Chapitre 9 - Le Serment

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 Les rideaux de la pièce avaient été tirés et une faible bougie était allumée distillant pauvrement sa lumière. Il n’y avait que le bruit de sa respiration palpable et parfois le mouvement du tissu de ses vêtements froissés à certains endroits, signe que la précédente bagarre l’avait malgré tout touché sans pour autant que son honneur en fut ébréché. Lorsqu’il posa son regard sur la petite reine, il n’eut l’air ni surpris ni déçu.

 Ruwa s’avança en première et mesura l’espace. La porte se referma rapidement derrière elle et tandis qu’elle posait son regard sur l’homme, elle eut la sensation que rien ne semblait le perturber. Dans le silence de la pièce qui ne fut brisé ni par lui, ni par elle, il planta enfin son regard dans celui de Tasi Hangbé dont le faciès était fermé.

 S’approchant de l’homme, l’adolescente constata qu'un cercle magique le gardait prisonnier. Elle reconnut un enchantement d’entrave mais plus sophistiqué que ceux qu’elle avait déjà jeté et la signature magique qu’elle sentait était puissante. Tasi Hangbé avait mis les moyens pour que l’homme ne s’échappe pas.

 Il se tenait presque nonchalamment assis sur une chaise. Il ne bougea que quand elles arrivèrent à la limite de la ligne de démarcation que ni lui, ni elle ne pouvaient franchir, se redressant et reposant son regard sombre sur elle.

 – Comment va ton bras ?, demanda-t-il.

 Lentement, Ruwa releva le tissu qui cachait son poignet et dévoila la peau où la cicatrice blanchâtre mais qui ne risquait pas de se rouvrir se trouvait.

 – Je n’aurai que cette cicatrice, répondit-t-elle d’un calme troublant.

 – Bien. Je n’ai jamais été doué pour faire disparaître les cicatrices, dit-il cette fois-ci visiblement rassuré. Ruwa sut que ce serait les semblants d’excuse qu’elle aurait.

 Se levant, le grec posa un genou à terre et baissa la tête, son poing fermé se posa du côté de son cœur. Ne sachant comment interpréter la situation, Ruwa jetta un regard à Tasi Hangbé qui, quant à elle, restait inexpressive.

 – Princesse, reprit-t-il en courbant un peu plus la tête et Ruwa reposa son regard sur lui. Tu as ma loyauté à compter de ce jour.

 Le silence fut la seule réponse qu’il eut en retour. Ruwa se sentait contrariée. A quoi jouait-il ? Il renonçait comme cela à son contrat avec le Fils de Seth ? Avait-il si peu d’éthique et de loyauté ? Comment pouvait-il seulement croire qu’elle pouvait lui faire confiance comme si de rien n’était ? Pourquoi l'avait-il réellement épargnée ?

 – À quoi joues-tu, fils de la Grèce ?, demanda Tasi Hangbé d’une voix qui déclencha un frisson à Ruwa.

 L’homme sembla aussi y être sensible car il courba encore plus la tête et le corps, se cassant presque en deux.

 – Rien, Directrice. Aucun jeu n’anime mon esprit.

 – Comment penses-tu que je puisse te faire confiance ? Comment ne pas croire que c’est un piège pour attenter à ma vie ?, claqua Ruwa de plus en plus perturbée et irritée.

 Il redressa légèrement la tête et la regarda dans les yeux.

 – Ne t’ai-je pas arrêtée tout à l’heure ?, nota-t-il sans se départir de son calme.

 Silencieusement, Ruwa le fixa. Il avait bien tenté de l’arrêter de ce qu’elle avait compris malgré son état second. Ce n’était donc pas le fruit de son imagination ni du choc.

 Réprimant un geste pour toucher sa cicatrice, Ruwa répondit malgré tout, n’en démordant pas :

 – Tu aurais très bien pu faire cela parce que tu as reçu des ordres du Fils de Seth à exécuter correctement.

 – C’est vrai, reconnut-il. Mais j’aurais pu te tuer pendant ou avant notre échange au moins une dizaine de fois. Je n’en ai rien fait.

 Ruwa sentit l’irritation se muer en agacement qu’elle ne cacha pas à la façon dont ses yeux se colorèrent d’or.

 – Quel est ton prénom, étranger ?, demanda-t-elle finalement en grec.

 La nuque de l’homme se redressa un peu.

 – Tu peux m’appeler Skipion, lui répondit-t-il.

 Ce n’était pas son vrai prénom, elle en était quasi certaine mais peut-être était-il plus sage pour lui de ne pas le divulguer. Dans son royaume, les prénoms étaient puissants et pouvaient être utilisés à mauvais escient. D’ailleurs, les kemetiens avaient tous un prénom dit caché que seuls eux connaissaient, divulgué par les prêtres et prêtresses lors d’une petite cérémonie aux alentours des cinq ans. Les prêtres et prêtresses s’effaçaient aussitôt la mémoire pour ne pas retenir le nom. L’on disait que très souvent, les noms s’ils étaient sacrés étaient aussi porteurs de destinés, donnés par la grande Meskhenet aux oreilles des nouveaux-nés. Skipion était sage de ne pas donner son nom caché bien que pour la plupart des autres cultures, le nom caché n’existait pas, reléguant cette croyance à des superstitions.

 – Regarde-moi, Skipion, dit Ruwa d’une voix basse.

 Skipion redressa la tête et son regard couleur nuit se posa dans celui de la kemetienne comme s’il s’y ancrait définitivement.

– Pourquoi ferais-tu cela ? Pourquoi m'épargner et trahir le Fils de Seth à la place ? Je n’ai rien à t’offrir comme tu le sais, aucune garantie de réussite et rien pour te payer, demanda-t-elle faiblement.

 Un sourire se dessina sur ses lèvres de Skipion, énigmatique.

 – Tu étais sur le point de mettre un terme à ta vie toi-même par honneur en n’ayant aucune assurance que cela serve aux tiens. J'ai peu connu de personnes capables d'autant d'abnégation au moment de mourir. Peu de gens acceptent leur sort pour ceux qui me voient venir. Toi, tu m'as mis un joli revert également. Je valorise aussi cela : la combattivité. Tu vaux cent fois plus que celui qui m’a envoyé jusqu’à toi…, Son sourire s’agrandit, presque méchant. Qui aurait pu venir jusqu’à toi pour te regarder dans les yeux avant de te tuer. Il en a largement les capacités, paraît-il.

 Ruwa comprit alors qu’elle avait gagné son respect même si elle ne savait pas comment l'interpréter et ce que cela valait.

 – Je ne valorise pas grand-chose dans une vie, Petite Reine, mais je sais reconnaître quand une vie vaut la peine de ne pas être prise. Crois-moi quand je te dis que personne auparavant n'a su me toucher comme toi tu l'as fait et ...

 Il s'arrêta, sembla hésiter.

 – J'ai peut-être pour une fois envie d'être du bon côté de l'histoire.

 Ruwa le fixa longuement ne sachant pas si son hésitation ne cachait pas une autre vérité.

 Tasi Hangbé qui reprit la parole.

 – Tes fables sont convaincantes, Fils de Grèce, mais cela ne répare pas le sacrilège que tu as commis.

 La voix en est frissonnante, comme une lame qui se plante à chaque syllabe dans leurs corps. Skipion ne répondit pas, si ce n’était qu’il se mit à sourire tranquillement à la vieille femme. Ruwa quant à elle, réfléchit tout en le dévisageant. Elle devrait le laisser entre les mains de Tasi Hangbé et se débrouiller sans lui. Mais elle se rappelait alors de la vision qu’elle avait eue. Isis, elle en était persuadée, était apparue à elle en cet instant précis pour une raison. Ruwa n’avait pas pour habitude de voir les dieux et les déesses mais quand ces derniers se manifestaient, ce n’était jamais anodin. Isis ne serait pas apparue si cet homme ne jouait pas un rôle important. Si Isis lui était apparue à ce moment-là, alors elle pouvait au moins faire confiance à sa déesse à défaut d’avoir confiance en lui. Et puis, à y réfléchir, il pouvait lui être utile.

 Déglutissant difficilement, Ruwa se tourna vers Tasi Hangbé.

 – Vous m’avez fait confiance jusqu’à présent, Tasi Hangbé. L’adolescente se courba gracieusement en parlant vers la vieille femme. Je vous demande de continuer à me faire confiance. Cet homme peut réparer son tort en me prêtant allégeance.

 La jeune fille redressa la tête et son regard croisa celui de son aînée. Une bataille silencieuse sembla se dresser entre l’amazone et la princesse. Ruwa ne pouvait pas expliquer à Tasi Hangbé qu’Isis lui était apparue. Elle n’était pas sûre qu’elle comprendrait malgré tout le respect qu’elle avait pour cette grande femme.

 – Es-tu sûre ? Tu sais ce que cela veut dire pour lui et pour toi, demanda finalement la vieille dame, comme si le dialogue silencieux entre elle prenait fin.

 – Je sais, mais c’est le seul moyen de lui faire confiance pour l’instant.

 Le silence s’installa et les deux femmes finirent par se retourner vers l’homme. Tasi Hangbé leva sa main avant de regarder Skipion.

 – Je vais te libérer. Si tu tentes quoi que ce soit, je te tue.

 L’homme ne répondit rien et fixa l’adolescente. D’un mouvement de la main, le cercle d’isolement disparut et Ruwa sentit presque la magie puissante de la femme s’évaporer pour disparaitre complètement. Skipion, lui, ne bougea pas. Ruwa l’observait davantage avant de finalement lever une de ses mains baguées, la gauche.

 – Ta main, Fils de Grèce, souffla-t-elle.

 L’homme leva sa main droite et saisit avec douceur ses doigts ce qui surprit presque Ruwa. Sa main recouvra la sienne comme s’il tenait dans celle-ci un fragile oisillon. Elle déposa la sienne simplement. Enfin, la main de Tasi Hangbé se déposa à quelques centimètres au-dessus d’eux.

 – Je répéterai ce que tu veux, Ruwa et il devra répéter aussi.

 Ruwa ne quitta pas du regard l’homme et resta un instant silencieuse. N’entendant plus que leurs respirations conjointes, elle eut l’impression de se perdre dans la forêt brune de ses yeux alors que lui se noyait dans le lit du Nil.

 – Moi, Skipion, Fils de Grèce, promet de ne plus attenter à ta vie, de ne jamais te faire de mal physiquement, et de te protéger des descendants de Seth physiquement jusqu’à ce que toi, Ruwa, fille de Ramsès et descendante d’Isis, me libère de ta propre volonté.

 Les mots se répètent, une fois par Tasi Hangbé, une autre fois par Skipion. Doucement, la magie s’écoula de la main ridée pour venir entourer les poignets du grec et de la kemetienne avant de rentrer dans leur chair respective sans que ni l’un ni l’autre ne ressente quoi que ce soit. La main de Tasi Hangé se retira et Skipion tint quelques secondes supplémentaires le poignet de la jeune fille avant de le relâcher.

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