Été 2015 - 1 

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LA ROCHELLE - ÉTÉ 2015

C’était avec soulagement qu’il quittait son lieu de travail estival, endolori après des heures à avoir couru partout pour satisfaire les demandes des vacanciers. La Rochelle était une belle ville, prisée des touristes ne serait-ce pour le bord de mer. Lui aussi avait été impressionné par la vue imprenable sur le Pertuis d’Antioche. Les premiers jours, il avait contemplé le paysage aquatique comme un enfant face à une confiserie. Les semaines suivantes, il avait pris le temps de faire un détour par la plage pendant son temps libre afin de s’asseoir sur le sable, et contempler longuement la mer afin de se ressourcer. Il avait réalisé à quel point une activité si simple, qui ne demandait aucun effort, aucun denier, pouvait être plus apaisante que n’importe quelle séance de psy. Voilà d’où lui venait son amour pour cette ville qu’il ne connaissait que depuis un an : son effet thérapeutique.

Et il semblerait qu’il ne soit pas le seul à être sensible à cette beauté et aux embruns marins, même lorsque les touristes se les accaparaient. Son meilleur ami partageait son sentiment et c’était d’ailleurs avec un sourire aux lèvres qu’il le rejoignit. Il se trouvait au même endroit où il l’avait laissé durant sa pause de midi, dans un coin tranquille inconnu des vacanciers. Un grand carnet à croquis sur les genoux, il reproduisait la vue sur la mer et se donnait du mal pour retranscrire les couleurs du crépuscule. Il prit d’ailleurs le temps d’admirer immensité du ciel, l’éclat d’or du soleil couchant qui traversait les nuages, le rose orangé qui les ourlait et dissipait les dernières touches de bleu qui se reflétaient encore dans la mer. Tout simplement magnifique.

- Léandre ! appela-t-il ensuite pour signaler sa présence quelques secondes avant d’arriver à sa hauteur, et ne pas le surprendre.

Pas que son meilleur ami soit impressionnable, mais il respectait le besoin des artistes d’être dans leur bulle. Il n’aimait pas l’idée de l’en sortir trop brutalement alors qu’il était inspiré. Si ses propres études et La Rochelle lui avaient beaucoup apporté, pour Léandre c’était le dessin qui lui était bénéfique. Se reconvertir dans l’art l’année dernière, et renoncer à la criminologie, fut une excellente décision. Il l’avait constaté lors de leurs retrouvailles au début de l’été.

Pour la première fois depuis des années, il avait vu son meilleur ami sourire. Il n’existait pas plus belle preuve que la vie devenait enfin plus douce. Et se voir plus apaisés l’un et l’autre leur avait permis d’aller encore mieux au fil des jours. C’était leurs plus belles vacances depuis bien trop longtemps.

- Ah, Justin. Tu dois être fatigué, répondit Léandre en tournant la tête vers lui.

- Un peu, mais je préférais venir te chercher plutôt que rentrer directement. J’étais sûr que tu serais encore là vu cette vue !

Ils échangèrent un sourire et cela émut Justin malgré lui. Il s’était résigné à ne plus jamais voir cette expression sur le visage de son meilleur ami. Il s’installa ensuite à côté de lui sur le sable et jeta un œil sur son croquis du crépuscule.

- Très joli. Ça te change de dessiner des paysages. Ce n’est pas trop difficile ?

- Si, surtout que la colorisation n’est pas mon point fort. Ça n’aurait ressemblé à rien avec de la peinture tellement je ne maîtrise pas.

- Heureusement, tu vas pouvoir t’améliorer, sous-entendit Justin avec un léger sourire.

Il ne pensait pas tant aux Beaux-Arts et son enseignement poussé aux différentes techniques d’art. Sa remarque était plus subtile et concernait une personne en particulier. Durant cette première année d’études, Léandre avait fait la connaissance d’Andrea, une camarade de première année, elle aussi. Et si Léandre semblait plus à l’aise avec le noir et blanc, la maîtrise des ombres et de la lumière, le clair-obscur, le crayon à papier et le fusain, la jeune femme s’en sortait mieux que lui au niveau de la peinture.

En tant qu’artistes, ils se complétaient et nul doute aux yeux de Justin qu’elle n’était pas étrangère au fait qu’il souriait à nouveau. Rien que pour cela, il l’appréciait, quand bien même il ne l’avait jamais rencontrée. Il aurait pu être jaloux de ne plus avoir l’exclusivité en amitié mais, au contraire, voir Léandre créer des liens - sains qui plus est - le rendait heureux. Peut-être allaient-ils se compléter en dehors de leur attrait pour l’art, un jour, mais Justin gardait cette idée pour lui afin de ne pas embarrasser son ami plus qu’il n’en fallait : il avait déjà droit aux questions indiscrètes depuis qu’il côtoyait sa camarade.

- On ferait mieux de rentrer. Il va faire nuit et tu dois te reposer, fit remarquer Léandre, sans relever le sous-entendu, tout en fermant son carnet et en rangeant son matériel.

- D’accord. On s’arrête prendre un truc à emporter pour ce soir ?

- Je vais faire des crêpes, ce sera plus simple.

- Évidemment.

Léandre et les crêpes, voilà une belle histoire d’amour qui datait de plusieurs années. Cela rendait Justin nostalgique et, même s’il en avait mangé beaucoup depuis l’arrivée de Léandre cet été, il ne s’en lassait pas. Ils variaient les recettes, les garnitures, en profitaient pour discuter, en totale nostalgie de leur enfance, à une époque où tout allait bien.

Alors qu’ils longeaient la plage, Justin ne put retenir un léger soupir triste. Les vacances scolaires touchaient presque à leur fin. Bientôt, Léandre partirait d’ici, retournerait à Rouen pour débuter sa seconde année d’études aux Beaux-Arts. Durant les prochains mois, ils ne se parleraient plus qu’au téléphone ou par écrans interposés. Il tenta bien de se rassurer : c’était toujours mieux que rien… mais tout de même…

Il prit sur lui avant que Léandre ne remarque son léger accès de mélancolie. Hors de question de l’attrister ou le faire culpabiliser, il estimait l’avoir assez fait par le passé. Il inspira donc profondément l’air matin alourdi par les odeurs de nourriture sortant des multiples restaurants remplis de touristes, puis se déchargea de ses pensées négatives.

Mieux valait profiter de ces prochains jours sans les gâcher avec du chagrin.

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