, as-tu rempli la mission que je t'avais confiée ?
La jeune servante plongea une main dans les replis de sa robe avec un air triomphant. Elle en sortit un peigne en nacre qu'elle me tendit. Je le pris pour l'observer :
- C'est bien ce peigne... Tu es douée, Nadij !
- Merci, Madame.
- Qu'as-tu ressenti lorsque tu as volé ce peigne, Nadij ?
Je scrutais chacune de ses réactions alors qu'elle me répondit :
- J'étais presque paralysée par la peur au début... Lorsque j'ai trouvé le peigne et que je suis partie sans être inquiétée, j'ai ressenti une telle vague de plaisir, une telle impression de puissance...
- Voilà le danger, Nadij, l'interrompis-je. Tu ne dois en aucune façon t'abandonner à une quelconque émotion, à un quelconque sentiment. Ce sont les pièges de l'âme ! Tu dois te maîtriser. Alors, comme tu n'es pas digne de ta récompense, tu devras remettre ce peigne à sa place sans que personne ne le sache...
- Madame, vous voulez me faire prendre ?...
- Non, j'ai d'autres plans pour toi. Mais, je veux être sûre que tu as bien compris la leçon : rien ne doit t'écarter de ton objectif, pas même toi !
- Mais, vous me faites prendre de grands risques...
- Les risques ?!... que crois-tu, petite sotte ? Etre une courtisane, c'est s'exposer au danger. N'oublie jamais que nous vivons dans un monde fait par les hommes. Dès que tu commenceras à te comporter de façon indépendante et que tu t'assumeras, beaucoup de mâles voudront te posséder. Je vais te donner ton épreuve suivante. Lorsque tu auras remis le peigne en place, je veux que tu séduises le Comte !
- Le... commença-t-elle, les yeux ronds et grands ouverts !
- ...Tu es ambitieuse, Nadij, la coupais-je ! Prouve-moi que tu mérites bien mes leçons !...
Je laissais Nadij à ses pensées. Je descendis à la salle à manger. Comme toujours, j'arrivais en retard. Je ménageais mes effets. Je portais une robe de la femme du Comte que ce dernier m'avait fait livrer dans l'après-midi. Elle était très belle et mettait mes formes en valeur. Cette fois-ci, je n'avais pas montré la robe à Ombre Dansante. Avant d'entrer dans la salle du banquet, je me remémorais la remarque de Nadij, plus tôt dans la salle de bain.
Elle m'admirait après m'avoir habillée de la robe de feue la Comtesse :
- Pourquoi avoir accepté de porter une si belle robe, si vous avez l'intention de vous refuser au Comte ?... dit-elle alors qu'elle me mangeait du regard.
- Nadij, répondis-je en riant et en tournant sur moi-même pour faire voleter la robe, si j'ai accepté c'est d'abord parce que, en portant cette robe, je me sens belle...
- Je croyais qu'il fallait se méfier de ses propres émotions ?...
- Nadij, j'ai l'intention que le Comte comprenne que je ne serais jamais à lui. Et s'il réagit comme je le pense, et si tu es à la hauteur... tu auras une place à occuper !
- Mais, je ne suis qu'une...
- … Une roturière ?... Bien sûr ! Tu ne seras jamais une Comtesse ! Mais... tu peux être une concubine... Nadij, si tu as œuvré comme je te l'ai dit, en étant le plus possible en la présence du Comte, il ne peut que t'avoir remarquée. Aussi fais-toi la plus séduisante possible. N'en fais pas trop, tout de même !
- Sauf votre respect, je vous croyais quelqu'un de droit, Madame...
- Ecoute moi bien, petite sotte, coupais-je d'un ton impératif ! C'est un monde d'hommes. La morale, ce sont eux qui l'ont inventée pour ne pas avoir à partager le pouvoir. Si tu veux sortir de ta condition, il te faudra prendre ta vie en main. Tu devras choisir entre tes règles et leur morale ! Ce soir, le Comte sera déçu par moi : alors... profites-en !
A mon entrée, le Comte m'accueillit comme à chaque fois en vantant ma beauté. En voyant humains et elfes m'admirer, je savais que j'étais désirable. Alors, je lançai la première banderille :
- Monsieur le Comte, votre femme devait être sublime dans ces atours. Je comprends combien vous l'aimiez ! Il ne me répondit pas et hésita un instant. Je partais vers ma place habituelle, près d'Ombre Dansante. Je mis du feu dans mes mouvements. Voyant le regard gourmand de Nadij (elle s'occupait des boissons pendant le repas), je lançai la deuxième banderille :
- Monsieur le Comte, je ne serais jamais assez humaine pour être anoblie et toujours trop roturière pour vous mériter...
Il tenta :
- Madame, vous êtes prêtresse. Votre...
Me retournant, je le coupai en plein élan avec un regard froid qui le fusilla (l'estocade finale) :
- Monsieur, je ne serais jamais à vous. Mon cœur est déjà pris. N'en parlons plus... il suffit !
Je m'installais près d'Ombre Dansante qui me chuchota :
- Tu aurais pu prendre des gants. Nous sommes ses hôtes : il pourrait se sentir insulté...
- Aujourd'hui reine, demain mendiante ! Être libre, c'est toute ma vie ! Et tu le sais bien... ronronnais-je, péronnelle, près de lui.
Le Comte partit s'asseoir comme sonné par ma répartie. Je vis le regard noir que me lança son capitaine. Le repas fut assez silencieux. Je ne proposai aucun chant, aucune histoire et personne ne me le demanda.
Ce soir-là, après le repas, je sortis seule respirer l'air frais sur les remparts du château. Les étoiles et la lune étaient les seuls témoins des caresses que me prodiguaient les vents. Ils faisaient voler mes cheveux roux et claquer mes vêtements. Après le salut aux vents, ceux-ci s'en retournèrent suivre leur chemin qui les menaient toujours plus loin. Soudain, des pas crissèrent derrière moi. Je me retournai par réflexe et vis le capitaine qui commandait la garde du Comte sortir de l'ombre. Il me dévisagea. Un rapide tour d'horizon me permit de comprendre que nous étions seuls sur les remparts. Il a du congédier les gardes. Un instant, la peur m'envahit, mais vite, je repris une contenance pour affronter le regard de cet intrus. Je me concentrai sans rien laisser paraître et dans un souffle à peine perceptible, j'incantai :
Mère des sylphes et des vents
Je te demande assistance
Soutiens-moi par tes chants
Que ton fils
Le grand Vent
Tourbillonne autour de moi
Et éloigne mes ennemis
Soudainement
La puissance des vents me fit frissonner. Je me concentrais afin de retenir l'énergie qui m'envahit et retarder l'envoi du sortilège. Je lançais un regard de défi au capitaine :
- Que voulez-vous, capitaine ?...
- … Pour qui vous prenez-vous, Madame ? Toute prêtresse que vous êtes, vous devez respecter le Comte !... Me cria-t-il.
- … Alors que lui a le droit de me manquer de respect pour m'avoir dans son lit ?!...
Je le fusillais du regard (pour qui se prenait-il pour me juger ?).
- Vous n'êtes qu'une catin, surenchérit le capitaine. Vous aguichez le Comte pour le séduire... Je vois dans votre jeu...
Un souvenir s'imposa à moi : ma mère me disait d'un air désabusé : « tu seras belle, ma fille... décidément rien ne sera simple... ».
Je relâchai ma concentration et libérai les énergies magiques : un sylphe, tel un gros tourbillon d'air d'environ deux mètres de diamètre, apparût dans le dos du capitaine. Je parlai à l'élémentaire en langage venteux que le soldat ne connaissait pas :
- Attends mon signal !
Je regardais le soldat qui s'approchait, dans les yeux. Il se planta devant moi, à quelques mètres. Il tentait de m'impressionner en m'imposant sa masse musculaire. Il faisait une tête de plus que moi et portait une armure de cuir renforcée par des bandes de fer. Il avait au côté une épée à deux mains. Je restais fière lorsque je lui parlais :
- Si le Comte est attiré par moi, je n'y peux rien. Veuillez me laisser, capitaine, je voudrais rester seule !
Il me prit par le bras en me faisant mal. Voyant que je souffrais, je vis le sylphe s'approcher, prêt à intervenir pour me protéger. Je regardai froidement le capitaine dans les yeux :
- Lâchez-moi ! Vous me faîtes mal !
S'ensuivit un duel de regard... il fut le premier à baisser les yeux. Je profitais de cette seconde d'inattention pour me dégager et reculer de quelques pas. Je laissais parler ma colère :
- Maudit maraud ! C'est moi qui choisis mes amants, qu'il soit roi ou gueux ! Jamais je ne serais à lui... ni à vous !
- Garce, je vais te faire ravaler tes paroles...
Il sortit son épée. Je fis un signe au sylphe qui l'attaqua aussitôt. Le combat s'engagea entre le tourbillon vivant et le guerrier adroit. Mais, le sylphe n'était pas assez puissant et finit par se dissiper dans l'air. Le guerrier se tourna alors vers moi, haletant après la tension du combat contre l'élémentaire. Ses doigts blanchirent sous la puissance de sa prise sur le pommeau de l'épée. Je me préparais à toute éventualité en incantant une prière :
Akkadie, Déesse de l'Air
Frappe avec ta colère
Et tes hydres de feu
Qu'elles tombent sur la tête
Et sur le cœur des ennemis
De ta servante.
Mes cheveux se soulevèrent grâce à l'électricité statique qui me parcourut le corps. Je sentis de petits éclairs entre mes doigts. Avec un effort mental, je retenais de nouveau l'énergie de la foudre. Avant de lâcher la puissante magie sur cet impudent, je le mis en garde :
- N'approchez pas de moi ou je vous grille sur place. J'ai vaincu des géants et des grands monstres... Ce n'est pas un soldat, fut-il capitaine, qui me fera peur...
Je le vis hésiter. Il connaît la réputation de notre groupe : c'est bien ! J'insistais :
- Je ne suis pas votre ennemi, capitaine. Certes, le Comte me veut pour compagne. Mais, je vous l'ai déjà dit et je vous le répète encore : je ne serais jamais à lui ! Alors, cessons cet affrontement ridicule... Nous avons un ennemi commun qui est en dehors de ces murs, tapi dans l'ombre. Il se nourrit de nos dissensions. Aussi, je vous en conjure : écoutez-moi. Faisons la paix...
Il baissa les yeux. Il semblait ne pas savoir quelle décision prendre. Son front humide trahissait le conflit qui l'immobilisait. Soudain, il rengaina son épée et repartit sans un mot. Alors, je levais les bras au ciel pour relâcher les énergies magiques que je retenais. La foudre monta vers le ciel pour se perdre dans les quelques nuages disséminés. Le crépitement électrique fit se retourner le capitaine. Voyant la puissance que je venais de libérer, il préféra se soustraire de mon regard et disparaître dans la nuit en maugréant.
Je restais encore quelques minutes à regarder les étoiles. Puis, je m'en retournai dans la chambre. Ombre Dansante dormait déjà, de ce sommeil elfique sans rêve qui ne durait jamais plus de quelques heures.
Le lendemain matin, aux aurores, nous partîmes pour les anciennes mines. Jack conduisait le chariot à mes côtés. A l'arrière de la carriole, derrière moi, Lucifer ronronnait à l'abri. J'avais permis à mon chat noir de m'accompagner, car nous allions nous éloigner du château plus qu'il ne le fallait pour ne pas sentir nos âmes s'échapper.
Le surlendemain, nous arrivions dans des collines boisées. Suivant les indications du Comte, très vite, nous trouvions une ancienne route qui menait directement à l'entrée d'une mine désaffectée. Jack mit la charrette à l'abri d'une combe, derrière des buissons denses.
L'ouverture de la mine n'était pas obstruée. Je n'eus pas besoin d'allumer une torche : le peu de lumière qui pénétrait en ces lieux nous suffisait pour voir. Le couloir était large pour nous permettre d'avancer à quatre de front. Je me tenais le long de la paroi de gauche. Lucifer était devant, entre Eliodys et moi. Balak était le suivant, au centre de ce large couloir, et enfin, Ombre Dansante suivait le mur droit. Ce dernier nous demanda soudainement de nous arrêter. Une ouverture conduisait sur sa droite, vers une salle d'où nous entendions de l'eau couler. L'elfe confirma rapidement qu'il y avait une fontaine, qu'il n'y avait personne et pas d'autre issue. Nous continuions à progresser. Soudain, nous fûmes les cibles de carreaux d'arbalètes et d'une boule de feu.
J'ai froid. Je me relève et me précipite vers Lucifer. Je tombe à genoux devant ce petit corps calciné. Ma douleur, émotionnelle, mais aussi au cœur de mon âme, est forte. Soudain, je sens de nouveau la vie s'écouler en moi. Oui, je sens de nouveau la présence de Lucifer... Il se relève et s'ébroue pour chasser les cendres qui le couvrent. Il paraît plus grand et plus fort. C'est bien cela, je ressens de nouveau ma puissance revenir. Je caresse le chat neuf vie. Eliodys aussi est brûlé gravement. Je me précipite vers l'elfe pour soigner ses brûlures qui s'avèrent profondes :
Dame des Vents,
Par mes mains,
Apporte le soulagement à cette âme
Et rends-la pure aux drames !
Les blessures de l'elfe se résorbent et disparaissent, ne laissant aucune cicatrice. Eliodys revient à lui alors que mes deux autres compagnons se battent toujours dans le virage. Je me relève en criant :
- Eliodys, nous avons besoin de ta force ! Va aider nos compagnons ! (Me concentrant sur les pensées de mon familier) Lucifer, attends nous à l'entrée de la grotte et ne t'expose pas !
Nous prenons enfin le dessus sur les nains mais trois d'entre eux réussissent à s'enfuir par l'entrée. Alors que mes compagnons sécurisent le fond de la grotte, je me précipite vers l'extérieur, bien qu'encore choquée par la perte de la première vie de Lucifer. Heureusement, il s'est caché dans un buisson au passage des nains. Je vois ces derniers s'enfuir derrière un bosquet. C'est dans celui-ci que Jack a caché le chariot...
Je me précipite. Je découvre une scène d'horreur : Jack est au sol dans une mare de sang ; à ses côtés, le cheval est mort. Je me précipite vers l'écuyer. Je m'agenouille et le prends dans mes bras. Il lève les yeux et me dit dans un souffle :
- Je suis désolé, Madame, je n'ai pas réussi à protéger le cheval...
Puis, ses yeux deviennent froids et son corps se relâche. J'essaie de le ranimer. Mais, je finis par comprendre qu'il n'y a plus rien à faire. Il a rendu son dernier souffle. Étreignant ce jeune corps sans vie, je crie mon impuissance à le sauver.
J'entends un bruit derrière moi qui me fait sursauter. Je tourne la tête pour voir mes trois compagnons revenir. Je dépose la tête de Jack au sol et lui ferme les yeux. Sur notre droite, nous voyons débouler le cheval d'Eliodys. Au moins, il a pu fuir ! Balak murmure alors à Eliodys :
- Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée d'emmener le petit !
- Il a été digne de son engagement jusqu'au bout, répond avec tristesse le cavalier en voyant l'épée dans la main de l'adolescent.
- En se dépêchant, lance le nain, nous pouvons encore intercepter les fuyards !
Je me lève d'un bond. De colère, je me précipite vers Balak :
- Bougre d'imbécile ! Que tes semblables aillent au diable !... Nous donnerons à Jack une sépulture digne. Et puis, est-ce toi qui parleras à ses parents ?...
- C'est à moi de parler à ses parents, m'interrompt Eliodys en posant sa main sur mon bras en signe d'apaisement ! Et tu as raison, honorons son corps pour libérer son âme ! Et que les nains aillent au diable...
Balak a un regard noir vers Eliodys. Le nain nous donne l'aide de sa grande force physique pour mettre le corps de Jack en terre.
Mes trois compagnons creusent une tombe pendant que je prépare le corps pour l'inhumer. Des larmes coulent sur mes joues durant toute l'opération. Ce doit être l'émotion de la mort et de la résurrection de Lucifer... Lorsque je finis la cérémonie religieuse, nous recouvrons le corps de terre. Enfin, Balak grave sur une stèle de pierre :
Au courageux
Ecuyer Jack
Le nain dit en reprenant ses armes :
- Nous avons assez perdu de temps. Suivons les traces !...
- Allons venger notre ami, insistais-je lourdement (ce nain m'horripile quelque fois par son impatience !).
Ombre Dansante repère vite la piste des fuyards. Armes à la main, nous la suivons en courant. Nous progressons durant deux jours sur la plaine. Nous ne nous reposons que le minimum de temps. Les traces des nains sont toujours visibles. Nous arrivons au pied de collines boisées. Nous empruntons une ancienne route laissée à l'abandon. La végétation a commencé à reprendre ses droits. Les pavements encore visibles semblent être de facture naine... d'après Balak ! La route nous mène jusqu'à l'entrée d'une grotte qui semble naturelle.
Nous nous enfonçons discrètement et prudemment dans la large cavité. Très vite, les parois laissent place à des murs et à un plafond lisses. Ce passage fait bien trois mètres de large pour trois mètres de haut. Je reste en retrait. Je suis prête à soutenir mes compagnons qui marchent devant moi en tirailleur. Lucifer se tient prudemment derrière moi. Nous avançons jusqu'à une salle circulaire.
Là, nous retrouvons les trois nains accompagnés par un guerrier de sang. Le combat s'engage. Mes compagnons sont à la peine, mais mon chant de courage leur permet de faire la différence. Les trois nains sont tués très vite (te voilà enfin vengé Jack !...). Mais le guerrier de sang met Eliodys en difficulté. Chaque fois que l'elfe le blesse, les entailles laissées dans les chairs du guerrier de sang se referment très vite. Le cavalier est touché et acculé à la défensive. Balak vient enfin l'épauler, suivi par Ombre Dansante. Alors, débordé par le surnombre, le guerrier de sang s'écroule, presque coupé en deux par la hache de Balak.
J'ai juste le temps de réajuster mes vêtements, nous reprenons aussitôt notre progression. Un nouveau couloir nous attend de l'autre côté de la salle. Nous décidons d'avancer en restant prudents.
Après une vingtaine de mètres, nous débouchons dans une nouvelle salle ronde. Soudain, nous entendons psalmodier dans l'ombre, comme une formule magique. Je me concentre aussitôt pour contrer le sortilège. Mais il est trop tard pour lancer mon sort de contre-magie. Un puissant tourbillon d'air apparaît. Ce maelström nous empêche d'approcher du magicien.
Je remarque une forme humanoïde qui s'est envolée au sommet du tourbillon. A peine ai-je remarqué l'homme que je me concentre pour être prête à le frapper. Mais avant que je lève le petit doigt, je sens tous mes muscles se tétaniser : il m'a paralysée. Il m'est impossible de bouger, impossible de parler. Ombre Dansante qui ne l'a toujours pas repéré, se concentre en observant le moindre signe de présence de notre ennemi. Hélas, je suis incapable de communiquer avec mes amis pour les prévenir. Balak Tyrim et Eliodys ont toujours les armes à la main. Ils cherchent à passer l'obstacle mais il n'arrivent pas à trouver une ouverture.
Je n'ai pas eu le temps de prévenir mes compagnons. Je suis dans leur dos et ils n'ont pas vu ma mésaventure. Je sens mon corps se tendre malgré moi : ce maudit magicien essaie de me briser la colonne vertébrale. Je suis sans défense.
Enfin, Ombre Dansante aperçoit le sorcier qui s'est élevé dans les airs. L'elfe lâche des projectiles magiques qui frappent de plein fouet le lanceur de sort. Mais, ce dernier réussit à garder sa concentration : il continue de m'entraver magiquement. Devant mon impuissance, la peur de mourir m'envahit. L'elfe enchaîne par un contre-sort. Il réussit à briser le tourbillon qui s'étiole dans l'air.
Aussitôt, Balak s'empare de ses fléchettes et touche notre adversaire par trois fois. Celui-ci tombe au sol sans briser, toutefois, sa concentration sur le sort qui me paralyse... toujours ! Eliodys se précipite avec son épée et le malmène avec deux coups puissants. Avant que le sorcier ne réagisse, Ombre Dansante l'achève avec ses projectiles magiques. Je m'écroule alors au sol, libérée... enfin !
Je me redresse sur mes coudes. Je respire fort. J'essaie de rassembler mes idées. Lucifer, inquiet, vient me lécher le visage. Sa langue rappeuse me permet de reprendre complètement conscience de mon environnement : j'ai bien failli mourir !
Je me relève. Mon dos me fait mal. Une main se pose sur mon épaule : c'est celle d'Ombre Dansante. Il me demande :
- Comment te sens-tu ?
- J'ai l'impression d'avoir été piétinée par un troupeau de chevaux ! Mais je ferais avec, répondis-je avec peine !...
Balak, qui s'est penché sur les corps des nains, nous interpelle :
- Ceux-là n'ont pas été drogués. Ils font pleinement partie de la bande de malandrins.
Eliodys a commencé à fouiller la pièce où mes compagnons ont tué le magicien. Il commente :
- Le guerrier de sang avait épuisé ses réserves de nourriture : les cadavres qui jonchent le sol ne laissent aucun doute sur l'origine de leur mort : ils sont exsangues !
Ombre Dansante se penche sur le corps du magicien et constate :
- Celui-ci porte le médaillon du dieu sombre ! S'il a visé Shen en premier, ce n'est pas un hasard. (Me regardant intensément, il ajoute) les nains ont dû raconter tes actes dans l'autre grotte. Mais, il ne s'attendait pas à s'opposer à deux lanceurs de sorts.
- Nous sommes donc sur la piste de Parella, continue Eliodys...
- Alors fouillons ces lieux, dis-je en m'étirant pour faire disparaître les courbatures.
- Oui, continua Ombre Dansante.
L'elfe se tourne vers l'autre salle et crie au nain :
- Balak, ce ne sont pas de simples malandrins. Ils devaient participer à ce qui ressemble à une véritable conspiration.
Après une heure passé à tout scruter, Balak nous rejoint. Il nous montre un plan avec une croix au niveau de la grande forêt, celle qui s'étend des marais de la Reine à Millebornes. Eliodys, de son côté, trouve un parchemin avec un message : « Le temple de la forteresse des Palefroy est à nous. Avez-vous trouvé l'identité de ceux qui ont tué notre guerrier de sang ? » Balak s'esclaffe en lisant le message :
- Ils les ont trouvés, bouffon ! Bien mal leur en a pris. (Se tournant vers nous) Messieurs, Dame, Nous avons enfin une piste pour trouver le cerveau de ces affreux...
Nous brûlons les corps des victimes du guerrier de sang. Je bénis leurs âmes afin quelles puissent quitter notre monde pour rejoindre leurs paradis. Ensuite, nous brûlons les corps des tortionnaires sans autres formes de rituels. Après ses activités mortuaires, nous partons pour le château du Comte de Palefroy.
Après trois jours de marche, nous arrivons à destination. Je laisse mes compagnons faire leur rapport au Comte. Je n'ai aucune envie de sentir son regard sur mon corps. Je pars directement pour prendre un bain et me changer.
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