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On est rentrés à la base, plus frigorifiés en ce mois de février pluvieux qu’au mois de décembre pourtant plus froid. Mais les pluies incessantes y étaient pour quelque chose. Le froid sec est, je trouve, plus facile à supporter.

Malgré la tisane au brennivin d’Erk et la nuit au sec et au chaud dans la grotte, on avait tous la goutte au nez. Sauf les frangins, bien sûr. Ils sont plus résistants au froid que nous. Notre retour fut un concert d’éternuements. Même Yaka s’y est mise, ce qui nous a inquiétés, on n’avait pas de vétérinaire.

- Allons bon… a dit Kris, ne me dis pas qu’elle est malade, elle aussi.
- Je ne crois pas, non, a répondu JD, qui a pris la jolie tête fine de la chienne entre ses mains et l’a fixée droit dans les yeux.
- Elle nous imite juste, ça l’amuse.
- Elle se moque de nous, quoi, a dit Quenotte en éternuant fortement.

Et Yaka l’a imité. Et a continué. Chacun de nos éternuements a eu un des siens en écho. Et quand on se retournait vers elle, faussement vexés, elle nous offrait cette expression d’innocence étonnée que les chiens sont parfaitement capables de faire.

Heureusement qu’elle était là pour nous faire rire, parce que le trajet de retour nous a paru bien long. On a fait une pause rapide à midi, on est repartis, ce fut difficile et on avait vraiment hâte d’arriver. On voyait le promontoire, mais il avait l’air de s’éloigner plus que de se rapprocher.

On alignait les pas les uns après les autres, marchant par habitude et parce que ça nous donnait chaud. On frissonnait tous plus ou moins. On se traînait sur le chemin raviné, et on faisait vachement gaffe à ne pas se tordre une cheville, par-dessus le marché.

D’un coup, Yaka est partie en courant devant, aboyant deux fois, ce qui voulait dire qu’il n’y avait rien de grave. Si elle avait senti un ennemi, elle n’aurait pas aboyé, pour ne pas le prévenir, elle aurait prévenu JD par leur lien, de plus en plus fort. Ou elle aurait grondé.

JD a relevé la tête un peu plus tard et annoncé qu’on nous attendait au village.

Effectivement, quand on a fini par l’atteindre, nos villageois nous attendaient avec de la soupe chaude dans la salle du village dans laquelle étaient prises les grandes décisions. Etre à l’abri de la pluie, même pour quelques minutes, fut divin.

Voyant que Tito tremblait tellement qu’il n’arrivait pas à boire, j’ai pris son bol de soupe et je l’ai aidé à boire. J’étais plutôt inquiet, il n’avait pas arrêté de trembler depuis notre départ de la grotte le matin. Avant… avant l’arrivée des Islandais, on ne sortait pas autant. Je ne pouvais pas me baser sur « avant » pour déterminer si Tito était plus fragile, faible ou malade qu’avant. J’ai touché son front.

- T’es brûlant, Tito !
- T’as les mains glacées, Tudic, il a dit en même temps et on a gloussé.

C’est sûr que pour mes mains gelées son front était brûlant.

Baby Jane aussi tremblait et c’est Kris qui l’a fait boire, pendant qu’Erk faisait le point avec le chef sur les dégâts faits par les pluies au village. Il faudrait qu’on revienne après la pluie pour aider à drainer les champs ou réparer le moulin et la route.

On est repartis. Et les bénéfices de la soupe se sont évaporés cent mètres après avoir quitté la grande salle. Erk a appelé le PC Ops pour que Doc se prépare à remplir l’infirmerie avec cinq enrhumés.

Là, il a éternué. Six enrhumés. Kris qui se moquait a éternué à son tour. Sept enrhumés. Mike s’est marrée et a confirmé que Doc nous attendait.

En hiver, normalement, on ne chauffe pas nos chambres puisqu’on ne fait qu’y dormir. On chauffe à peine le mess, puisque la chaleur résiduelle de la cuisine suffit généralement à le chauffer, tout comme notre chaleur humaine. On chauffe l’infirmerie, par contre, si elle est occupée. Et, bien sûr, les douches. Le PC Ops, où les gars de permanence sont immobiles, est chauffé par le générateur qui se trouve dans la pièce d’à côté (il y a une large grille dans le mur, pour laisser passer l’air chaud. Et la chouette odeur de gasoil qui va avec le générateur).

Pour chauffer les pièces qui en ont besoin, on a des petits chauffages électriques type bain d’huile, mais améliorés. Et sinon, on a des bouillottes pour les frileux, à mettre sous les couvertures, sachant qu’en hiver, on a double ration de couvertures de luxe. Une fois qu’on s’est réchauffés, on dort bien, en général. Bon, le lever, à l’aube, est un peu rude, mais du coup on ne traîne pas, on se précipite aux douches pour avoir chaud.

Au croisement, alors qu’on tournait à droite sur notre chemin, Tito a continué tout droit. Le temps que je réagisse, Erk l’avait rattrapé. Il l’a dévisagé, lui a tâté le front, a poussé une exclamation et l’a pris dans ses bras, sac à dos, poncho trempé, et tout. Tito n’a même pas réagi. Il devait être dans un sale état, le pauvre.

La première chose qu’on a faite en arrivant, ce fut de prendre une douche très chaude. On a tout laissé en tas, Erk m’a confié Tito, et comme Kris et lui voulaient s’occuper de nos affaires, Lin, le Gros, Frisé et Tondu sont venus le faire, les envoyant à la douche eux aussi.

- Lin, il reste qui dehors ? a demandé Le Viking en voyant les deux sergents.
- Personne, vous êtes les derniers.
- Tant mieux, je ne souhaite à personne d’être sous une telle drache. Pas même Durrani ou le Vioque.

Les patrouilles à pied avaient été suspendues avec notre retour, parce que les routes étaient impraticables. Les motos sont restées sous leurs bâches, elles aussi. Y a que la Land qui est sortie mais jamais très loin.

Erk a fait son rapport vite fait en se déshabillant et nous a rejoints sous les douches. Quand on est sortis, nos camarades nous attendaient avec des vêtements propres qui avaient été chauffés. Quel luxe !

Erk a de nouveau pris Tito dans ses bras, il n’allait vraiment pas bien. Encore une fois, mon p’tit pote n’a pas pu profiter de ce contact qu’il désirait plus que tout. Il s’est juste blotti contre la chaleur du géant, se nichant contre lui. J’ai regardé le visage du Viking et il était vraiment inquiet. Il a calé Tito sur un seul bras et a touché son front de l’autre main, qui s’est mise à briller. Faisait-il un soin ? Tito avait besoin d’un soin ?!

On s’est installés dans la grande salle de l’infirmerie chauffée pour nous. Une bonne âme, sûrement Nounou, avait installé une bouillotte dans chaque lit, et un bol de bouillon chaud nous attendait tous. Puis, pour nous, de l’ibuprofène et pour Kris et Erk, de la tisane. Sauf qu’Erk a passé la soirée dans la petite chambre avec Tito qui était franchement mal en point alors que nous n’avions qu’un refroidissement.

Erk nous a rejoints au cours de la nuit puisqu’au réveil je l’ai vu qui dormait avec nous. On a été placés en quarantaine tant qu’on ne saurait pas ce qui était arrivé à Tito. Cook nous a apporté le petit déj au lit ou presque et Erk est retourné voir Doc pour essayer de trouver ce qui n’allait pas.

Vers le milieu de la matinée, Doc nous annoncé que Tito avait succombé à un accès de malaria, ou paludisme. Nous étions pourtant tous plus ou moins protégés, même s’il y avait des foyers de la maladie en Afghanistan. Doc nous faisait des injections régulières d’un tas de merdiers sensés nous protéger d’un certain nombre de maladies locales, dont le palu. Pourquoi Tito ne l’avait pas été ?

- D’après ce que j’ai vu, le parasite est installé depuis un moment chez lui. Ce qui est bizarre, c’est que l’Albanie n’est pas une zone à risque… l’Archer, que sais-tu du parcours de Tito avant ici ?
- Euh… Je crois qu’il est passé par l’Iran ou l’Arabie Saoudite avant de venir ici.
- Ça pourrait expliquer, surtout s’il était sur la côte.
- Doc, comment va-t-il ?
- Il dort, sa fièvre a un peu baissé. Erk a renforcé son système immunitaire et va essayer d’attaquer le parasite dès que possible, voir si ça peut éviter que ça se reproduise.
- C’est bizarre, c’est la première fois depuis que je le connais qu’il nous fait ça.
- C’est la première fois en six ans que vous sortez avec ces conditions météo, l’Archer.
- Ouais, c’est vrai que du temps des autres, on restait au chaud au moindre prétexte. Tu penses que c’est le froid et la fatigue ?
- Oui, c’est ce que je pense. C’est dommage, s’il avait été atteint de thalassémie comme une grande partie de la population du pourtour de la Méditerranée, il était auto-immunisé. Mais bon, pas de bol… Erk, dès que tu es prêt.

Le géant, qui méditait en position du lotus sur son lit d’hôpital, a hoché la tête et s’est levé.

- Erk ?
- Oui, Quenotte ?
- Tu vas prier ?
- Ça ne peut pas lui faire de mal. Et si tu te sens un peu religieux ce matin, tu peux prier pour lui, toi aussi.

Quenotte a cligné des yeux, surpris, et est resté silencieux tout le reste de la matinée, jusqu’au retour du Viking. Pendant ce temps, Doc et Nounou nous ont fait à tous des prises de sang, qui se révèleraient négatives au paludisme. On est quand même restés à l’infirmerie tant qu’on avait le nez qui coulait, car, comme je le disais, c’est la pièce la plus chaude de la base.

Quand Erk est revenu dans la grande salle, on s’est presque jetés sur lui tellement on voulait savoir si ça avait marché. Il a secoué la tête, acceptant la gourde du mélange sel-sucre que lui tendait Kris.

- Désolé, les gars, on dirait que je suis plus un chirurgien qu’autre chose.

Son tee-shirt était trempé de sueur, tout comme ses cheveux et son visage, et Nounou l’a envoyé se doucher et se changer.

Quand il est revenu, le déjeuner nous attendait. Il nous a expliqué, en mangeant, qu’il avait quand même réussi à réparer les tissus et globules rouges endommagés par le parasite et avait sans doute éradiqué certaines colonies.

Doc nous a dit que le meilleur médicament contre le palu était un médicament qui, lors de la grande épidémie de 2020, avait été l’objet d’un grand nombre de débats, la chloroquine. Elle avait pu en administrer à Tito mais elle ne pourrait pas lui en donner à vie.

Y avait plus qu’à croiser les doigts.

Au final, Tito s’en est bien sorti, grâce aux soins d’Erk et à la chloroquine. Dans la pharmacie de notre patrouille il y en aurait toujours désormais. Et Tito en porterait toujours quelques doses sur lui.

Je ne sais pas si vous me croirez mais mon p’tit pote qu’est déjà pas épais avait perdu du poids ! Heureusement, dès qu’on a su qu’il n’était pas contagieux, Kitty et Cassandra se sont occupées de le gaver de plein de gâteaux, de cookies, que la petite faisait avec Cook et Ketchup. On en a profité, nous aussi.

Pour nous occuper pendant notre mini-quarantaine, on a graissé nos bottes, détrempées par les presque cinq jours de patrouille sous la pluie. Fallait bien insister, laisser sécher et recommencer jusqu’à ce que le cuir n’absorbe plus la graisse. Après, y avait plus qu’à nettoyer le surplus mais sans faire briller le cuir.

On a été sortis de l‘infirmerie, et comme on ne pouvait pas faire grand-chose avec la pluie qui tombait toujours, on a fait le ménage intégral de nos chambres, du sol au plafond en sortant nos lits, matelas et malles sous les arcades, à l’abri de la pluie.

Après, une fois les EMA 7 démontés, nettoyés et graissés, une fois les Béhémoth démontés, nettoyés et graissés, une fois les lance-roquettes… Vous avez compris, on a démonté, nettoyé et graissé tout ce qui pouvait l’être, puis on s’est trouvé à se tourner les pouces. On a sorti les jeux de cartes, mais les tempéraments, échauffés par le manque d’action, ont vite fait dégénérer les choses. En séparant Jo et un autre gars, Erk a pris un coup de poing. Bon, il l’a pris au ventre, sur ses abdos en acier, et ça ne lui a rien fait. Mais toute la Compagnie présente au mess s’est immobilisée, dans l’attente du coup de gueule du dragon, dans l’attente de la sentence.

Erk a froncé les sourcils, a inspiré fortement, a ouvert la bouche, l’a refermée aussitôt avec un sourire diabolique. Il nous a fait pousser les tables sur les côtés. Il s’est posté dos à la sono, face à nous et nous a fait ranger en rang. Il a farfouillé dans la bibliothèque de musique de la chaîne hifi, a trouvé ce qu’il voulait et a lancé une musique agaçante et vaguement familière.

Face à nous, il nous a demandé d’imiter ses mouvements, et on s’est retrouvé à lever les jambes, à bouger les bras, à sauter sur place et on se sentait un peu ridicules puis, en s’échauffant, en dépensant de l’énergie, on s’est pris à jouer le jeu. Et d’un seul coup, j’ai reconnu la musique et j’ai poussé un gémissement que tous ont entendu.

Erk a eu un autre de ses sourires diaboliques et a continué à nous faire faire des mouvements d’aérobic. Oui, vous m’aviez bien entendu. De l’aérobic. Une gymnastique en musique, caractérisée par des tenues fluo et moulantes, célèbre dans les années 80. 1980, pas 2080. Une gymnastique de ménagères de cinquante ans devant leur télévision, c’est comme ça qu’elle avait été vue au début. Plein de bonnes choses ont découlé de l’aérobic, mais ça reste un symbole des années 1980… avec les vestes hyper-larges aux épaules, les mullets et coiffures bouffantes, le fluo et les androgynes. Et de la musique géniale, toujours appréciée 140 ans plus tard, et des groupes comme The Cure, Kiss, etc…

Au final, malgré mon sentiment – idiot – de honte, ça nous a fait du bien, de nous agiter dans tous les sens.

Et heureusement pour notre santé mentale à tous, les pluies ont cessé. Le soleil du début du mois de mars a commencé à absorber tout ça.

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