Chapitre 12
Nous y voilà, cet instant fatidique où notre vie défile devant nos yeux.
Le corps de Rose gisant sur son fauteuil n'était plus qu'un amas de cellules depourvues de toute once de vie et le mien , embrumé par la peur, s'apprêtait à emprunter le même chemin.
À ce moment là, le temps prena un malin plaisir à s'écouler lentement. En total déconnexion avec mon environnement, je regardais la scène se dérouler au ralenti. Il m'avait semblé voir un éclair sortir du canon de mon bourreau, je ne pouvais déterminer si la pointe meurtrière de la balle m'avait atteinte. Mes sensations dès lors inexistantes, ne laissaient transparaîtrent ni aucunes douleurs, ni aucuns sentiments. Mes synapses devinrent infranchissables.
Étais-je en train de mourir ? Était-ce ça la mort ? Une inhibition de tous mes ressenties ? Peut-être bien... Le vide qui avait envahi mon enveloppe charnelle me parut une douce immersion au monde de l'au delà.
Je fermais les yeux et savourait cette délicieuse catatonie. Ce monde incertain n'était peut-être pas fait pour moi. Après tout, c'était peut-être mieux de laisser la vie quitter mon corps sans contestation. Du repos, pensais-je. Oui c'est ce qu'il me fallait. Et j'espèrais qu'il soit éternel...
Des mains m'aggripèrent et me secouèrent. Il me semblait pourtant être en tête à tête avec mon geôlier à présent. Qui diable pouvait bien avoir eu l'audace de saper mon rendez-vous avec la grande faucheuse ? Maintenant que je m'étais fait à l'idée !
- Lili !!!
La giffle que je reçus au même moment que j'entendis mon prénom me sortit pour de bon de ma torpeur. Naphaël me faisait face et s'agitait dans tous les sens. Celui-ci me semblait complètement histérique, les mots qu'il débitait ne dépassant pas mon seuil de compréhension. Complètement confuse, j'en étais à me demander si nous utilisions le même langage. Je mis un peu de temps avant de reprendre pleinement conscience de la situation et à remonter à son niveau. Le peu de répit que je m'étais octroyée passa aux oubliettes en une fraction de seconde.
Tout n'était qu'horreur. Devant moi, se trouvait la dépouille sans vie de celui qui avait voulu attenter à la mienne. Gisant à plat ventre, une mare de sang l'entourant. Toutes les pièces du puzzle se remirent en place, Naphaël était arrivé à temps, si l'on pouvait dire ça. Il m'avait sauvé la vie en en octroyant une autre. À cet instant, la mienne n'avait plus de grande valeur pour moi. On m'avait absolument tout pris, mes parents, mon frère que je n'avais pas eu le temps d'apprendre à connaître, ma grand-mère et maintenant Rose, mon arrière grand mère.
Je la parcourus du regard une dernière fois. Son visage avait l'air si serein. Une larme perla le long de ma joue. Naphaël détacha les liens qui entravaient mes mains et me serra dans ses bras. Un sentiment amère d'injustice traversa mon corps. Mes yeux se brouillèrent lorsque j'hurlais toute ma rage comme jamais je ne l'avais fait auparavant, laissant ma colère envahir la moindre cellule de mon corp. On resta un moment enlacé dans cette position sans rien dire, ni l'un ni l'autre. Seul le bruit de mes pleurs et de mes reniflements vinrent empiéter sur le silence qui s'était installé dans la pièce.
Nous finîmes par nous lever et par sortir de cet endroit sans un dernier regard. Mon accompagnateur fit appel à la police afin d'offrir des réponses à la descendance de Rose, ma famille. Fait étrange, ma grand-mère ne m'avait jamais expliquée comment sa mère était décédé, à présent je connaissais la réponse...
Après l'arrivée des autorités, s'ensuivit une procédure de dépôt de témoignage. Je répondis aux questions que l'on me posait par automatisme, de nouveau j'étais comme dénuée d'émotions. Je ne sais pas quelle heure il était lorsque l'on quitta enfin le commissariat mais le soleil pointait déjà le bout de son nez. Tout en marchant je regardais l'horizon constatant que le lever du soleil était parfaitement aligné au monument de la Rose et de la Pierre. Cet aperçu en une autre occasion aurait provoqué mon émerveillement, aujourd'huil il laissa place à la tristesse. Rose... mon cœur se serra de nouveau, mon état affectif fluctuant d'une seconde à l'autre. Naphaël qui me surveillait du coin de l'oeil, comprit mon désarroi et me prit la main le reste du chemin.
En arrivant dans la chambre, ce dernier m'expliqua que la milice temporelle viendrait à notre rencontre dès le lendemain, mais je fus à peine poser sur mon lit que ses paroles se perdirent dans les abîmes de mon monde astral. Je dormis toute la journée.
La nuit suivante, je fis un cauchemar terrible. Je voyais toujours la même image, Rose, se faisant fusiller et moi essayant à tout prix de remonter le temps afin de la sauver, mais rien n'y faisait. Il y avait toujours un problème, soit la machine pour voyager dans le temps ne marchait pas, soit je n'arrivais pas au bon moment. Je réitirais ainsi une dizaine de tentative sans résultat. Le reste de la nuit fut une alternance entre mes phases d'éveils où je ressassais mes heures sombres et mes accès au monde onirique où je ne comptais plus mes efforts avortés afin de sauver Rose.
Au petit matin, malgré l'odeur familière des pancakes qui s'immisça dans mes narines, mon réveil ne fut pas des plus joyeux. La gentille petite intention de Naphaël m'alla droit au coeur, mais la faim n'était pas au rendez-vous. La milice temporelle se présenta à nous peu de temps après le petit déjeuner. Il fallut que je témoigne une seconde fois. Revivre ce moment était très éprouvant mais la présence de mon cher et tendre fut d'un grand soutien. J’omis volontairement de relater le fait que mon bourreau semblait me connaître. Pour eux, cet homme était juste un cambrioleur et la situation avait dégénéré lorsque je l'avais surpris. C'est aussi la version que j'avais donné à Naphaël, je souhaitais comprendre ce fait avant de me confier. Nos visiteurs semblèrent s'en contenter et repartirent.
J'avais demandé à Naphaël de rester jusqu'à la crémation de mon arrière grand-mère afin de pouvoir lui faire mes adieux. Celle-ci eu lieu une semaine plus tard après la cloturation définitive des investigations. La police statua en faveur d'un cambriolage ayant mal tourné.
J'y vis ma grand-mère Lucie ainsi que ma mère. J'observais cette dernière, Emma, alors âgé de 6 ans, qui pleurait à chaude larme ne comprenant pas pourquoi elle ne verrait plus sa grand-mère. Les miennes ne cessaient de jaillirent de mes glandes lacrymales, ne réussissant pas à intervenir sur ce flot constant. Leur présence me bouleversa, j'aurais tant aimé les serrer dans mes bras. Je croisais le regard de ma grand-mère lorsqu'elle m’aperçut. C'est d'un pas chancelant que celle-ci vint alors à ma rencontre.
-Toutes mes condoléances, Madame. Lui disais-je d'une petite voix lorsqu'elle arriva à ma hauteur, la gorge serrée.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque cette dernière me prit dans ses bras. Ce réconfort innatendu m'ébranla provoquant en moi de vives émois.
- Je suis désolé que vous ayez dû vivre ça, m'expliqua-t-elle tout en me serrant fort. Cela a dû être tellement éprouvant, que je n'ose même pas imaginer.
Elle s'écarta de moi et me prit la main.
- Vous savez, elle vous aimait beaucoup, vous avez égayée la fin de sa vie, j’espérais vous voir aujourd'hui. J'ai retrouvé ceci sur sa table de nuit.
Elle me lâcha, fouilla dans son sac puis me tendit ce qu'il semblait être une enveloppe.
- Je pense qu'elle souhaitait vous l'adresser peu de temps avant de se faire... la jeune femme se tut, il lui était impossible de prononcer ces derniers mots.
Je fis un signe de tête insinuant que j'avais compris. Je la pris et y lut «Pour Lili », écrit d'une jolie calligraphie. Je remerciais gracieusement ma grand-mère et la laissa s'en aller. En la voyant s'éloigner, mon cœur défaillit une nouvelle fois. J'avais eu la chance de la revoir ainsi que ma mère. Je fis un dernier arrêt devant la sépulture où gisait maintenant les cendres de mon arrière grand-mère puis lui fis mes adieux. Naphaël m’accueillit dans ses bras réconfortant, je jetais un dernier regard derrière-moi puis nous partîmes. Il était temps pour nous de retrouver notre époque.

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