VII

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Après quatre jours de marche assez épuisants, à dormir à même le sol, à bouffer des rations militaires, on a fini par arriver en position près de la forteresse des FER vers midi. C’était pas un nid d’aigle, heureusement, sinon, je pense qu’on n’aurait pas pu faire grand chose. Il aurait p’têt fallu appeler les « Roses & Rifles » – une autre compagnie – à la rescousse.

Disons qu’au fond d’une vallée en cul-de-sac quelqu’un avait construit une forteresse en s’assurant qu’il n’y avait qu’un seul accès et qu’il le surveillait bien.

Nous, on a quitté le chemin 3 bornes avant, on a escaladé la montagne par un putain de sentier de chèvres et on s’est retrouvé à surplomber la cour intérieure de la forteresse.

Baby Jane et Tito ont monté le 720 SR, Lullaby et moi avons déplié nos arcs. Inspirés des arcs à double courbure des cavaliers d’autrefois, ils sont petits mais du fait de la poulie, ont une grande puissance et donc une grande portée pour un petit encombrement.

Kris a fait un signe à P’tite Tête. Ses yeux ont perdu leur concentration pendant quelques secondes puis il a levé le pouce. C’est un télépathe émetteur et receveur, d’une grande puissance car il est capable, bizarrement, de se laisser porter par le signal de nos oreillettes et des Pissenlits. Il appelle ça « chevaucher les ondes ». La technologie des télécommunications a fait des progrès, celle de l’espionnage aussi. P’tite Tête est notre arme secrète. Il est en lien avec un autre télépathe, receveur uniquement, à la base. Il informe Lin en direct mais elle ne peut pas émettre.

L’inconvénient de cette puissance, pour P’tite tête, sont les maux de crâne – je devrais dire les migraines – qui le couchent de temps en temps. Il dit aussi que les ondes radio sont parfois rebelles, comme il dit, et qu’il dépense beaucoup d’énergie à les trouver et les apprivoiser.

La stratégie de l’équipe, c’est de flinguer les sentinelles le plus silencieusement possible et d’abattre un max de soldats avant qu’ils réagissent.

Malheureusement, il s’est passé un truc qu’on n’avait pas prévu et qu’on ne pouvait pas prévoir. La journaliste, qui avait réussi à cacher son sexe pendant tout ce temps, a été trahie par ses règles et la douleur les accompagnant. On avait envisagé qu’elle soit dans un sale état, les femmes étant généralement violées quand elles se font attraper, mais ça…

On était planqués en surplomb, le Viking avait des jumelles qu’il promenait sur la cuvette et tout à coup, il a poussé un juron et, tendant ses jumelles à son frangin, il s’est débarrassé de son harnachement, ses armes, son casque, ses lunettes, ne gardant que sa veste et son oreillette, et est descendu presque en ligne droite vers la forteresse.

- Erik ! a chuchoté Kris, reviens ici tout de suite, nom de Dieu !

- Pas le temps, frangin, qu’il a répliqué dans l’oreillette et on l’a tous entendu. On a aussi entendu Lin qui gueulait.

- Comment ça, pas le temps, Hellason ? Ça, c’est Lin.

- Ils ont découvert que c’est une femme, et ils se préparent à la violer.

Et c’est vrai qu’y avait du tumulte du côté des prisonniers. On a entendu un cri aigu, un autre juron du Viking dans les oreillettes.

- Skítt, Erik, tu vas tout foutre en l’air, a tempêté Kris.

- C’est sa vie qui sera foutue en l’air si on ne fait rien. Retardez ça. L’Archer, Lullaby, tirez.

On a obéi, on a descendu quatre sentinelles. Puis l’Adlerauge est entré en action. Baby Jane a fait tomber deux des assaillants de la journaliste d’une balle dans le cul. La honte suprême, mais ils lui tournaient le dos et elle était sûre de ne pas traverser sa cible, comme ça. Le cul, c’est tendre, ça absorbe les chocs… Elle avait un petit sourire méchant en tirant. On a tous un passé.

Erk est arrivé à la porte de la forteresse, a pris un garde par le cou – qu’il a tordu –, lui a pris son arme et a tiré une fois en l’air avec. C’était un Colt 45. Ça a fait presque autant de bruit que le Smith et Wesson de Lin. Tout le monde s’est immobilisé, nous compris. Le Viking a immédiatement lâché le flingue et sa victime et s’est retrouvé la cible de toutes les armes des FER. Il a sagement levé les mains à mi-hauteur, les montrant vides.

Le chef des FER s’est approché de lui, empêchant du coup ses hommes de tirer sur l’Islandais.

- Qu’est ce que tu viens faire ici, toi ? demanda-t-il en lui collant le canon de son arme sous le menton ce qui, du fait de la grande taille du Viking, n’est pas si facile que ça.

- Je viens chercher tes prisonniers.

- Les trois ?

- Les trois.

On était surpris, parce que la Suissesse n’était accompagnée que d’un seul caméraman. Mais Erk a saisi la chance de sauver quelqu’un d’autre.

- Et tu crois que je vais te laisser faire.

- Je l’espère, en tout cas, fit le Viking avec son merveilleux sourire. Et le chef s’est laissé avoir. Il a rangé son flingue et a fait le tour du géant.

- T’es fort ?

- C’est ce qu’on dit.

- Tu sais te battre ?

- C’est pas en triant les pois chiches que je me suis fait ces muscles, il a dit en rigolant.

De le voir si détendu, si blagueur, pas menaçant malgré sa grande taille, les FER ont plus ou moins baissé leurs armes. Nous, là-haut, on n’a rien fait, parce qu’on s’est mis à espérer – bêtement – qu’il arriverait à les récupérer sans casse. Mais aussi parce qu’un coup tiré – balle ou flèche – c’était la mort assurée pour le Viking.

Du côté des prisonniers, les mecs avaient lâché la journaliste qui essayait de se rhabiller. Erk, toujours très calme, avec son grand sourire charmeur, les mains toujours levées, seul et désarmé face à une trentaine de types armés, ne bougeait pas, attendant patiemment que le chef parle.

- Je te propose un marché, roumi.

- Je t’écoute, chef.

- Un de mes hommes est un excellent combattant mais il a du mal à trouver un adversaire à sa mesure. Alors je me disais que vous pouviez vous battre ensemble.

- Je suis un mercenaire, moi, a répondu le grand blond. Je ne me bats pas pour la gloire.

- Pour l’argent ? J’en ai pas, roumi.

- Pour les prisonniers ? qu’il a proposé, le géant.

Le chef des FER a réfléchi un moment. Pendant ce temps, Kris dévidait une litanie d’insultes sur l’intelligence de son frangin, en français, en islandais – je suppose –, et en d’autres langues. Ils sont polyglottes, nos trois officiers. Sous prétexte de se gratter, Erk a retiré son oreillette et a murmuré : « Tais-toi, frangin, j’ai besoin de concentration ». Kris l’a fermé.

- Ecoute, roumi, voilà ce qu’on va faire. Tu vas te battre contre mon homme. S’il gagne, t’es à moi et tu vas rejoindre les prisonniers. Si tu gagnes, ils sont libres.

- Qu’est-ce qui me garantit que tu ne vas pas nous courir après pour nous recapturer ? Je ne suis pas armé…

- C’est là que j’ai eu une autre idée. J’ai dit « ils sont libres ». Pas « vous êtes libres ».

- Pas sûr d’apprécier la direction que ça prend, ça…

- En fait, je te propose de rester pour leur donner de l’avance.

- Et comment ça ?

- Si tu gagnes, c’est que tu auras triomphé de mon homme. Et ça, tu vois, je ne peux pas le laisser passer. Donc, tu paieras pour sa défaite. Je te propose d’acheter leur avance avec ta souffrance.

Le Viking haussa les sourcils de surprise. Kris jura longuement.

- Il va le faire, ce con va le faire. Il va accepter ce marché de dupes !

- Kris, empêche ton frère de déconner ! dit Lin d’une voix tendue.

- Je ne peux rien faire, Lin. Il a calmé le jeu et si on se montre, si on fait quoi que ce soit, tu peux être sure qu’il y restera. Ils sont trente. Il n’y a pas d’abri dans la cour. Même toi tu ne pourrais pas t’éloigner de la trajectoire des balles assez vite.

- Il va m’entendre en rentrant, cet idiot ! Je vais lui … Elle se tut, parce que rien de ce qu’elle ferait ne serait pire que ce qui se préparait pour lui. Kris résuma la situation en disant qu’il faudrait qu’elle attende qu’il soit sorti de l’infirmerie.

En bas, la discussion avait repris.

- Donc, c’est simple, si tu gagnes contre mon homme, on t’attache à ce poteau et je te fouette. Au premier cri, je lâche mes hommes sur les prisonniers. Quand mes hommes reviendront avec, tu iras les rejoindre. Et comme tu es très beau, peut-être que je prendrai un peu de plaisir avec toi, avant.

Kris a blanchi, Erk a dégluti.

- C’est un marché difficile que tu me mets en main. Avant de dire oui, puis-je voir tes prisonniers ? Je voudrais être sûr qu’ils en vaillent la peine, tu vois. Comme je suis perdant de toute façon, autant être sûr, hein ?

- Bien sûr, je ferais pareil à ta place.

Erk se laissa conduire auprès des trois prisonniers. Lui et son frère savaient bien que, quels que soient les prisonniers, le Viking accepterait le marché. Kris se mordait le poing, rageant de ne rien pouvoir faire.

- Repérez bien où se trouve le poteau, nous a-t-il dit, puis on va descendre sur la route et remonter vers la forteresse. Parce qu’une fois que les prisonniers seront libérés, on ira sortir ce couillon de là.

En bas, le géant s’accroupit devant la journaliste qui essayait toujours de se couvrir. Il retira sa veste, l’aida à l’enfiler et à la fermer. Puis, sous couvert de la réconforter et de glisser une mèche de cheveux derrière l’oreille, il lui colla son écouteur en place. Nos oreillettes étaient autonomes à courte portée et n’utilisaient le relais de nos ceintures que pour les longues distances.

- Mon équipe est à l’autre bout. Ecoutez Kris. Il vous dira quoi faire. Avez-vous besoin de soins ? Etes-vous blessée ?

- Moi non, répondit-elle en tremblant, une lueur d’espoir dans les yeux. Mais cet homme, oui.

Erk se déplaça vers le troisième prisonnier. Il avait maigri, il n’était pas rasé, mais sa cicatrice à l’arcade sourcilière et ses yeux gris, brillants de fièvre, n’avaient pas changé.

- Salut le Gros, a-t-il dit, nous faisant tous sursauter, nous qui avions connu le deuxième Lieutenant. Tu l’as enfin fait, ton régime amaigrissant… Paraît que t’es blessé ?

Le Gros ne le connaissait pas mais, voyant un sauveur, joua le jeu. Il lui parla de son bras, une balle reçue une semaine plus tôt en tentant de s’évader et non soignée. Et là, le Viking nous a encore une fois surpris. On se déplaçait en silence pour rejoindre la route, mais chaque fois qu’on le pouvait, on jetait un œil. Et là, le Viking a … « Soigné » en partie la blessure. Kris, après coup, nous a appris qu’il était né avec le Don de Guérison. Nous on a juste vu une lumière sur la main du géant et puis on a entendu le soupir de soulagement du Gros.

- Kris ? Tu as dû entendre le deal. Je sais que tu n’approuves pas mais on va suivre ce plan. Une fois que vous avez les prisonniers, tirez-vous au plus vite. Pas de sauvetage héroïque, tu veux bien ?

- Compte là-dessus et bois de l’eau fraîche, ducon, qu’il a marmonné, le Kris en question, même s’il savait que son frère ne l’entendait pas. S’il croit être le seul à faire le héros, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate…

On était arrivé à 100 mètres de la porte et on est resté perchés sur la montagne. On voulait voir la suite. Kris a adressé la parole à la journaliste, lui donnant pour instruction de courir sur la route au plus vite dès qu’ils seraient libérés. Que c’était capital. Elle a passé sa main dans ses cheveux comme il lui demandait, pour lui dire qu’elle avait entendu et qu’elle obéirait.

Le Viking est retourné vers le chef des FER et a dit qu’il acceptait le marché.

Je ne savais pas que ça existait encore, des gens capables de se sacrifier pour les autres.



[Skítt : islandais : merde]

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