35 - Gundam Fight

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 Corentin a rejoint William au salon. Je me rince le visage en vitesse, jette un dernier coup d'œil à mon reflet dans le miroir. Alors c'est ça ? J'ai vraiment un copain ? J'ai du mal à y croire, même si mon ventre se tord en pensant à lui. Pourquoi est-ce que je me sens bizarre ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à me calmer ? Ne devrais-je pas sauter de joie à l'idée de le savoir avec moi un matin de Noël ?

 Résigné à ne pas laisser William l'accaparer trop longtemps, je me dépêche de les rejoindre.

 Quand j'arrive au salon, ils sont en grande conversation. Ou plutôt, William est en grande conversation avec lui-même, tandis que Corentin écoute, un café entre les mains. Il est vraiment mignon dans son rôle de prince matinal. Il se tient si droit qu'on dirait un danseur. Il semble remarquer que je le regarde car il lève les yeux vers moi ; instantanément, je détourne les miens, rouge de honte, et me dirige vers le placard. Depuis quand suis-je devenu aussi timide ?

 - ...Tu l'aurais vu courir dans tous les sens, c'était un petit être adorable qui ne pouvait se passer de moi.

 Je sors un bol pour me faire un chocolat et grimace en saisissant la teneur des propos du frère prodige. Est-ce qu'il parle vraiment de moi, là ?

 - Il adorait me piquer mes affaires, mais en frère conciliant, je les lui laissais volontiers...

 Je ris jaune.

 Dis plutôt que tu courais dans les jupes de maman en pleurant chaque fois que tu en avais l'occasion et que tu ne manquais jamais de lui rappeler toutes les misères que je te faisais subir...

 - Une fois, il a même pris le Gundam que j'avais eu à mon anniversaire et l'a cassé. Il a toujours aimé ces trucs-là...

 Rectification : c'était mon Gundam. Et quel besoin as-tu de lui raconter tout ça ?

 - Et c'est reparti pour un tour, lancé-je, ironique, en glissant mon bol dans le micro-onde. William, le grand-frère martyrisé par son horrible petit frère !

 - Tu vois ? Il n'a pas changé d'un iota, ajoute-t-il d'un ton moqueur. N'est-il pas détestable ?

 Corentin rit, gêné de cette remarque.

 - Moi je le trouve plutôt mignon, avoue-t-il en jetant un rapide coup d'œil dans ma direction.

 Ai... Ai-je bien entendu ? Je m'étrangle avec ma salive, vire instantanément au cramoisi tout en essayant de récupérer mon bol dans le micro-onde sans me brûler. Je crois que j'aimerais juste disparaître, là, maintenant, tout de suite ! M'enterrer six pieds sous terre, là où Will ne pourra pas me fustiger. Pourtant, une parcelle de moi jubile. Corentin m'interroge du regard pour savoir s'il a bien fait. Je lui adresse un sourire béat. Au moins, son intervention a eu un effet direct sur le frérot, qui ne trouve rien à redire. Pire, même, il s'est vexé et ne décroche plus un mot jusqu'à la fin du déjeuner. Agacé, il finit par se lever, puis revient avec un paquet qu'il me tend, pour ne pas dire qu'il me balance, sceptique.

 - Tiens, et joyeux noël.

 Puis il se tourne vers son invité :

 - Je n'ai rien prévu pour toi, mais je suppose que tu as déjà eu le tien ?

 Il nous gratifie chacun d'un regard plus qu'équivoque : il n'est pas dupe, il a très bien compris ce qui se jouait entre nous. Il faut dire que Corentin n'a pas mâché ses mots.

 - Tu supposes bien. Merci.

 Je me fige à nouveau. Je crois que l'atmosphère devient vraiment trop cordiale à mon goût. Rouge jusqu'aux oreilles, j'en profite pour m'éclipser, passe deux secondes à la salle de bain, tente en vain de me calmer. William et Corentin ensemble... Je retiens un rire nerveux. J'en aurais rêvé que je n'aurais pas pu mieux faire, on dirait que ces deux-là ne sont pas faits pour s'entendre.

 Je récupère dans mon placard le cadeau que j'ai prévu pour le frérot et file au salon.

 - Tiens, faute de te trouver une copine, celle-ci au moins saura te supporter...

 William se fige trois secondes, jette un rapide coup d'œil à Corentin, puis feint de rire en découvrant le présent que je lui ai offert : un aspirateur-robot et tout ce qu'il faut en accessoires pour satisfaire n'importe quel phobique de la miette égarée. Finalement, le cadeau a raison de sa mauvaise humeur. Il le déballe, met la batterie à charger et s'atèle à la lecture du manuel pendant que Corentin et moi débarrassons.

 - Alors comme ça tu aimes les Gundam ? me charrie Corentin.

 - J'aimais... quand j'étais petit, ajouté-je pour moi-même. Mais je tiens à préciser que je ne lui ai jamais volé ses affaires. William adore inventer des histoires dont il est bien évidemment toujours le héros...

 Corentin s'esclaffe et glisse ses doigts entre les miens.

 - Tu sais que je ne vais pas pouvoir rester toute la journée...

 - Je sais.

 L'heure est à la séparation. Nous cherchons tout deux à faire durer l'instant en sachant bien qu'il faudra à un moment donné que l'un de nous deux cède. Je devine qu'il doit probablement joindre des proches, mais je n'ai pas vraiment envie de le voir passer le pas de la porte. J'ai l'impression que son départ signe la fin d'une erreur de parcours, que tout ce qui s'est passé ces dernières vingt-quatre heure disparaîtra avec lui, et cette idée me met mal à l'aise. Est-ce qu'il pensera à moi une fois chez lui ?

 Il m'ébouriffe les cheveux.

 - Je n'ai pas envie de partir non plus, je te signale. Mais je reviens pour dix-sept heures, tu te souviens ?

 Je me souviens. Mais je me souviens aussi que tu parlais à Elena hier soir...

 Je boude comme un enfant mécontent, à me demander si tout ce que je vis est bien réel. Est-ce que c'est ça, l'effet que ça fait d'être en vie ? Ressentir le manque alors qu'il se trouve à côté de moi ? Devoir le partager quand je n'en ai pas envie ? Nous nous cherchons des yeux sans oser nous regarder. Je crois que j'ai peur de ce que je lirai en lui, peur de ce qu'il lira en moi. Corentin se penche à quelques centimètres de mon visage et dépose un baiser sur mon front. Je sais qu'il veut dire "à très vite", mais pour moi, c'est comme s'il me disait au revoir.

 Et c'est douloureux...

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