Chapitre 2 : Boni
Il y a des silences qui pèsent plus que mille cris.
Et puis, parfois, une main se tend. Un regard change. Et ce qu’on croyait mort se remet à respirer.
Dans ce chapitre, Marceline découvre un autre visage de Boni. Un homme qu’elle croyait avoir perdu… mais qui, contre toute attente, revient.
Peut-on aimer encore, après tant d’éloignement ?
Bonne lecture… et merci d’être là.
— Takou
Après cette annonce, ce dîner et cette soirée trouble, nous rentrâmes ensemble, chacun dans sa voiture, comme autrefois. À l’époque, nous roulions avec fierté, comme un symbole silencieux de notre réussite. Montrer que le couple avait dépassé la phase des débuts incertains pour jouir enfin de quelques privilèges.
Il roulait tout doucement, m’attendant à chaque feu, à chaque ralentissement, comme s’il voulait s’assurer que je ne le perde pas. Moi, j’étais là, figée avec le temps, soupirant dans mon être que je rêvais encore cette journée. Espérant me réveiller dans ces années d’éloignement, de non-sens, de perte de libido, de fatigue du cœur.
Je descendis les vitres, pour respirer l’air frais, pour entendre les bruits du soir comme un chant. Puis, nous arrivâmes devant le portail. Il me laissa passer. Je garai la voiture au fond du garage, et il entra après moi.
Aminata était là. Elle m’ouvrit la portière et prit mon sac à main.
— Tata, tu es toujours toute belle ! Ton maquillage n’a même pas bougé !
— Merci Aminata. Et les enfants ?
— Ils dorment.
— D’accord.
— Bonsoir Tonton, dit-elle avec un sourire.
— Bonsoir Aminata.
— Du café ? demanda-t-elle, ravie de nous voir rentrer ensemble, sans doute.
— Oui, du café.
Je me rapprochai de lui, sur le point de lui demander s’il pouvait vraiment en boire, mais il me prit la main. J’en fus surprise. Ça faisait longtemps. Longtemps qu’il ne m’avait pas tenue ainsi. Je sentis à nouveau cette force.
Nous montâmes dans notre chambre. Avant même qu’il ne se déshabille, Aminata arriva avec le café. Puis, elle sortit discrètement.
— Ils ont dit de faire attention au café, dit-il. Je ne dois en prendre qu’un par jour. Mais je vais diminuer progressivement. Je m’y suis trop habitué.
Il me regarda avec un sourire rassurant.
— Tu as aimé ta soirée d’anniversaire ?
— Oui. Merci chéri.
— Alors, pourquoi tu ne souris pas ? Pourquoi tu ne jubiles pas ? (Il se rapprocha de moi) Tu étais tellement belle ce soir. Cette robe te va à merveille. J’ai eu le souffle coupé en te voyant. Tu es ravissante, ma femme. — Merci…
Il m’embrassa. Et ce soir-là, la passion avec laquelle nous avons fait l’amour semblait être née d’un feu étrange. Comme si tout le monde s’était arrêté d’exister. Comme si l’avenir, pour une fois, n’appartenait qu’à nous deux. Je m’endormis dans ses bras.
Oh ! que je t’aime, mon chéri. Que notre vie est belle !
Quatre mois plus tard, les choses commencèrent à ne plus aller du tout. Je voyais mon homme s’affaiblir. Ses yeux jaunissaient. Son corps s’amincissait. Son sourire devenait triste. Pourtant, chaque matin, il se levait et allait travailler.
Il parlait moins. Moins de ses projets, moins de ses amis, moins des soirées. Toute sa préoccupation semblait se résumer à mon bonheur.
— Est-ce que tu es heureuse ?
— Tu veux quelque chose ?
— Tu es bien rentrée ?
Un soir, il rentra plus tôt que d’habitude. Il m’appela dans le jardin.
— Viens voir, dit-il, comme un enfant pressé de montrer un cadeau.
Il m’emmena devant le portail, et là, une nouvelle voiture m’attendait. Rouge cerise. Brillante.
— Elle est pour toi.
Je restai sans voix.
— Pourquoi ?
— Parce que tu le mérites. Parce que je veux te voir sourire quand tu tiens le volant. Parce que je sais que je ne t’ai pas offert tout ce que tu méritais, et que maintenant, il est temps d’essayer.
Je n’ai rien dit. Je l’ai regardé. Et j’ai eu peur.
Un soir, je n’ai plus pu faire semblant. Assise sur le lit, en face de lui, je lui dis :
— Tu vas aller mieux. Les docteurs sont confiants. Les chimios donnent de bons résultats.
Il me sourit, mais dans ses yeux, quelque chose s’éteignait.
— Parle-moi, Boni. Dis-moi quelque chose. Qu’est-ce que tu ressens ?
Il posa la tasse vide sur la table de nuit.
— Je vais partir, Marceline. Je le sais. Je le sens… Le pire, c’est que je ne veux pas te faire vivre ça. Vingt ans, j’ai été égoïste. J’ai profité de ta force pour tirer toujours plus loin. J’ai abusé de ta patience, de ton charme, de ta persévérance. Je t’ai trahie, maintes et maintes fois… et maintenant, je vais te demander de te battre avec moi jusqu’au bout ? C’est trop. Je veux partir en paix. Laisse-moi.
Je lui pris alors la main, fermement.
— Non seulement tu vas vivre, mais je serai là. Pour qu’on le célèbre ensemble.
Il me regarda, ému, et murmura :
— Ma Marceline ».
Après quelques mois de chimio, tout semblait aller mieux. Mais un matin, Boni démissionna de son travail. J’en fus surprise. L’épaisseur de la tumeur avait diminué, ses forces revenaient et il avait même l’air de reprendre du poids.
— Je veux qu’on parte visiter des villes de l’intérieur. Celles qu’on voulait voir…
— Je prends mes congés dans trois mois au moins, Boni.
— Je vais attendre…
— Et qu’est-ce que tu feras tout ce temps ?
— Je les passerai avec les enfants.
— Boni ?
— Je vais vivre, je le sais Marceline. Mais j’ai compris que je peux aussi mourir, et je veux faire des choses qui ont vraiment un sens pour moi. Comprends-tu ?
— Ok.
C’était étrange de rentrer chaque soir et de le voir au salon, lisant, jouant avec les enfants, cuisinant parfois, et surtout, riant. Au fond de moi, je me disais qu’il y avait sûrement un Dieu dans les cieux qui, à force de m’entendre gémir, avait rendu Boni malade. Mais quel Dieu rend malade pour rendre vivant ?
Puis, je me suis dit en silence : Tu sais quoi Marceline ? Profite.
Je me mis soudain à courir avec eux dans le salon. On riait tous, comme jamais auparavant. Même Aminata nous regardait, dépassée, comme si nous étions les enfants et elle, la seule adulte dans cette maison bouleversée.
On dîna ce soir-là dans la chambre de Flora. Elle nous accueillit tous ensemble, et nous avons fini par nous endormir sur sa moquette.
Dans la nuit, Boni me réveilla. Il voulait qu’on monte sur la dalle qu’il construisait en haut de notre villa, celle sur laquelle il rêvait de jouer au golf avec ses amis. Nous nous assîmes, enveloppés par la pleine lune, à observer les étoiles.
— Tu y crois, toi ?
— En quoi ?
— Au paradis…
— Le paradis c’est ici, Boni. C’est toi, moi, Flora, Arthur, Maël…
— Et Aminata aussi…
Je ris.
— Et Aminata aussi, repris-je. Tu vois, ton paradis est ici. Et ça m’étonne que tu souhaites un autre paradis que celui que nous vivons.
— Tu as raison, ma Reine.
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