IL vient pour moi

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Il vient pour moi.

Je suis sur un banc, au bord de la route. Je l'attends, mon regard perdu dans le gravier à mes pieds. Je compte les cailloux pour oublier l'angoisse qui m'étreint. Cinquante-six, cinquante-sept... Ils sont innombrables et recouvrent entièrement la voie routière. Comme j'aimerais être l'un deux, me fondre dans la masse, invisible dans cette mer de rocs miniatures ! Je pourrais ainsi lui échapper, me soustraire à mon destin fatal, déjouer le cycle sans fin de son retour.

Je pousse un soupir, et par dépit, je donne un coup de pied dans la caillasse. Jamais le cauchemar ne cessera.

Chaque jour, je suis là, sur ce banc, à guetter son arrivée. L'anxiété grandit, à mesure que les minutes défilent. De temps en temps, je jette un regard inquiet vers le coin de la rue.

Car c'est de là qu'il jaillira, monstre de métal, mastodonte d'acier au corps scintillant sous les rayons du soleil.

Quand il y a du soleil. En effet, si le déroulement du cauchemar est immuable, les détails, eux, changent souvent.

Point de soleil aujourd'hui par exemple, mais une pluie fine, pénétrante, qui s'insinue sous mes vêtements. J'ai rabattu la capuche de mon K-Way pour empêcher l'eau glacée de couler sur mon visage. Elle cache mes traits aux regards des autres. Tant mieux. Peut-être qu'ainsi, il passera sans me voir, continuera sa route pour dévorer d'autres passants, plantés sur le bas-côté, comme moi.

Cet espoir irraisonné, à peine formulé, se meurt aussitôt lorsqu'apparaîssent deux personnes. Elles s'asseyent à l'autre extrêmité du banc. Il s'agit d'un garçon et d'une fille, à peu près du même âge que moi. Un frère et une soeur peut-être, ou bien des amis. Sans se soucier de ma présence, ils bavardent, rient, sans se douter de ce qui les attend.

Ne riez pas ! ai-je envie de leur crier. Il va arriver ! Et vous manger ! Partez ! Partez avant qu'il ne soit trop tard !

Pourtant, je ne dis rien. À quoi bon ? Ils me prendront pour un fou et leur rire, moqueur, se déchaînera sur moi.

Alors, j'attends, les fesses engluées sur le bois humide du banc. Je sais qu'il faudrait que je parte, mais je reste là, prisonnier des événements, incapable de prendre une décision.

Soudain, ce que je redoute se produit. Une sourde vibration secoue le gravier. Je le vois s'agiter ; il réagit à son approche. Les cailloux tremblotent, comme s'ils frémissaient de peur, eux aussi.

J'entends son grondement à présent, puis peu après, le bruit de son souffle : Pshhhh. A chaque fois qu'il s'arrête, le son retentit. De nouvelles personnes sont dévorées.

Le prochain arrêt est pour moi, je le sais. Enfin, pour nous.

Je jette un dernier regard vers le garçon et la fille. Ils rient toujours, insouciants, et ne semblent pas lui prêter attention.

Avec désespoir, je le vois enfin tourner au coin de la rue. Il est là, Titan de fer, son long corps glissant sur l'asphalte ; il arrive, toujours plus près. Il ne me reste que quelques secondes avant de finir dans ses entrailles.

Dans une dernière tentative pour lui échapper, je ferme les yeux à m'en faire mal. Je me concentre : pourvu qu'il ne me voit pas !

Hélas, le Pshhhh tant redouté se fait entendre.

Je ne veux pas le regarder. Non, je ne veux pas !

Les secondes défilent et une voix, impatiente, dit :

"Alors, tu montes ou non ? J'ai pas toute la journée, moi !"

Enfin, j'ouvre les paupières. Il est là, devant moi. Son nom s'étale en grosses lettres noires : Bus scolaire.

Avec un soupir, je monte dans le véhicule. Chaque jour, j'aimerais que le cauchemar cesse, que le monstre ne m'avale pas, ne m'emmène pas à l'école.

Mais parfois la réalité vous rattrape. Et elle est pire qu'un cauchemar.

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