Funestes Présages
Tᴜ ɴᴇ ᴅᴇᴠʀᴀɪs ᴘᴀs ʀᴇsᴛᴇʀ ɪᴄɪ. Tᴜ ᴀs ᴅᴇs ᴄʜᴏsᴇs ᴀ̀ ғᴀɪʀᴇ, ᴇᴛ ᴊᴇ ᴅᴏᴜᴛᴇ ᴏ̨ᴜ’ᴇʟʟᴇs ᴄᴏɴsɪsᴛᴇɴᴛ ᴀ̀ ᴍᴇ ᴛᴇɴɪʀ ᴄᴏᴍᴘᴀɢɴɪᴇ. Nᴏᴜs ɴᴏᴜs ʀᴇᴛʀᴏᴜᴠᴇʀᴏɴs ʙɪᴇɴ ᴀssᴇᴢ ᴛᴏ̂ᴛ. Eɴ ᴀᴛᴛᴇɴᴅᴀɴᴛ, ᴛʀᴏᴜᴠᴇ ᴄᴇ ᴏ̨ᴜᴇ ᴛᴜ ᴇs ᴠᴇɴᴜ ᴀᴄᴄᴏᴍᴘʟɪʀ.
Et si j’étais venu te voir ? T’étudier ? Parler de toi ?
Pᴇᴜ ᴘʀᴏʙᴀʙʟᴇ. Qᴜᴀɴᴛɪᴛᴇ́ ᴅ’ᴀ̂ᴍᴇs sᴏɴᴛ ᴘʟᴜs ᴍᴇ́ʀɪᴛᴀɴᴛᴇs.
C’est à moi de le décider.
Tᴜ ɴᴇ ᴛᴇ sᴏᴜᴠɪᴇɴs ᴘᴀs ᴅ’ᴇʟʟᴇs. Tᴜ ɴᴇ ᴛᴇ sᴏᴜᴠɪᴇɴs ᴍᴇ̂ᴍᴇ ᴘᴀs ᴅᴇ ᴍᴏɪ, ᴀᴠᴀɴᴛ ᴏ̨ᴜᴇ ᴊ’ᴇᴍᴘʀᴜɴᴛᴇ ʟᴀ ᴘᴇᴀᴜ ᴅ’ᴜɴ ᴋᴏxᴀsᴏ.
Je lis les cœurs et ma mémoire est parfaite. Si ce n’est pas ce que je suis censé faire, alors quoi d’autre ?
Reprenons.
Aux abords de la Rivière, dissimulés par la forêt, les clans rassemblaient leurs forces. Tu t’adonnais à une ultime cueillette avant l’attaque, perchée sur les épaules de Royan. Tu décrochais autant de fruits que possible pour compenser l’appétit dévorant de ton bras mort. Les Dai ne jeûneraient pas par ta faute ; même sur le point d’annihiler une autre espèce, et même s’ils devaient en périr.
À mesure que les étoiles coursaient le ciel, les sensations de ton dernier rêve s’estompaient, celui dans lequel une faim insoutenable t’avait ôté la vie parmi des couleurs chimériques et le déchirement de chères choses oubliées. D’une nostalgie plus aiguë que ta voracité.
Tu as confié ton trouble à Royan.
— Je suis avec toi, t’a-t-il dit. Et tous les Yudællan. T’es pas la seule avec l’estomac noué. Les Ælvn ont beau être chiants, c’est un peu… définitif.
— Y’a pas que ça. C’est comme si y’avait une chose… et c’est toujours là maintenant… une chose que je dois pas regarder trop longtemps. Ou alors je veux pas, je sais pas lequel des deux.
— Pourquoi ?
— Parce que ça changerait… quelque chose.
Tu as glissé de son dos. Il a baissé les yeux.
— Tu parles des présages ?
— Quels présages ? Toi aussi ?
Il a émis un souffle lent.
— J’ai vu un papillon kadsair, tout à l’heure.
Tu as regardé le ciel. Il faisait encore bien nuit.
— Merde…
Puis tu t’es ressaisie.
— C’est des superstitions. On n’est pas des Yu, merde quoi !
Ce mauvais auspice s’ajoutait à tes cauchemars répétés. Les clans ne se soulevaient pourtant que contre la Cité ; les Ælvn maigres et pacifiques, nourris de plantes depuis le sevrage, qui donnaient des noms de fleurs à leurs enfants – par aveu de fragilité, sans doute.
Vous ne pouviez pas perdre. La chute de la Cité justifierait les présages à elle seule. Et c’était un dôme que tu avais regardé brûler en rêve, es-tu parvenue à te convaincre. La fin des Oreilles Froides ne t’apportait ni joie ni réconfort, mais ta priorité restait le peuple dai.
— Ça ira, Royan. Je pense que c’est la ruine des Ælvn qu’on voit partout.
Tu n’aurais pas dû avoir à participer au massacre des tiens, qu’ils soient Dai ou qu’ils soient Ælvn.
L’histoire de Cerokshi t’es revenue en mémoire. Condamné à éteindre toute vie qu’il rencontrait, sa propre mère, incapable de faire couler le sang de son enfant, avait dû quérir Essal. Le guerrier s’était étonné : quel parent demande à effacer la chair de sa chair ? « Tue Cerokshi pour je n’aie pas à le faire », avait-elle supplié en lui tendant la lance née du fémur de Peliamin, seule susceptible d’arrêter le maudit. Essal avait juré que Cerokshi mourrait sans douleur.
Royan affichait un masque inquiet. Le loup rieur ne riait plus ; le monde ne tournait vraiment plus rond.
— J’ai peur qu’il t’arrive quelque chose.
Tu t’es essayée à un sourire rassurant.
— Qu’est-ce qui pourrait m’arriver ? Je suis koxji, t’as pas entendu ?
Il a secoué la tête. C’était du sérieux, cette fois. Tu n’étais pas invincible, du moins pas encore. Il ne parvenait pas à taire l’angoisse qui répétait qu’il te perdrait bientôt. Son trouble t’a effleurée, autorisée à le lire, comme il m’avait été donné de lire les épreuves et joies des créatures sur ma route.
Tu l’as enlacé.
— T’inquiète pas, Rokhah. De nous deux, c’est moi qui ai le plus besoin de toi. Depuis toujours. Toi, tu t’en sortiras.
Il a affiché la moue peinée d’un Riao sous la pluie. Peut-être n’aurais-tu rien dû dire.
— De toute façon, si on se rate, ce sera de ma faute. Je suis pas stratège. Je peux entraîner le clan, mais j’ai aucune idée de ce que chaque Riao devrait faire sur le champ de bataille. Qui a décidé que juste parce qu’on sait se battre, on fait automatiquement un bon Naræs ?
— Ben, a fait le Rokian en se ressaisissant, la plupart gèrent bof l’organisation des guerriers, mais on est pas vraiment du genre à suivre des ordres de toute façon, alors bon… Et personne attend des Naræsn qu’ils soient les meilleurs en tout.
Il s’est tapoté le menton.
— Tu pourrais déléguer.
— Déléguer… la direction du clan ?
— La stratégisation ! Tu demandes au plus intelligent de s’en charger pour toi.
Il pointait vers son visage deux index partiellement discrets.
— Et ce serait toi ?
— Ce serait moi.
— Hmm…
Tu as fait mine d’y réfléchir. Il faisait danser ses doigts autour de sa tête.
— Les Ælvn vont mourir de causes naturelles à ce rythme.
— Ah, as-tu soufflé. Si seulement Nash était ici.
Royan a pris la pique pour un oui et retrouvé son humeur joviale, poussant même un petit cri de victoire.
— Je serai le meilleur stratégisitateur que t’as jamais vu !
Ravie de sa joie renouvelée, tu t’es abstenue de lui rappeler qu’il serait aussi le premier.

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