XXXVI

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La première des idées, c’était de mesurer et améliorer la capacité de JD et de Yaka à communiquer. Il a donné à JD trois noms : Quenotte, Tito, moi. Quenotte devait montrer à Yaka un insigne de la Compagnie, Tito, son groupe sanguin, et moi, une pointe de flèche. Yaka devait transmettre l’image à JD.

JD, incapable de comprendre comment parler dans la tête du chien, si vous voyez ce que je veux dire, a mis un certain moment à comprendre ce que Kris voulait. Puis il a eu l’idée de penser à Quenotte très fort, sans le regarder, juste dans sa tête. Yaka a tourné la tête vers le rouquin, puis vers JD. Elle avait compris de qui il parlait, mais pas ce qu’il voulait.

- Attends, JD, j’ai une idée, on va demander à P’tite Tête de venir t’aider.
- Je crois qu’il est de patrouille Ocelot, Kris. Je vérifie auprès de Phone, j’ai dit en appelant le PC Ops.

Et en effet, il était en patrouille.

- Je vais me débrouiller, Kris. J’ai une idée.

Pendant tout ce temps, Yaka était très attentive. JD a pris sa tête entre ses mains et s’est concentré de nouveau. La chienne a aboyé, a échappé au maître-chien et est venue se poser devant Quenotte, qui a tout de suite obéi à l’instruction donnée. Elle est revenue poser ses pattes sur les jambes de JD et il a eu un rire incrédule.

- Ça a marché ! Qu’est-ce que t’es maligne, toi !

Elle s’est tortillée de plaisir et lui a léché le visage.

L’expérience, renouvelée avec Tito puis moi, a été plus que concluante. Plus tard, JD testerait avec Alpha, mais le mâle était nettement moins réceptif. Il comprenait les ordres oraux, mais mentaux, jamais. En tout cas, pas venant de JD. Mais aucun d’entre nous n’avait la patience ou le temps de dresser le chien-loup à autre chose que ce qu’il savait déjà faire et pour quoi il était plutôt bon, à savoir garder la base et tuer un humain discrètement. C’est pourquoi c’était Yaka en patrouille et pas Alpha.

Ensuite Kris est passé à la suite et nous a fait bien flipper, ce con. Il a dit à Baby Jane de se mettre en position de tir. Pour elle, ça veut dire à plat ventre avec son MKSR.

Ensuite, il est allé se placer devant une cible, jambes un peu écartées. Via le laryngophone, il a demandé :

- Tu vois le noir, là, Baby Jane ?
- Non.

Il s’est retourné, a tordu le fil de fer pour baisser le carton et a reposé la même question.

- Ouais, juste sous tes couilles ! elle a dit pour rigoler.
- Alors vise bien, ma belle.
- T’es sérieux ?! Elle était complètement ahurie.
- Très. Tire.
- Mais… Putain, Kris, t’es malade !

Nous, on se demandait si on devait intervenir. Parce que là, ça devenait bizarre. J’ai regardé le Viking, mais il était concentré sur Alyss et n’avait pas vraiment fait gaffe, même si, comme nous tous, il entendait tout.

Ce que j’ai appris plus tard, c’est que Phone, inquiet de la tournure des événements, avait prévenu Lin qui s’était équipée elle aussi et qui écoutait tout. Et, pareil, elle ne savait pas si elle devait intervenir ou si Erk le ferait. Normalement, nos conversations ne sont écoutées que si on est en patrouille. Mais là, faut avouer que le sujet méritait qu’on s’y intéresse.

- Baby Jane, j’ai confiance en toi. Je sais que tu ne me toucheras pas.
- Mais…
- Tire.

Il était super calme, les bras croisés, bien d’aplomb sur ses deux jambes.

Elle a obéi. Parce qu’il avait confiance en elle. Et parce qu’Erk était juste à côté.

Le coup est parti, Kris n’a pas bougé d’un poil. Il a quand même passé la main sur son pantalon, entre ses jambes, avant de rapporter le carton à Baby Jane, planqué dans son dos. Il avait un gigantesque sourire sur le visage.

Baby Jane, elle, avait été tellement tendue juste avant de tirer, qu’elle avait posé sa tête sur le flingue, lessivée. Il s’est approché, a posé sa main sur son épaule et a dit :

- T’es vraiment la reine des tireurs d’élite !

Il lui a montré le carton : en plein dans le mille. Et son pantalon était intact.

- C’était pour quoi, cet exercice, à part me faire perdre cinq années de ma vie ?
- Attends, c’est pas fini, et il est reparti vers les cibles.

Au PC Ops, Lin a regardé Phone et Phone l’a regardé.

- Il est vraiment malade, ce type, il a dit.
- Je vais commencer à le croire, oui…

Kris s’est placé devant les cibles, de nouveau, mais cette fois-ci il a montré un des petits cailloux jaunes à la miss.

- T’es trop près, Kris.
- Moins que mes bijoux de famille tout à l’heure. Tire.

Le coup est parti, le caillou a giclé. Kris s’est déplacé près d’un autre caillou.

- Tire.

Elle a secoué la tête. Il était vraiment très près. Mais il avait confiance en elle et le Viking était juste à côté. Elle a tiré, Kris a changé d’aplomb et s’est retrouvé entre le caillou et la balle. Et c’était pas du 9mm. Et Erk a hurlé en se précipitant vers son frangin. Et le caillou a explosé, sans gerbe de sang. Et Kris a éclaté de rire avant de se retrouver secoué comme un prunier par son géant de frère.

- Espèce de petit con ! Le Viking était franchement en colère et Kris était mort de rire. Putain, Kris, qu’est-ce qui t’es passé par la tête ?
- Pas une balle, en tout cas, et il est reparti à rire.
- Et tu trouves ça drôle, crétin de mes deux ?
- Ouais !

Ça l’a désarmé, le Viking. Il a lâché son frangin. Et lui a balancé une droite. Bien sèche, au menton. Et Kris est parti en arrière, s’est retrouvé le cul par terre, un gros bleu naissant sur la joue. Et quand Erk a approché sa main pour Soigner le bleu, Kris a eu un mouvement de recul.

- Putain, tu cognes fort, ducon. Il a levé une main, je l’avais plus ou moins mérité.

Erk a soufflé, bien agacé, a Soigné le bleu.

- Bon, maintenant, tu nous expliques ?
- Je voulais tester une théorie.

Comme on le regardait sans rien dire, il a continué, un peu moins sûr de lui.

- La première fois, à la forteresse des FER, Baby Jane a touché ses deux cibles malgré leurs mouvements et sans les traverser. Avec les munitions de l’Adlerauge, même en tirant dans le cul, c’est quasiment impossible. Même à 700m comme on l’était. Et quand elle a flingué les types qui nous ont rejoints, les mecs étaient bel et bien traversés. Alors ça m’a fait réfléchir.
- Un jour à marquer d’une pierre blanche ! a fait Erk, attentif mais passablement énervé par les risques pris par Kris, qui l’a fusillé du regard. Bon, accouche, un peu. T’as réfléchi, ça, c’est toi qui le dis, mais quels sont les résultats de tes réflexions, ô miroir sans tain ?

On a discrètement ricané. Kris a grimacé.

- Baby Jane est télékinétique.

Gros silence et grands yeux ahuris de la susnommée.

- Et comment arrives-tu à cette conclusion ? Erk était toujours sérieux, bras croisés. A part avec la forteresse, qui pourrait être un coup de bol.
- Le tir à l’instant. Je me suis déporté devant la cible et pourtant la balle ne m’a même pas effleuré et le caillou a quand même été touché.
- Et y avait pas moyen de tester ça sans mettre ta vie en danger ? Sans foutre la trouille de sa vie à Baby Jane ?
- Non, parce que je pense que c’est instinctif. Baby Jane ne contrôle pas ce don.
- Et comment tu le sais, ça ?
- Baby Jane, vise le troisième caillou orange en partant de ma droite et touche le deuxième.

Elle a secoué la tête, puis a obéi. Et c’est le troisième caillou qui a explosé.

- Désolée, Kris.

Celui-ci a regardé son immense frangin.

- Je pense que si je me mettais devant ce caillou… Il se tut devant l’expression d’intense colère de son frère. Mais je ne le ferai pas, Erik, c’est promis.
- Tu as intérêt à respecter cette promesse, Kris. Tu as beau être mon frère, je te promets que je te tannerai le cuir si je dois te Soigner pour un truc aussi con qu’une balle de MKSR. Est-ce que c’est clair ?

Kris a hoché la tête. Erk lui a demandé de s’occuper d’Alyss pendant qu’il s’agenouillait devant Baby Jane. Elle tremblait, elle était trempée de sueur.

Il l’a entourée de ses bras puissants, a frotté son dos jusqu’à ce qu’elle se détende. Et elle s’est tellement bien détendue qu’elle a tendu une main pour caresser sa joue et a posé ses lèvres sur les siennes. Puis elle a sursauté et s’est reculée.

- Excuse-moi, Erk, a-t-elle dit en rougissant.
- Pourquoi ? Je suis flatté. Et, ma foi, si je n’étais pas avec Doc, je te l’aurais bien rendu, celui-là.

Elle était pivoine. Il a posé un baiser sur sa tempe, très grand frère. Elle s’est mise à glousser, détendue, mais toujours un peu rougissante.

- Ecoute, ma belle, va donc prendre une bonne douche pour te détendre et tu es de repos jusqu’à ce qu’on ait fini. Tu t’occuperas d’Alyss, d’accord ?
- Oui. Merci Erk.
- Je t’en prie, a dit le géant.

Il a fixé son frère qui était plus détendu avec la bleue.

- Baby Jane, je suis désolé.
- Oh ? Mais de quoi ?
- Je suis désolé que mon crétin de petit frère t’ait mise dans cet état.
- Tu n’y es pour rien, Erk, j’ai dit, me souvenant de la révélation de Lin la veille au soir.
- Je me dis que j’ai raté son… j’allais dire dressage.
- Tu sais, Erk, j’ai l’impression que, un peu comme toi, quand ton frère a une idée en tête, il y a peu de gens qui sont capables de l’en faire changer.
- Tu trouves que je suis comme lui, têtu et obstiné ?
- Je dirais que tu es impulsif et obstiné. Pour la journaliste – et là, j’y allais doucement, ne voulant pas lui rappeler la suite – tu as foncé dès que tu as vu qu’elle était en danger, sans penser à comment t’en sortir. Quand tu m’as proposé de rejoindre Tito au trou, c’était aussi impulsif. Ton frère est plus réfléchi, mais tout aussi têtu que toi. Mais même si tu es le plus impulsif, je dirai que quand ton frère décide de déconner, il va trèèèès loin. La preuve.

Et j’ai montré Baby Jane toujours dans ses bras. Elle a essayé de se dégager mais il a resserré son étreinte, avec un petit sourire taquin. Et Baby Jane nous a prouvé que malgré la frousse que lui avait fait Kris, elle n’avait pas perdu ses moyens et, également, que l’ahemvé n’avait plus beaucoup de secrets pour elle. Elle a glissé sa main entre les jambes d’Erk qui s’est tout à coup raidi et son sourire s’est flétri.

- Lieutenant, a-t-elle dit d’une voix mielleuse, je te conseille de me lâcher si tu veux pouvoir montrer à Doc à quel point tu l’apprécies.

Par compassion, nous, JD, Quenotte, Tito et moi, on a dégluti. On a tendance à oublier ce point faible.

Erk l’a lâché, elle l’a remercié d’un p’tit bisou sur la joue. Elle est partie vers les douches, Erk restant à genou.

- Erk, ça va ?
- Oui oui. Pas de dommages. Juste une menace.

Il a secoué la tête, admiratif. Puis a soupiré.

- Quel dommage que je n’aime pas les amours plurielles. Sacrée bonne femme !

Il est resté un petit moment à la suivre du regard. J’ai fait pareil. Et j’ai vraiment bien regardé la poupée de porcelaine qui place une balle dans un noyau de cerise à 2km ou qui obtient du géant qu’il la lâche alors qu’elle doit peser moins que la moitié de son poids.

Baby Jane est un tout petit plus grande que Tito, 1,62m, je crois. Elle a les os fins, les attaches très fines. Elle est gracieuse. Je ne sais pas ce qui l’a conduite dans ce coin perdu. Elle a la grâce d’une danseuse étoile. J’aimerais beaucoup la voir danser un pas de deux avec Kris. Tous ses gestes sont mesurés et d’une grâce incroyable. Je crois que je ne le dirai jamais assez : elle est la Grâce incarnée.

Elle est délicate, peau blanche avec quelques tâches de rousseur, yeux bleu layette, cheveux blonds vénitiens, bouclés, portés juste assez longs pour se faire une petite queue de cheval. Malgré le treillis et la musculature nécessaire pour l’ahemvé et son métier de soldat, sa silhouette est un régal pour les yeux. Enfin, pas pour Tito, il penche de l’autre côté. Mais je vois bien qu’Erk, JD et Quenotte la suivent du regard.

De toutes les femmes de la Compagnie, c’est la plus féminine. Elle a des courbes là où nous, les mecs, on les apprécie, même avec le soutien-gorge militaire qui a tendance à comprimer, même à travers le treillis, cette fille, c’est un rêve.

Du coin de l’œil, j’ai aperçu un sourire moqueur sur la bouche de Tito. Ses yeux sont passés de l’un à l’autre. Je crois qu’on avait l’air d’ados boutonneux en émoi devant une petite culotte. Il s’est gratté la gorge et s’est mis à glousser quand on a sursauté. Il avait retiré son casque pour s’éponger le front – il fait chaud au soleil à cette heure-ci, malgré la saison. Se relevant, Erk a tendu la main, lui a ébouriffé les cheveux. Tito, ça l’a immobilisé. Puis je l’ai vu fermer les yeux. Pour en profiter plus longtemps ?

- Remets ton casque, bonhomme, a dit Erk, ça m’embêterait qu’il t’arrive quelque chose.

Tito a sursauté. Je le connais mon p’tit pote, il a dû interpréter ça de travers, pensant que le Viking tenait à lui, Tito, et pas à lui, soldat, corps chaud portant une arme. Mais je pensais que c’était au soldat que pensait le géant. Je me trompais mais je n’avais aucun moyen de savoir qu’Erik Hellason, ex-Légionnaire, guérisseur, guerrier, tenait à toute vie humaine comme à la prunelle de ses yeux et ce, d’autant plus que nous faisions partie de « ses » hommes.

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