Chapitre 8
En rentrant, Rose se dirigea dans la cuisine afin de nous préparer un peu de thé. « On en aura bien besoin » avait-elle dit. Je lus dans son regard une énorme tristesse. Sûrement le fait de revenir sur ces événements. Elle m'invita à m'asseoir sur la canapé en attendant. Je l'entendais s'activer dans la cuisine ainsi que le sifflement de la bouilloire sur le feu. Elle n'avait pas opté pour la technologie, elle aimait faire les choses à l'ancienne, comme elle se plaisait si souvent à le dire. Je comprennais désormais d'où me venait mon goût pour les antiquités. En arrivant avec le service à thé, mon arrière grand-mère m'invita à prendre mes aises en m'expliquant que l'on en aurait pour un petit moment. Je m'assis en tailleur, elle me tendit ma tasse, la chaleur réconfortante de celle-ci fut une bénédiction fasse à la fraîcheur de la matinée. Rose s'assit à son tour dans un fauteuil afin de me faire face. Elle n'avait pas pour habitude de s'y asseoir, c'était jadis la place de son défunt mari, mon arrière grand-père, Pierre.
- Cela me fait une drôle de sensation de m'asseoir à sa place, après tant d'années. Me glissa t-elle en tremblotant. Elle porta sa tasse à ses lèvres et ferma ses jolies yeux bleues un instant.
- Et bien, il est temps de se pencher sur le sujet, me dit-elle en rouvrant ses yeux.
- Madame Craft, je ne tiens pas... La vieille femme me fit taire d'un geste.
- Il est important que tu saches certaines choses, tu le comprendras par la suite me confia-t-elle d'un air grave. Je ne reviendrais pas là-dessus.
Je ne comprenais pas où est-ce-qu'elle souhaitait en venir mais je décidais de ne pas l'encombrer de questions.
- Tu te doutes bien que cette bataille a eu lieu pour diverses raisons, que nous avons pris les armes pour changer le cour des choses ? Je répondis par l'affirmatif, cela me paraissait évident.
- À présent, je vais te révéler pourquoi et quelle était notre situation. Ouvres-bien tes oreilles, je ne souhaite pas être interrompue, me prévint-elle. Il est déjà difficile pour moi de revenir sur cette époque de ma vie. Elle se racla la gorge et commença.
- Pour notre peuple tout à toujours été question de rapidité. Nous vivions au rythme des secondes, notre seul but était la production, rapide, efficace, sans défaut. Générer du profit était notre hymne mondial. Prendre son temps, manger, se soigner, vieillir... tout ça n'était qu'une perte de temps. Notre population était jeune et dynamique et n'avait que rarement croisée la sagesse des anciens. La vieillesse était devenu un luxe et seule la famille royale en bénéficiait. Parlons-en de la famille royale, pour nous elle n'était qu'un mythe, qu'une histoire inscrit sur les pages d'un livre que l'on nous lisait qu'une seule fois dans notre petite vie si courte et si barbante. En tant que bas peuple de la société, nous ne disposions pas du droit de les voir, ni même de les apercevoir. Et sincèrement, peu nous importait. Nous avions été éduquer d'une telle façon que plus beaucoup d'émotions passaient la barrière de notre inconscience. Elle fit une légère pause afin de boire une gorgée de thé.
- Toute notre vie était programmée et aucunes décisions ne nous appartenaient pas même celle de notre jour de décès. Notre radiation, nous l'appelions sous ce terme, sans effroi, sans même comprendre ce que cela impliquait. La date était décidée le jour de notre naissance, après un examen approfondi de notre organisme. Nous mourrions le jour où nos cellules ne seraient plus assez efficace pour générer du profit à la société. Il n'y avait pas de gâchis, pas de rab non plus. Nous étions qu'un amas de cellules sans pensées.
- Si ! dit-elle en levant son l'index, il n'y en avait qu'une qui nous importait et nous contentait, bien faire son travail avant la radiation. Depuis notre plus « tendre » enfance, on nous avait inculqué cet idéal, nous ne connaissions pas la tendresse d'une mère ou d'un père pour nous dérouter de notre but. Nos nourrices comme nous les appelions, n'étaient pas plus expérimentées que nous en matière d'amour, comme nous elles faisaient ce qu'on leur avait appris, nourrir les bébés, leur faire leur rototo, changer leurs langes, les recoucher et leur apprendre à marcher. Une fois cette première étape passée, l'enfant était envoyé vers une autre nourrice qui disposait de d'autres compétences. Chaque apprentissage était choisi lors de la naissance et selon ce que l'organisme pouvait encaisser et surtout ce en quoi il apporterait le plus de bénéfice possible. Bien sûr, je ne parle pas d'un apprentissage ludique et attractif pour l'enfant, mais plutôt d'un apprentissage stricte et simple. Nous étions éduqué de façon à accomplir la mission que l'on nous avait confié, pour laquelle nous étions né, il ne s'agissait pas d'en apprendre d'avantage, surtout pas, cela aurait pu nous amener à certaines extravagances qui n'étaient pas envisageables dans notre société. Nous devions toujours nous en tenir au stricte nécessaire, ne pas poser d'autres questions que sur ce quoi nous étions orientés.
La vieile femme prît un instant et but une gorgée de son thé. Ses mains tremblèrent lorsqu'elle porta la tasse à sa bouche. C'est d'une voix chargée d'émotions qu'elle reprit son monologue.
- Nous étions comme une fourmilière ou chaque fourmis à sa propre fonction et n'a en aucun cas le droit de s'en détourner. Et pour bien illustrer cette exemple, une fourmi qui se détourne de son but, et qui commence à avoir des émotions de conscience d'elle même, en soi contradictoire avec leur société, est dès lors tuée par ces congénères. Ce genre de comportement chez nous amenait à une radiation précoce. Toutes émotions étrangères qui auraient pu nous détourner de notre travail comme le bonheur, l'amour, l'amitié, la peur, la tristesse et bien d'autres étaient prohibées. Pour le bon fonctionnement de notre société, il n'était pas envisageable de ressentir quoi que ce soit à part l'envie de faire notre travail rapidement et efficacement. Chaques jours étaient répétitifs, mais nous n'en n'avions cure. Notre réveil était toujours programmée à la même heure, chaque jour de la semaine. Tu aimerais certainement me demander quand est ce que nous avions des jours de repos ? Elle leva les yeux au ciel en haussant les épaules. Du repos ? Nous ne connaissions même pas ce terme, il n'était bien sûr pas question d'avoir du temps pour soi.
Chaque matin à notre lever nous ingérions notre pilule inhibant nos émotions ainsi qu'un repas succinct. Ensuite s’ensuivait le rituel d'hygiène, nous appliquions une poudre sur notre corps et dans nos cheveux, ce qui faisait office de savon. Puis il était temps d'amener notre contribution à la société. Elle nous offrait un toit et des pilules tout le long de notre vie et en échange on travaillait pour elle. Nous n'avions pas vraiment de but, juste faire ce que l'on nous demandait, sans rechigner. Nous n'avions aucun avis personnel et on ne nous poussait pas à en avoir un. Sans avis, pour nos dirigeants, il était beaucoup plus facile de nous gouverner. Nous ne connaissions pas le confort, ni le bonheur, nous étions dénuer d'émotions, même la mort ne nous faisait pas peur, sans tout ça pourquoi nous serions nous rebellés ? Puis nos journées se terminaient toujours à la même heure et d'autres ouvriers venaient prendre notre place. Chaque individu retrouvait le lit auquel il était attribué. Même les lits ne nous étaient pas personnel, il existait un roulement de propriétaire et généralement le deuxième propriétaire était celui qui nous remplaçait à notre poste. Ce « binôme » de lit et de travail, disposait également de le même date de radiation que son colocataire. Oui, une fois les deux radiés, cela permettait de libérer un lit à deux autres personnes... Pas de gâchis... Il existait également une autre chose étonnante, nous n'avions pas de nom mais un simple numéro pour nous différencier. Celui-ci était attribué selon notre date de naissance, notre ordre d'arrivé et notre date de radiation. Rose s'arrêta, sa voix tremblait à présent.
Je restais sans bouger, complètement anéantie par ce que je venais d'entendre. Enormément de questions se bousculaient dans ma tête. Qui étaient ces anciens ? Comment avaient-ils pu être aussi inhumains, au point de créer une t-elle société d'esclave. Combien d'humains étaient confrontés à ce genre de traitement ? Et surtout comment ne pas se rendre compte de ce qu'on leur infligeait ? Des larmes perlèrent le long des joues de mon arrière grand-mère, j'aurais tellement souhaiter la serrer dans mes bras à ce moment là. Je m'approchais d'un pas hésitant afin de la consoler, lorsque celle-ci me devança en me demanda si aujourd'hui exceptionnellement je pouvais partir plus tôt. Je hochais la tête d'un air entendu, elle avait besoin de rester seule un moment.
Ce jour là je partis la boule au ventre face à aux révélations de Rose. J'étais aussi attristée qu'indignée. Comment pouvait-on faire subir ce genre de chose à la population.Je reconnaissais que notre mode de vie en tant qu'humain n'avait jamais été un exemple de civisme jusqu'à maintenant. Il avait toujours existé une inégalité entre un groupe minoritaire qui accumulait les richesses face à un groupe majoritaire qui n'en touchait même pas un centième au détriment d'un travail acharné, chaque société avait connu son lot de pauvreté. Comme le disait si bien ma professeur de sociologie, "il faut des pauvres pour qu'il y ait des riches". Dans notre société actuelle, nous avions essayé de limiter cette grande différence entre la population, et nous nous en approchions grandement. Mais aucun peuple n'est parfait. En revanche, ce genre de révélation, après toutes les guerres menées par les milliers de personnes de toutes les générations confondues pour l'égalité, comment pouvait-on avoir eu une telle régression ? Comment une société pouvait-elle à ce point esclavagiser les humains ? Nous n'avions donc pas appris de nos erreurs du passé ? De ce que l'on avait fait subir à certaines ethnies ? Était-ce une illusion de ma part de penser que l'humain pouvait apprendre de ces erreurs et qu'il ne les commettraient plus ? L'avais-je surestimée ? Je comprenais désormais pourquoi cette période de l'histoire avait été effacée. Nous avions honte de ce passé peu reluisant, pourtant je continuais à penser qu'il était important de transmettre nos erreurs afin de ne plus les reproduire, je voulais continuer à avoir foi en l'humanité, même si j'allais bientôt aller de désillusions en désillusions.

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