Des pièges des ténèbres tu te garderas I

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En silence, le visage fermé, Lalaith contempla l’arme noire sur le sol.

C’était un canon à flux gravitationnel. Cela, elle le savait. Lorsque Shëol, accroupie autour comme elles l’étaient toutes, tendit la main pour l’attraper, Lalaith poussa un cri qui les étonna toutes.

— Non ! N’y touchez pas. Il est peut-être défectueux, ou encore enclenché.

Lalaith scanna rapidement les environs du regard, s’attendant à voir Amryliw. Elle aurait aimé qu’il se montre. Mais le barde n’en faisait qu’à sa tête. Il était apparu la première nuit, sûrement pour les rassurer, puis la deuxième, pour chercher à en savoir plus sur la famille de son Premier-Père. C’était un filidh, un as du renseignement. Même en mission de sauvetage, officiellement là pour rendre service, il cherchait à collecter des informations.

Il doit être quelque part dans le coin, pensa Lalaith en scannant les environs du regard. Bien caché.

Lalaith n’était pas sans savoir que, bien que très voyantes lorsque le champ holographique n’était pas enclenché, les tenues des filidhean avaient des propriétés de camouflage extrêmement performantes.

Il y avait une chose pourtant qu’un mâle ældien ne pouvait dissimuler à une femelle de son espèce : son odeur. Or, la jeune semi-humaine n’en sentait aucune trace. Elle avait senti l’odeur d’Amryliw une seule fois, en étant près de lui.

Il devait avoir ses fièvres, songea-t-elle en sentant la pointe de ses oreilles rougir.

Les vieux mâles avaient leurs fièvres, également, même si cela arrivait moins fréquemment que chez un jeune.

— Oh, tu écoutes ce qu’on te dit ?

Le reproche de sa sœur ramena Lalaith sur terre. Honteuse de s’être laissée aller à de telles rêveries (surtout concernant un vieux barde-guerrier au costume et à l’alias ridicules), la perædhelleth se frotta les oreilles.

— Je réfléchissais à ce que nous devions faire, justement.

Shëol lui jeta un regard réprobateur de ses petits yeux rouges.

— Menteuse. Tu rêvassais à je-ne-sais-quoi ! J’ai vu tes oreilles rougir.

Lalaith braqua ses yeux vairons sur sa sœur. Elle savait que ses deux yeux de couleur différente la mettaient mal à l’aise.

— Cesse de dire n’importe quoi. Allons plutôt explorer les environs. Surtout, ne touchez à rien.

La petite bande se dispersa en ronchonnant. Lalaith aperçut Elarya, qui s’était plantée devant un monumental escalier. Elle vint la rejoindre.

— Tu as vu quelque chose, Rya ? lui demanda-t-elle gentiment.

— Là-haut. Quelqu’un a fait une configuration très puissante.

Lalaith leva le visage à son tour. Elle connaissait les aptitudes de sa sœur pour tout ce qui touchait aux configurations.

— Une configuration… Il s’agit peut-être de la trace psychique laissée par un ædhel des temps passés.

Mais sa sœur secoua la tête.

— Non… Il s’agit du Choix. C’est un perædhel qui a fait cela.

Le coeur de Lalaith se mit à battre plus fort. Le Choix… C’était ce qui les attendait toutes. Se pourrait-il que Caël… ?

Suivant Elarya, qui s’était mise à monter les marches blanches, Lalaith prit l’escalier.

Elle passa sans réagir devant les gravures antiques qui ornaient les murs, et qui représentaient des scènes de guerre, de chasse, de combats aériens à dos de wyrms. Devant elle, la petite queue brune d’Elarya lui indiquait la direction à suivre et il ne fallait pas perdre un instant.

Sa sœur la conduisit dans une pièce immense, au centre de laquelle trônait un khangg délabré. Les racines d’un arbre mort depuis des éons – sous lequel devait se trouver ce palais au départ – pendaient de plafond vertigineux comme les câbles rouillés d’un hardware corrompu. Au beau milieu, ce toit était crevé, laissant voir le ciel rougeoyant d’Æriban.

— Le grand soleil va bientôt se lever, prophétisa Elarya.

Lalaith hocha la tête. Oui. Il était temps de se trouver un abri.

*

Lalaith redescendit, pensive. Le rire aigu de ses sœurs – très énervant, souvent – lui fit dresser les oreilles et relever la tête, alors qu’elle descendait les dernières marches, Elarya sur ses talons. Les deux jeunes reines étaient accroupies devant son sac, pouffant et gloussant à qui mieux mieux, une série de glyphes scintillants devant leurs yeux plissés.

« Innu cria lorsque le mâle s’empara d’elle… Elle était prête à le recevoir, et pourtant, elle se sentit empalée, écartelée. – Je t’aime, lui murmura le beau guerrier dans son cou, tandis que ses ténébreux cheveux noirs brossaient son corps. »

Shëol roula sur le dos, hystérique, sous les yeux de sa sœur tout aussi hilare.

— Attends ! Jamais la jeune apprentie sidhe n’aurait pensé qu’un maître de la trempe d’Adonaith se serait intéressé à elle… Et pourtant, c’était le cas. Ah ah ! C’est nul ! Lalaith, c’est toi qui écris ces trucs à l’eau de rose ?

La susnommée les contemplait en silence, immobile. Son visage ne trahissait rien.

— Non, mentit-elle. C’est une amie, qui écrit des histoires et souhaite que je la relise.

— Une amie ! s’exclama Shelwë, pas dupe. Une amie fantôme ?

— Une fille que j’ai rencontrée sur le Ráith Mebd. Vous ne la connaissez pas.

— Mais bien sûr ! grinça sa sœur, la voix dégoulinante de sarcasme. Tu n’es allée là-bas qu’une fois, et tout le monde t’a ignoré, à cause de ta bichromie !

Lalaith lui jeta un regard dangereux.

— Pourquoi êtes-vous aussi méchantes avec elle ? fit la voix douce d’Elarya derrière. Lala est notre sœur adorée !

— Elle se la joue trop chef. Et puis, je te rassure, on n’a pas été mieux accueillies, sur ce vaisseau ! Ils n’aiment que les lumineuses. On est trop sombres pour eux… Y compris toi, Lalaith !

La susnommée garda le silence. Sans trahir la moindre hâte ou honte, elle prit le cahier à lecture psychique qu’avaient exhumé ses pestes de sœurs de son sac, le referma, et le remit à sa place.

— L’aube est imminente, et c’est le Grand Soleil cette fois. Il est énorme. Je vous conseille de vous calmer et de rassembler vos affaires pour trouver une pièce sans ouvertures, soigneusement calfeutrée, ou vous grillerez comme des petites araignées à sucre sur un grill naxien.

Le sourire dentu des deux reines s’évanouit. Leur mère leur avait bien expliqué qu’on mangeait les arthropodes sur Naxis, cette planète barbare… Et elles connaissaient également la dangerosité du Grand Soleil d’Æriban.

Les jeunes ellith s’éparpillèrent dans les couloirs en recherche d’un abri clos pour établir leur bivouac. Lalaith les regarda partir, boucla son sac, puis s’enfonça à son tour dans les couloirs.

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