Chapitre 13

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Encore stupéfait, Gordon regardait sans y croire l'hélicoptère qui fonçait en direction de la rivière. Cette fameuse rivière par où ils auraient dû s'échapper. D'habitude, les forces anti exogènes n'abandonnaient pas les leurs derrière elles. À l'évidence, Kathy avait assez de valeur pour les faire déroger à cette règle. Et à présent, il se retrouvait dans la situation qu'il avait absolument essayé d'éviter, à savoir affronter seul six améliorés. En guise de bilan positif, il n'y avait plus aucun tireur perché dans le ciel pour le canarder.

Devant lui, les six soldats avaient formé un arc de cercle défensif. Ils avançaient lentement dans sa direction, d'un pas régulier, sans montrer aucune peur. Gordon interpréta sans mal l'attitude de ces hommes. Ils étaient prêts à mourir. Pas lui.

Il inspira et expira longuement, laissant la frénésie monter en lui. Autoriser cet instinct ancestral à l'envahir l'agaçait autant que de devoir se faire arracher une canine ébréchée après l'avoir plantée dans une cervicale en mordant trop vivement une gorge appétissante.

La soif rayonna d'abord dans son estomac, le crispant de douleur et d'impatience. Elle se répandit ensuite dans ses jambes, gonflant ses muscles, puis son torse et ses bras. Elle gagna alors son cou, sa bouche, qui s'assécha, et son cerveau, l'empêchant de réfléchir clairement.

Elle prit possession de lui. Elle devint lui. Alors, il ne put plus penser qu'à ces corps chauds qui attendaient ses crocs. Sa vision se nimba de rouge, ses mains se courbèrent comme des serres.

Dans son dos, un souffle d'air l'informa qu'il n'était plus seul. Il se retourna à demi pour que Lilith comprenne ce qu'il avait fait. Comme à chaque fois qu'il la voyait armée de sa flamberge et protégée par son armure d'écailles, il la trouva aussi belle que terrible. Gordon se rendit compte qu'elle avait souffert durant son dernier combat. Ses joues rosées lui indiquaient qu'elle venait de se nourrir, mais les plaies à peine refermées sur sa cuisse racontaient que cela ne suffisait pas. Pourtant, elle allait devoir faire avec. Elle seule serait capable de rattraper l'hélicoptère, pour autant que cela soit encore possible. D'un geste brusque du menton, il lui désigna l'appareil qui n'était plus qu'une mouche qui se confondait avec l'obscurité. Il savait qu'il lui en demandait beaucoup : comme lui, elle allait devoir laisser libre champ à une partie d'elle qu'elle gardait d'ordinaire sous contrôle. Mais ce n'était pas Christobald qui pourrait les aider sur ce coup-là.

Lilith comprit immédiatement ce qu'il attendait d'elle. Son regard se durcit. Sa voix prit une vibration métallique lorsqu'elle sadressa à Christobald :

- Comme tu peux le constater, Gordon est incapable de parler pour l'instant. Je vais tenter de rattraper l'hélicoptère. Débarrassez-vous des améliorés.

Le nécromancien opina du chef. Il n'avait pas bronché à la vision qu'offrait Gordon, avec sa mâchoire totalement déformée, ses yeux agrandis couleur de sang, son nez épaté, proche de celui d'une chauve-souris, ses oreilles qui s'étaient allongées et effilées pour mieux percevoir le moindre infrason, ses muscles qui s'étaient déformés, lui donnant des allures de gargouilles. Dans le cou de Christobald, le tatouage s'étendait déjà sous l'effet des forces magiques qu'il accumulait en lui. Des remugles de chair en décomposition émanaient de lui. Gordon huma l'air poisseux à la manière d'un limier. N'importe quelle goule aurait considéré le nécromancien comme un délicieux encas.

Sans plus se préoccuper d'eux, Lilith se dirigea vers un bord de toit éloigné abrité. Ce qu'elle s'apprêtait à faire requérait sa totale concentration. Christobald et lui seraient seuls pour s'occuper des améliorés. Incapable de se retenir plus longtemps, il bondit en avant. Les six hommes enfoncèrent la détente de leur arme. Gordon courut en zigzaguant. Les balles sifflaient autour de lui sans le toucher. Grâce à ses sens surdéveloppés par la soif de sang, il calculait chaque trajectoire bien avant qu'elles ne l'atteignent. D'un bond puissant, il sauta sur l'amélioré en bout de file, le percutant avec la force d'un train de marchandises. L'homme s'envola avec lui, mais ses réflexes perfectionnés entrèrent en action. Il dégaina un poignard caché dans sa botte et le planta entre les côtes de Gordon au moment où il heurtait le sol lourdement.

La douleur n'affaiblit pas Gordon plus qu'une piqûre d'abeille. Il ouvrit démesurément ses mâchoires, et arracha la gorge offerte. Sans se soucier de la lame toujours enfoncée entre ses côtes, il bondit sur un deuxième. Dans son dos, le cadavre frais se réveillait déjà sous l'impulsion de Christobald.

Avec sa vision rétrécie, Gordon ne parvenait à se concentrer que sur un adversaire à la fois. Il lutta au corps à corps avec l'amélioré, cherchant à planter ses dents de n'importe quelle partie molle de son anatomie. Trois impacts firent trembler son corps. À nouveau, la douleur lui parut terriblement lointaine. Sous l'effet de frénésie, il ne sentait presque rien. Cela ne signifiait pas pour autant que ses blessures étaient sans gravité. Il savait qu'il ne résisterait pas très longtemps à ce rythme-là.

L'homme qu'il tenait s'affaissa entre ses bras, criblé de balles par le cadavre animé. Gordon se rendit compte qu'il ne restait plus qu'un adversaire debout. Il luttait au corps à corps avec Christobald, qui perdait abondamment de sang d'une profonde lacération à la cuisse. Le contrôle du nécromancien sur sa création avait glissé. Le cadavre animé s'était figé en une pose grotesque, intensifiée par la masse sanguinolente qui constituait autrefois son avant-bras gauche, déchiqueté par une rafale de projectiles.

Gordon s'élança vers les deux combattants. Christobald se défendait du mieux qu'il le pouvait, mais il n'était clairement pas de taille face à l'amélioré. Celui-ci semblait jouer avec sa proie, se contentant de harceler de sa lame. À croire qu'il voulait profiter de ces derniers instants de plaisir avant de mourir, songea Gordon.

Le vampire arriva par le côté, plaquant l'amélioré au sol dans un mouvement que n'aurait pas renié un joueur de football américain. Dès qu'ils heurtèrent le béton, Gordon arracha les plaques articulées qui protégeaient le cou de sa victime avant d'y plonger les canines. Il aspira une infime gorgée de sang, méfiant à l'idée qu'il soit empoisonné. Quand la première goutte entra en contact avec sa langue, il fut immédiatement rassuré. Honteux, il dut même retenir un gémissement d'extase au contact ce nectar. Cet homme-là avait un goût délicieux. Repris par la frénésie, il pompa une énorme lampée de sang, manqua de s'étouffer en l'avalant, puis recommença encore et encore. Il ne s'arrêta que lorsque le cadavre fut tout à fait froid. Alors seulement, il releva les yeux, et constata que Christobald le fixait avec un dégoût non dissimulé. Ce devait être la première fois qu'il assistait au repas d'un vampire en frénésie. Sa soif enfin apaisée, Gordon se remit debout. Il sentait ses muscles, ses os et ses tissus mous reprendre lentement leur place et leur taille habituelle. Impression confirmée par le regard de Christobald qui détourna les yeux, gêné.

- C'est la première fois que tu croises un vampire en frénésie, si j'en crois ta réaction de pucelle, ricana-t-il.

- Pas le moins du monde, mais les précédents avaient la décence de dissimuler leur érection causée par l'absorption de sang...

Alors que Gordon s'apprêtait à répliquer, une explosion déchira l'air dans le lointain. L'hélicoptère venait de se transformer en boule de feu.

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