III

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Le premier soir, elle nous a rassemblés autour d’elle au réfectoire. Elle a fait des petites mises au point, sur plusieurs sujets.

La première chose qu’elle a faite, c’est de nous tendre des écussons ovales, lys couleur sang frais sur fond sang séché, donc, à coudre sur nos uniformes. Il fallait aussi qu’on retire tout le reste, à part nos groupes sanguins : noms, grades, décorations (pff, comme si on en avait eu…). Bref, tout ce qui pouvait nous identifier personnellement.

Elle tenait à ce que l’extérieur sache à quelle compagnie on appartenait, mais pas qui était qui au sein de la Compagnie.

Ensuite, elle nous a ordonné de l’appeler elle « Lin » et jamais Capitaine. Le Viking s’appelait Erik Hellason, on l’a surnommé « Erk » ou le Viking. Le petit s’appelait Kristleifur Hellason, on a tous trouvé que « Kris » était vachement plus facile à retenir.

Nos deux sergents, comme les quatre caporaux, ont gardé leur grade et leur poste jusqu’à nouvel ordre, on les a surnommés « Frisé » pour le chauve (forcément), et « Le Tondu » pour l’autre, puisqu’il ne l’était pas. Faut être logique, non ?

Chacun des frangins islandais a eu sous ses ordres un sergent, deux caporaux et la piétaille. Le médecin (devenu « Doc », forcément), l’infirmier (devenu « Nounou » malgré sa barbe et ses muscles), le cuistot (devinez son surnom…) et ses aides (Ketchup et Moutarde), dépendaient directement du Cap… de Lin.

Quand, le lendemain, on a continué le terrassement avec le Viking, Kris, lui, a eu droit à la corvée d’inventaire.

Et quand on a eu fini le premier fossé, un hélico nous a tous surpris en nous livrant pas mal de matos qui nous manquait, et de la bouffe.

Le toubib fut complètement abasourdi en ouvrant ses colis : huiles essentielles, tisanes, fils de soie pour les sutures, eau oxygénée, miel en quantités. Opium. Bon, y avait aussi du matos normal mais quand même…

Lin lui a expliqué que ses deux islandais étaient allergiques à tout ce qui était artificiel ou synthétique. « Sacré problème », qu’elle a dit, le Doc. Lin a confirmé que c’était surtout un problème pour Erk. Le Doc a pas saisi tout de suite.

Ah oui, j’avais oublié de vous dire, le toubib, c’est un petit bout de femme d’1m55, avec une poigne terrible et une technique imparable pour ne pas se faire emmerder. Et cette attitude de tout médecin qui fait que vous lui obéissez, quoi qu’il se passe. Même le Viking file doux devant elle.

La première fois qu’elle a essayé de l’obliger à obéir (son frangin lui avait déboîté l’épaule lors d’une séance d’entraînement, elle l’avait remise en place et voulait qu’il garde le bras en écharpe), il l’a soulevée, lui a roulé un patin et, avec un sourire égrillard et un lever de sourcil grivois destiné à son public (nous tous), l’a jetée sur son épaule en faisant mine de l’emporter dans sa piaule.

Lin a secoué la tête, comme si elle avait l’habitude de ses frasques. C’était sûrement le cas.

Le Doc ne maîtrisait pas encore parfaitement notre art martial vicelard, mais c’était pas un médecin pour rien. Elle savait où taper pour blesser. En frappant les reins du géant à poings fermés, elle l’a fait tomber à terre. La tronche qu’il a tirée !

On a bien rigolé, lui le premier, mais sur le coup, il avait l’air plus surpris qu’un coq qui aurait pondu ! Ensuite, il a filé doux. Surtout quand elle lui prescrivait un peu de « repos du guerrier », si vous voyez ce que je veux dire… Et si vous voyez pas, tant pis.

Cook, le cuistot (hé oui, vous pouviez pas deviner, mais c’est un ex-amerloque, alors, « Cook »), a aussi été surpris de recevoir du bio, mais c’est un taiseux, alors il nous a fait un bon gueuleton de trucs frais et on s’est régalé.

Dans le chargement de l’hélico, y avait des armes, du matos de communication dernier cri, des treillis, des rangeos, des chapeaux de brousse, des lunettes de soleil, bref, de quoi se ré-équiper un peu.

Y avait aussi des semences. Pas des clous de tapissier, non, des graines. Du terreau, de la bonne terre et des engrais bio.

Avec Ketchup, Lin a choisi le meilleur coin du caravansérail et, tous ensemble, on a créé un putain de potager en plein désert (ou presque, pleut pas souvent, ici).

Petite précision : le puits du caravansérail est un puits artésien qui descend jusqu’à l’aquifère. Il est sacrément profond et on ne manquera jamais d’eau, à moins, bien sûr, que le climat ne change drastiquement. Donc on s’est payé un potager.

Cook était trop content d’avoir des légumes frais tous les jours, Ketchup adorait jardiner et Moutarde s’est mise à faire des conserves maison.

Et nous, on a continué à creuser des trous et à charrier de la caillasse. Et puis, quand les fossés ont été creusés, on a planté au fond les piques métalliques taillées en pointe, livrées par hélico, on a tendu des toiles sur nos fossés, recouvertes de terre et on a compris pourquoi et on s’est mis à plaindre le pauvre type qui essaierait de traverser sans connaître le passage sûr. Je peux juste vous dire qu’il n’était pas en face de la porte.

On a construit, entre les deux fossés, une sorte de barbacane, un truc du Moyen-âge, poste avancé pour défendre la porte. En fait, je crois que si on avait eu une rivière à proximité, on aurait eu des douves, autour du campement, pas des fossés camouflés. Le Capitaine appliquait les principes médiévaux pour la défense de la base.

Quand on a eu fini avec le terrassement, on a recommencé le métier de soldat. Courir avec 30 kg sur le dos, tirer, apprendre les langues locales (dari, pachto, turkmène…), tout ça, quoi. Le français est devenu la langue secrète de la Compagnie, tout simplement parce que c’était une langue qui avait été peu parlée dans la région. Ceux qui parlaient français, dont moi, ont été chargé d’en apprendre les rudiments aux autres. Avec le Lys de Sang, on a élaboré un vocabulaire émaillé d’argot, histoire de compliquer encore plus le décryptage.

Les après-midi, avec déjà presque huit heures dans les pattes, on se retrouvait au réfectoire et on parlait stratégie, tactique, politique locale. Tous ensemble.

Elle voulait qu’on en sache autant qu’elle parce que, comme elle le disait, une armée n’est bonne que si le dernier de ses troufions l’est aussi. Donc, on a été formés à pas mal de trucs. Et quand la première mission est arrivée, on en a tous discutés et seuls les volontaires y sont allés.

Mais ça, c’est pour un autre chapitre.

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