Karezial

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— Ici, ai-je annoncé à versant de montagne.

— Ici ? a répété Haölillyo.

J’ai acquiescé.

— Oh.

Son regard amer a parcouru l’horizon flou, battu par les vents. Les Mædn n’ont pas pris garde et ont continué d’avancer, dépassant celle des leurs accrochée à l’Ælv qui les a enfin freinées. Elles ont chatoyé de vrombissements surpris, mais ont attendu, elles pour qui les temps se mélangent.

— Les Mëdh n’iront pas là-haut, m’a vainement expliqué Haölillyo, mais nous pousserons à travers les terres ocre. Tu sauras où nous retrouver.

— Toca t’accompagnera, je présume.

— Je l’espère.

L’enfant jouait à jongler, remplaçant de temps à autre les pierres que le vent lui volait.

— Mais j’espère également que nous nous reverrons, cher ami.

J’ai souri.

— Et toi, Cokra, où est-ce que tu iras ?

La Tick n’avait pas escompté devoir trancher. Elle s’est figée, comme tout Dai forcé de choisir entre ses clans.

— Ne t’inquiète pas pour moi, ai-je dit pour l’aider. Caei se trouve là-haut. Mais Toca aura besoin de quelqu’un pour contrebalancer la rigidité de Hao, ou il finira comme lui.

Elle a ouvert des yeux farouches.

— Ça le ferait pas.

— Tu es la bienvenue parmi nous, lui a dit Haölillyo. Il n’y a pas que les Mëdh que je souhaite mieux comprendre.

Elle a gloussé.

— Tu comprendrais pas tes pieds de ta tête.

L’Ælv m’a adressé un sourire entendu.

Toca n’était pas si résigné, s’accrochant à moi comme s’il craignait que je m’envole. Ses peurs n’étaient pas infondées. Je lui ai ébouriffé les cheveux et lui ai fait promettre de me saluer quand il regarderait la montagne, car je l’y surveillerais de mes yeux d’aigle.

— Tu viendras chercher mon fantôme quand t’auras trouvé celui de la Dai blonde ?

— Ce n’est pas un fantôme, ai-je dit en lui tapotant le nez. Et toi non plus.

Il a souri faiblement. Une part de lui commençait à l’accepter.

— Pense comme les Mædn, ai-je ajouté. On ne s’est pas encore quittés, et on se retrouve déjà.

Il a hoché la tête, le sourire plus assuré.

Ils se sont mis en route et éloignés, leurs traces aussitôt effacées par le souffle des vents.

— Cokra.

Elle n’a eu que quelques pas à faire, car elle flânait à l’arrière.

— Je me souviens de tout, ai-je enfin avoué.

— Tant mieux pour toi.

Elle m’a arraché un sourire.

— Non, je veux dire… Je me souviens de la fois où tu as tourné le dos à Tick. Tu as ramassé la première pierre à la sortie du clan. Elle était petite, ronde et grise. Tu l’as donné à Kidia, et tu n’es jamais revenue.

Elle m’a considéré un moment.

— Mais t’étais pas là.

— Précisément.

Elle a froncé les sourcils, les yeux baissés.

— Tu te souviens de tout ?

— Oui.

— Hao ?

— De sa naissance à maintenant.

— Toca ?

— Aussi.

— Mon enfant mort ?

— Seulement ce dont tu te souviens, ai-je dit en refoulant la peine d’une autre. Je pense avoir besoin de rencontrer l’âme qui abrite la mémoire. Et, Cokra… Je me souviens des derniers instants de Shidjaovesh.

Ma voix s’était brisée. Elle a gracieusement ignoré ma faiblesse.

— C’est pas quelque chose que les conteurs peuvent faire, normalement. Si ?

— Je ne crois pas.

— Bon. Je suppose que si quelqu’un peut comprendre ta koxji maintenant, c’est toi.

Après un court flottement, elle s’est élancée vers ses compagnons de voyage. Elle connaissait des mots d’adieu, mais ils appartenaient à des langues étrangères : elle ne les avait pas faits siens. Elle a toutefois arrêté sa course, hésitante, pour revenir vers moi.

— Petit Kwashil, j’ai ramassé tout ça pour toi.

Elle m’a offert une pile de pierres ovales ou aiguisées, lourdes ou légères, que j’ai enfouies dans mon sac, la gorge nouée. Car je savais alors – et Cokra aussi –, je savais que son esprit en désordre me suppliait là de survivre. Elle me tendait ces pierres comme elle aurait aimé pouvoir le faire, des années auparavant, à un enfant qu’un simple caillou aurait sauvé des mâchoires envenimées. Un enfant absent de tous les présents, même de celui des Mædn.

— Kaz ?

— Oui ?

— Tu ressembles à un pion de makejhi.

— D’accord.

— Fallait que je le dise.

Là-dessus, elle s’est enfuie vers la poussière, vers une Salainashra en fleur, pour rejoindre son clan d’adoption insolite. Je les ai regardés s’éloigner, fixant le dos de Toca : le deuxième Caei qui me quittait.

De l’autre côté, Mur s’abîmait derrière le mont abrupt, fui des rares pluies du désert. Il surplombait ses semblables, hanté par d’impossibles éclats spectraux ; des halos dansants qui triomphaient de la lumière envahissante de l’astre.

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