XVIII

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Ça a commencé par un appel radio.

On a deux opérateurs radio, qui se relayent toutes les quatre heures, Mike, une grande fille maigre avec un super sourire, et Phone, un p’tit gars renfermé mais très pro.

Ce soir-là, c’est Mike (raccourci de microphone en anglais) qui a prit le message en anglais

- de R&R-G1 à BLC. Mayday, Mayday. Appareils en détresse, niveau de carburant faible et base en IFAD.

- de BLC, bien reçu. Standby R&R-G1.

Mike a appelé dans le vide : « Lin pour le PC Ops » Et comme Lin a l’oreille très, très fine, elle est arrivée rapidement. En plus, sa piaule est pas très loin du PC Ops.

Mike lui a répété le message. Lin a souri et pris le micro.

- De BLC, bien reçu R&R-G1. Nombre et type d’appareil ? Parlez.

- de R&R-G1, deux hélicoptères E-assault. Parlez.

- de BLC, Autorisation d’atterrir. Pas de signalisation au sol. Vent latéral sud-sud-ouest, 10 nœuds. Cherchez des pots à fumée blanche. Parlez.

- De R&R-G1, reçu et merci, on va atterrir aux instruments, terminé.

Lin a rendu le micro à Mike et est allé chercher ses Lieutenants.

- Erik… Où es ton frère ?

- Il est retourné dormir. Pourquoi ?

Sur la défensive qu’il était, le géant. Lin l’a dévisagé un moment.

- Deux hélicos des Roses & Rifles vont se poser à l’est de la base, sur le promontoire. Tu vas avec… t’as qui de dispo ?

- L’Archer. Tu crois que Katja est à bord ?

- Je ne pense pas. Tu as l’air déçu ? Tu sais pourtant qu’elle est hors-limites !

- Je sais, Lin. Je l’aime bien, c’est tout. Je n’ai pas l’intention de braconner.

- Mouais… Bon, prenez des pots à fumée, blanche, et allez marquer une landing-zone là-bas. Trouve un endroit plutôt plat, d’accord. Et pense au vent : 10 nœuds SSO.

- Vu.

Erk étant mon lieutenant, j’ai tendance à le coller un peu, surtout quand je n’ai de mieux à foutre. Donc, comme je lui collais déjà au train, on a pu vite aller chercher les pots à fumée, on s’est couverts un peu parce que, soleil couché, y fait frais ici-bas, et on approchait de l’hiver, on a collé oreillettes et laryngophones et on est sortis avec un petit coucou pour Tito de garde à la barbacane.

On a eu à peine le temps d’en placer trois et de les allumer qu’on a entendu les rotors. Et comme, si mes souvenirs sont bons, les E-assault sont très silencieux, ça voulait dire qu’on allait se faire écrabouiller si on caltait pas vite fait.

J’ai chopé Erk par sa manche et on s’est tirés de dessous les pales. Puis le Viking m’a envoyé à la base, disant qu’il leur ferait moins peur puisqu’il n’était pas armé.

Pas armé ? Mon cul, oui ! Deux couteaux dans les bottes et sa main droite, si ça c’est pas des armes ! Vu comment il avait porté son frangin la veille, il était parfaitement capable d’en prendre un par surprise et de le placer comme bouclier avant que les autres aient le temps de réagir. Mais s’il voulait leur faire croire qu’il n’était pas dangereux, c’était pas moi, son caporal, qui allait le faire changer d’avis.

Donc, j’ai obéi. Mais, comme il était encore manchot et que Lin me tiendrait responsable s’il lui arrivait une bricole, je me suis planqué à proximité, dans l’ombre. J’ai coupé mon micro, je ne voulais pas risquer de me faire surprendre à avoir désobéi à mon officier, quand même.

Y a eu une rafale de vent qui a éteint nos pots à fumée. Merde ! J’espère que les pilotes ont pu voir où poser leurs patins !

Les deux coucous se sont posés, vachement près l’un de l’autre, mais après tout, c’était peut-être normal, j’suis pas spécialiste hélico, moi.

Quatre types sont sortis des machines, très pros, les gars, périmètre de sécurité, et tout, et tout. J’étais un peu inquiet pour le Viking, alors j’ai dégainé mon Behemoth et je l’ai armé le plus silencieusement possible. J’ai regretté de pas avoir pris mon arc. Bon, les mecs étaient en position de parade, mais leur index, sur le pontet, était tout de même un peu trop près de la détente pour ma tranquillité d’esprit.

Ensuite, de l’hélico le plus proche d’Erk est descendu un type de petite taille et… Ah, vue sa silhouette, ça doit plutôt être une minette. Ah oui, elle a retiré son casque. Plutôt mignonne, mais un peu trop sérieuse.

Du coin de l’œil, j’ai vu le grand sourire du géant. Ouais, il la trouvait mignonne, lui aussi. Elle s’est renfrognée. Le sourire d’Erk s’est un peu flétri. C’était qui, celle-là, pour le rendre triste, notre Viking ?

En fait, à force de le voir, son sourire, à force d’y succomber, on oublie que les autres n’y sont pas forcément sensibles. Oui, c’est vrai, le sourire était un peu charmeur. Mais les sourires du géant sont toujours sincères et honnêtes. J’veux pas dire qu’un mauvais sourire, ça lui arrive pas, mais c’est rare.

Bref, tout ça pour dire que de voir ce grand et beau sourire se flétrir un peu, ça m’a refroidi. Mais bon, après tout, c’étaient pas des camarades…

- Bienvenue chez nous, il a dit en anglais. Je suis Erk. On vous a gardé du bœuf bourguignon et on s’est poussé pour vous faire un peu de place pour dormir.

Il lui a tendu la main. Elle a eu l’air surpris puis elle a serré la main tendue. Peut-être par diplomatie ?

- Enchantée, je suis le Sous-lieutenant Élise Delarcy, commandant du Vème Escadron, merci de nous accueillir.

Elle s’est tournée vers ses hommes et leur a parlé dans une langue incompréhensible. J’ai juste compris des prénoms : Igor, Hermann, Fred. Y en a un des trois qui s’est placé derrière la p’tite Elise. Un type presque plus large que haut. En tout cas, même s’il est plus petit que le Viking, il a l’air d’être nettement plus large d’épaules. Un vrai bûcheron.

- Mes hommes et moi pouvons dormir où vous voulez, elle a dit en anglais, avec un putain d’accent français. Cependant j'en maintiendrai juste deux autour des appareils.

Le géant eut un grand sourire.

- Enchanté, il a répondu en français. Je vais voir si on peut vous trouver un lit avec les filles et on mettra vos gars dans la carrée qu’on a libéré. Pour les hélicos, on a huit sentinelles en périmètre, donc il n’y a pas de raison que vos hommes se les gèlent dans les machines…

Il lui a jeté un regard en coulisse puis a repris :

- Après, ce sont vos hommes, à vous de voir. Vous voulez faire un roulement, pour le dîner ?

La jeune femme – si je continue à l’appeler minette, je vais me faire remonter les bretelles par Lin, Kris ET Erk. Non merci – a enfin regardé le géant en face. J’ai eu l’impression que sa vision des choses changeait.

- Ecoutez, Erk, nous allons profiter de vos sentinelles. Pouvez-vous loger deux hommes de plus ?

Il réfléchit un instant.

- Je dois voir ça avec Cook, mais je pense qu’on peut arriver à faire deux lits de plus au mess. Et comme ça, vos hommes seront les premiers pour le p’tit déj, rajouta-t-il avec un grand sourire.

J’ai eu l’impression qu’elle se dégelait un peu, la miss Casque-à-boulons. Puis elle s’est refermée de nouveau. Putain, je sais pas quels sont ses principes, mais j’ai l’impression que y a un crâne bien dur tout autour…

Il s’est un peu raidi, puis il a fait demi-tour vers la base. Je l’ai suivi, discret, en parallèle. A sa démarche, j’ai vu que quelque chose le contrariait légèrement. La froideur du sous-lieut’ ? En tout cas, comme nous tous il connaissait le chemin plutôt bien et avançait un peu vite, les laissant se démerder dans le noir. Ils ne sont pas cons non plus, ils ont allumé leurs lampes de poche.

Il s’est retourné vers eux.

- Désolé, on est en furtif, donc si vous pouviez éteindre vos loupiotes…

Hein ? Quoi ?

Elle a traduit puis a demandé le pourquoi du furtif. Il a répondu qu’il y avait un sniper dans le coin [première nouvelle, ça !] et qu’on restait en furtif pour éviter de se faire descendre [de quoi, de quoi ?!!].

Elle a eu un drôle d’air, comme si, un : elle le croyait, deux : elle comprenait, trois : elle se foutait de nous. J’ai pas trop aimé, mais comme j’étais sensé être à la base, je pouvais pas moufter.

Il a eu un sourire narquois avec un haussement de sourcils qu’on connaissait bien et il est reparti vers la base. Je continuais à suivre dans l’ombre. Il s’est tourné vers moi à un moment, comme par hasard. Putain, j’ai dû me faire repérer ! Je me suis immobilisé.

- Radio ? il a demandé soudain, dans le vide. Miss Casque-à-boulons a sursauté, surprise, et failli répondre, mais il a continué. J’imagine qu’avec la lune au premier quartier, elle n’avait pas vu le laryngophone. En même temps, c’est ce qu’on voulait, nous, qu’il soit invisible.

- Oui, Erk ?

- Tu peux dire à Lin qu’ils sont là ?

- Elle est là, elle a entendu.

- OK. Et préviens Cook : deux lits de plus au mess et du bourguignon pour neuf. Dix, j’ai un petit creux.

- Ventre à pattes !

- Quoi ?

- Lin a dit : « ventre à pattes » et m’a demandé de transmettre.

- Ah ah, très drôle. Je te signale que je suis en pleine convalescence, hein !

- La bonne excuse ! Bon, votre ETA ?

- Répète ?

- Je demandais votre ETA. T’es sourd ?

- Oh ! Non, y a du vent. ETA 3 minutes. Over and out.

Il s’est tourné vers elle.

- Bon, le dîner vous attend. Par contre, je suis bien embêté pour vos hélicos.

- Comment ça ? Vous disiez avoir des sentinelles…

- Oui, bien sûr et deux chiens-loups. Mais c’est bien tankkaus que vous avez dit tout à l’heure. Ça vaut bien dire faire le plein en finnois ?

- Oui, en effet. Vous parlez finnois ?

- Non, mais ça, je connais. Quand on se balade à moto, ça fait partie des choses qu’on apprend dans toutes les langues. Ça, et les mots d’amour.

Encore un grand sourire, mais il y avait un peu d’ironie.

- Malheureusement, nous n’avons que du gasoil pour la Jeep, pas de kérosène.

- Ah. C’est fâcheux.

- Oui.

Erk approchait de la barbacane alors j’ai filé rejoindre Frisé à la porte. Pour ce faire, j’ai sprinté à travers la caillasse, en faisant rouler quelques-unes, puis j’ai sauté par-dessus les sacs de sable. Tito m’a regardé passer sans rien dire et Frisé, un peu plus loin à la porte du caravansérail, m’a fusillé du regard. Je lui ai donné mon meilleur sourire de Viking, mais, j’sais pas pourquoi, ça marche moins bien quand c’est moi qui le fais. Il a secoué la tête en me disant qu’il ne me couvrirait pas. Je m’y attendais pas, de toute façon.

A la barbacane, Tito a posé une question qui fait office de mot de passe, puisqu’elle est en islandais. On sait pas trop ce que ça veut dire, mais on doit répondre par son nom.

- Hver er þar ?

- Víkingurinn et neuf amis.

- OK, passez.

- Merci Tito. Va falloir que tu soignes ton accent, mon petit.

Tito a grommelé un truc du genre : « Je t’en foutrais du ‘mon petit’. Attends un peu d’avoir récupéré tes deux bras, mon grand, que je te mette une déculottée à l’ahemvé » puis a prévenu Frisé en argot. Ça a donné un truc comme : « Vingt-deux Frisé, v’la le loufiat qui se radine avec neuf aminches. ».

Le géant et les neuf R&R se sont donc pointés, Frisé leur a demandé poliment de baisser leurs armes, vu qu’on était entre amis ici et qu’ils pouvaient se détendre.

Mam’zelle Casque-à-boulons s’est raidie un moment, puis, voyant le sourire narquois du Viking, a dit à ses hommes de ranger l’artillerie. Enfin, elle est très service-service, alors elle a plutôt dit ça militairement, mais j’ai oublié comment alors hein…

Erk lui a proposé de coucher tous ses gars au même endroit, ce qui voulait dire au mess sur des matelas par terre. Ça a eu l’air de lui convenir.

Il a demandé à Frisé de prévenir les sentinelles de garder un œil sur les appareils et d’envoyer JD poster Alpha près des tondeuses à gazon inversées (les hélicos).

Les yeux bleu bourrache d’Erk se sont ensuite posés sur moi et je me suis senti encore plus petit que Tito ou même que Doc.

- L’Archer, demain t’es de corvée laverie.

Meeerde… C’est pas la corvée la pire. La plus chiante, c’est de vider la fosse septique. Comme pour le village. Mais la laverie, c’est d’un ennui mortel. T’as trois grosses machines à laver à hublot et deux séchoirs. J’ai tendance à me laisser hypnotiser par le linge qui tourne, comme avec la télé, mais c’est un peu toujours le même programme : ocre, ocre, ocre, avec, depuis trois mois, un peu de sang séché par ci par là. Des fois, c’est comme Koh-Lanta, mais je sais jamais si c’est le tee-shirt ou le slibard qui va se faire virer… On s’amuse comme on peut, hein ? Oh, on a le droit de bouquiner, mais j’ai plus rien à lire. Ça me fait penser qu’il faudra que je passe commande. Y a un bouquin d’heroic fantasy qui me plait bien, une histoire de paladin avec un monde plutôt bien construit. Bref…

- En attendant, il a continué, emmène les gars au mess, qu’ils se posent un peu. Tu leur montres la salle d’eau et le reste. Mets des serviettes et du gel douche à dispo. Tu me retrouves au mess dans cinq minutes, avec tes invités. Compris ?

J’ai voulu répondre une bêtise, mais ses yeux étaient tellement sérieux que j’ai salué et : « A vos ordres ! ». J’avais failli rajouter un « mon lieutenant » retentissant, mais l’habitude de ne plus utiliser les grades m’a évité une bourde.

Erk a accompagné la p’tite Elise jusqu’à la piaule des filles. Oui, on a huit filles, alors on les a mises dans la plus grande des chambrées. Et comme Lul… Higgins est partie, on avait un châlit de dispo.

Quand j’ai rapatrié mes gonzes au mess, le Viking était déjà là, avec Lin, le Gros et Kris qu’avait l’air de pas avoir les yeux en face des trous. La p’tite Elise aussi. J’veux dire qu’elle était là aussi, pas qu’elle avait pas les yeux en face des trous.

Pendant que les R&R se régalaient du bœuf bourguignon de Cook et que Kris – et non Erk – partageait leur repas, le géant m’a chopé du regard et m’a intimé de sortir.

Sous les arcades, il m’a dévisagé un moment.

- Tu sais pourquoi tu es de corvée laverie, demain ?

- Oui.

- Bien. Quand je te donne un ordre, veille à l’exécuter recta, mon pote. Sinon, ça va mal se finir.

- Erk, je pouvais pas te laisser seul face à ces types surarmés et en meilleure forme que toi.

Il a froncé les sourcils, j’ai senti poindre une colère. Merdouille.

- Ecoute, si tu m’as dans les pattes ces derniers temps, c’est pas uniquement parce que t’es mon officier. C’est aussi parce que Lin m’a demandé de garder un œil sur toi.

- Pourquoi ? A cause de… de ce qui s’est passé ?

- Ouais, mais pas que… et j’ai rougi, bêtement.

Il s’est redressé. Comme il est vachement plus grand que nous, quand il nous remonte les bretelles, il se penche toujours vers nous.

- Oh. T’es son petit toutou, maintenant ?

- Bordel, pourquoi t’es aussi vexant ? Aussi con, même ? C’était juste une fois, d’accord ? J’en attends rien, même si elle me plaît ? OK ?

Il a eu encore un grand sourire un peu ironique, a tendu le bras et m’a ébouriffé les cheveux. Bon, avec la coupe daguet, y a pas grand-chose à décoiffer, mais le geste était là.

- Je voulais être sûr que tu ne t’en servirais pas.

J’étais vexé comme un pou.

- Merci pour elle, l’Archer. C’est difficile, à son niveau, de trouver quelqu’un qui veuille bien lui tenir compagnie sans faire pression sur elle.

- Ben …

J’savais pas quoi répondre. Son sourire est devenu vachement plus gentil. Il a passé son bras sur mes épaules et m’a reconduit au mess.

- Allez, viendez, mon pote. T’es quand même de corvée demain.

* *

L’ahemvé dont parle Tito, c’est finalement le nom de notre Art Martial Vicelard, dont les initiales sont A M V : ahemvé. Ça emmêle les ceusses qui connaissent pas, c’est plutôt marrant.

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