Chapitre Quinze

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Léonore se tenait sagement sur sa chaise Louis XVI. Un visage familier lui avait demandé de patienter ici le temps des formalités puis il avait disparu sur les talons d’un membre du consulat. Elle n’était pas la seule à patienter dans ce petit salon, probablement anti-chambre d’une sommité de l’ambassade française. À son exact opposé se tenait une grande brune qui détonnait dans ce décor sophistiqué. Le magnifique auburn de ses cheveux disparaissait sous une couche de poussière. Elle avait dû pleurer récemment. Deux sillons bien marqués suivaient le joli arrondi de ses joues grises de crasse. Hagarde, son visage témoignait encore des récents évènements qui venaient de secouer Istanbul.

Une bombe avait frappé le marché. Non. Un tremblement de terre. Le son d’un séisme ressemblait à celui d’une explosion quand on se trouvait près de l'épicentre, lui avait-on appris dans un moment d’accalmie.

Laurent. C’était son nom. Qui était-il déjà ? Un employé ? Son ami ? Son amant ? Un jeune retraité ? Des flashs fusaient dans son esprit. On lui avait expliqué sa mémoire défaillante. Ses carnets de voyage… Elle avait besoin de ses notes ! Tel un parfait écho, sa comparse d’infortune s’agita et commença à respirer bruyamment avant de se caler sur le rythme respiratoire de Léonore. Cette dernière répétait un exercice de relaxation. Elle le maitrisait à la perfection depuis la découverte de sa maladie, mais il ne l’apaisa pas totalement. Ses notes et le reste de ses affaires étaient perdus. Les témoignages de son périple n'existaient plus. Plus de photos. Plus de vidéos. Plus de souvenirs. Le Cloud avait bien avalé chacune de leurs étapes et les recrachait à chaque lecteur avide, mais plus rien de tangible ne subsistait. À quoi pouvait-elle se raccrocher ? Elle n’avait aucune confiance en ce monstre Internet qui pouvait faire et défaire les identités.

Elle-même était un puzzle aux pièces manquantes. Elle vit des masques. L’eau l’engloutir. Des sables mouvants l’aspirer puis des vagues la ramener sur le littoral. Un train qui partait d’une gare et dont on ignorait autant le point de départ que son arrivée. Elle était une. Elle était multiple. Il lui semblait avoir des enfants. Un mari peut-être. Mais non ! Elle ne serait pas partie sans eux, pas dans un voyage de cette envergure. Son cœur rata un battement. Était-elle partie sur un coup de tête en les oubliant ? Elle était impulsive ! Son aventure était ponctuée de destinations imprévues. Du moins, le croyait-elle… Rien n’était écrit par avance. Sa mère avait organisé une escale. Ou bien était-ce un autre proche ? Elle ne savait pas. Elle ne savait pas ! Son être était éparpillé. Il lui paraissait alors que chaque réminiscence d’elle était une version différente, comme écrite par différents auteurs. Un reste de brouillard lui dérobait la trame principale et sans celle-ci, toute la fragilité de son monde apparaissait crûment : narratrice omnisciente, mais défaillante.

“ - Léonore ? “

Le reflet du grand miroir s’anima. Le regard éteint s’illumina aussitôt d’un éclat rieur. Seule dans la pièce avec Laurent, elle comprit qu’il venait de la renvoyer à son corps. La force d’un prénom. Elle le fit rouler silencieusement sur sa langue. Léonore. Léonore. Laurent la guida vers l’extérieur et elle prêta à peine attention à ses paroles. Pourtant, deux options s’offraient à eux maintenant : soit ils prenaient la direction de l’est et poursuivait leurs pérégrinations vers des pays profondément bouleversés par les conflits, soit un vol de rapatriement vers la France les attendait. Joséa, la mère de Léonore, supervisait la logistique administrative, financière et matérielle. Sécurité ou témérité, le choix était sien mais elle n’en avait cure. À nouveau, elle était Une.

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