Bruxelles, gare centrale, mercredi.

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Le gérant de la guinguette jette un oeil attendri vers l’escalier.
Ce n’est pas la première fois qu’elle lui prend deux cafés et va en offrir un au SDF qui, tous les matins, vient s’assoir deux heures sur les marches de l’escalier filant vers la galerie.
Le cafetier se dit que s’il y avait plus de gens comme elle, le monde irait beaucoup mieux. La plupart des passants déambulent devant ces pauvres hères sans même les voir, elle fait partie des rares qui leur adressent tantôt un sourire, tantôt quelques mots. C’est plus précieux encore qu’une petite pièce. Aujourd’hui, comme cela lui arrive parfois, elle s’assied à côté de l’homme au chien et lui tend un des cafés. Elle va probablement discuter un peu avec lui. Cinq minutes, pas plus. Mais cinq minutes qu’elle prend sur sa vie à elle, que l’on devine déjà bien remplie. Sans rien demander en échange.

Bien sûr, la jeune femme finit par reprendre sa route. Mais derrière sa machine à expresso et son étal de viennoiseries, Jamal trouve ça cool.

À peine dix minutes plus tard, c’est Dino qui débouche et gratifie son ami d’un tonitruant « salut Roméo ».

— J’ai raté Juliette ?

— Tu m’emmerdes !

— Pas grave. J’toucherai pas à ta princesse qui serre les fesses. Par contre, si la blondasse d’hier se pointe, j’te promets rien. Parce que elle, si elle dit gentiment oui, j’dirai pas méchamment non.

— T’es encore plus con qu’hier. À un moment donné, c’est plus possible, tu dois toucher le fond.

Les deux hommes rient de bon coeur et continuent à converser.
Il ne faut pas un quart d’heure avant que les narines de Dino frémissent.

— Réglée comme du papier à musique …

Elle est là, de l’autre côté du hall. Perdue dans la foule et pourtant, on ne voit qu’elle. Un mec la suit à quelques mètres, les yeux rivés sur son cul. S'il continue à la reluquer ainsi, il va finir par s’étaler de tout son long en butant contre un obstacle.

Elle approche, Dino se lance.

— M’dame, une petite pièce ?

Elle s’arrête à un mètre d’eux. Dino fulmine, il aurait dû carrément s’assoir sur le sol plutôt que sur la troisième marche, il aurait eu ses cuisses à hauteur des yeux. Il commence à s’user, il fut un temps où il anticipait ce genre de détail.
Elle arbore une petite moue, comme si elle ne savait que répondre, puis sourit en tendant vers eux ses poings fermés.

— Peut-être, lance-t-elle, espiègle.

L’homme au chien est le premier à comprendre. Du doigt, il désigne la main gauche. Il n’a même pas osé la toucher du bout de son index, de peur de souiller tant de beauté.
Avec un sourire affolant, elle retourne sa main et l’ouvre … sur une paume vide. Pas de chance. Elle tend maintenant sa paume ouverte et son poing fermé vers Dino. Lui ne se prive pas, saisit avec une infinie douceur le poignet délicat et retourne sa main vers le haut. Lâche la fine articulation.
Elle ouvre lentement les doigts, dévoilant deux pièces de deux euros puis, mutine, les laisse glisser dans le gobelet en ajoutant :

— Une chacun …

Même Dino en reste baba. Pas à cause des pièces bien sûr, c'est toute l'attitude, tout ce qui émane de la jeune femme qui l'émeut. Il voudrait lui lancer un bon mot bien grivois, mais rien ne sort de sa bouche, lui qui d'ordinaire raille sans vergogne les catins et les paumées de la gare du Nord.
Quand elle se relève en leur souhaitant une bonne journée, avec toujours ce sourire désarmant, il est pris d’une furieuse envie de lui mettre la main aux fesses. Ou au moins de la toucher, juste une seconde. Mais il en est incapable, tétanisé qu’il est. Stupide. Charmé.

Elle s’éloigne, les deux amis se regardent, l’homme au chien est le premier à reprendre ses esprits.

— Un ange. C’est un ange.

Dino ajoute :

— Ouais … ou un démon.

A suivre ...

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