40 - Locked Garden

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 Je traverse le couloir jusqu'au hall et passe devant la réception et les quelques clients qui arrivent accompagnés de leurs bagages. Ils sont remplis d'entrain, d'une bonne humeur qui m'agresse à coup de sourires. Sans m'attarder, je me dirige vers le spa. J'ai besoin de changer d'air, de prendre de la distance avec Corentin. Il prend tellement de place dans ma tête que je n'arrive plus à réfléchir. Je coupe à gauche devant les palissades et poursuis jusqu'au jardin tropical. Sitôt les portes passées, la chaleur me submerge, humide et étouffante. Des plantes gigantesques se dressent jusqu'au plafond à la recherche d'une lumière qui s'est éclipsée pour la nuit.

 Il fait sombre, et c'est exactement ce qu'il me faut. J'ai besoin de couper, de fermer les yeux, d'oublier pour faire le vide.

 - Tu es là pour la musique, Max. Rappelle-toi, la musique et rien d'autre...

 Je me raccroche à cette unique pensée, à cet intérêt qui me définit : le piano, la musique. Les notes m'envahissent. Il n'y a qu'elles pour effacer la douleur, qu'elles pour apaiser mes sens. Elles volent, submergent, engloutissent dans la violence. Elles pleurent, crient, hurlent que si c'était à refaire, je n'irais pas jusqu'à cette chambre. Que si c'était à refaire, je préférerais ne jamais avoir rencontré, lui.

 Quelques murmures retenus s'élèvent au milieu du clapotis de l'eau des fontaines. Je tourne en rond le temps de me calmer. On devait passer cette masterclass ensemble, sans Will, sans Laura. Sans Elena...

 Je reste un moment là, à essayer de faire taire mes émotions, puis finis par m'asseoir sur un rebord en pierre. Mon cœur pleure en silence. Pourquoi faut-il qu'à chaque fois que la situation s'arrange, ça dérape à nouveau ? Pourquoi faut-il toujours que je réagisse comme ça ?

 Je réalise que j'ai passé trop de jours sans toucher mon piano. Que j'ai besoin de mes repères pour me sentir exister. En gros, que sans Robert, je ne suis rien. J'aurais dû jouer avant de partir, ou j'aurais dû me renseigner sur les participants. J'en veux même à Griffin de m'avoir poussé à m'inscrire. Est-ce que je n'aurais pas été mieux chez moi, sans Will pour me pourrir la vie, sans Corentin pour accaparer mon esprit ?

 - Max ?

 Il finit par me repérer et approche, soulagé. Est-ce qu'il ne devrait pas plutôt être énervé ? Pourquoi est-ce qu'il ne me fait pas de reproches ?

 Il s'assoit à côté de moi. Je vois bien qu'il hésite, qu'il se demande s'il peut poser sa main sur la mienne ou pas. Que ce soit clair : s'il me touche, je le tue. Il est hors de question que la terre entière soit au courant pour nous.

 Il hésite, et respire un grand coup avant de se lancer :

 - Je suis désolé, Max. J'étais ailleurs, je ne voulais pas te blesser...

 - C'est trop tard.

 - Ça ne se reproduira pas, je te le promets...

 - Et pour Elena ? rétorqué-je.

 - Elena est juste une amie...

 - Une amie qui s'invite dans notre chambre et qui fait mine de ne pas me connaitre ?

 Je détourne la tête, sentant monter les larmes. L'entendre parler d'elle me fait réaliser le fossé qui nous sépare. Il la connait, la défend, lui fait confiance les yeux fermés quand il est si dur pour lui d'entendre mon point de vue. Comment suis-je censé faire le poids ?

 - D'accord, elle a été maladroite, conçoit-il en posant une main sur mon épaule, mais je te garantis qu'elle ne cherchait pas à te blesser...

 - Qui ne se souvient pas des gens avec qui il a passé une soirée en comité restreint ? grogné-je sans articuler.

 Après un instant de silence, il ressert ses doigts comme pour me faire comprendre qu'il est là.

 Je sais.

 Je sais que je vais finir par lui pardonner, je sais que je ne peux pas lui en vouloir, parce qu'au final il n'y est pour rien si j'agis comme un lâche. Il n'y est pour rien si mes émotions finissent toujours par tout détruire. Je suis remonté, après elle, agacé, jaloux de cette complicité qu'ils partagent. De cette relation dont je suis exclu. Je refuse d'être une fois de plus la roue de secours : je veux être le premier, le premier et le seul...

 - Je ne l'aime pas, finis-je par marmonner, tremblant. Elle et moi, on est juste... différents. Elle, elle est sûre d'elle. Moi, je ne sais juste pas comment je dois me comporter. Chaque fois que je la vois, j'ai l'impression que tout par en vrille dans mon cerveau. Elle et toi... je veux dire nous... tu sais que je ne suis pas gay et...

 Doucement, il appuie son front contre mon dos. La chaleur qui en émane traverse mon pull, j'éprouve sa présence dans le silence brisé du clapotis de l'eau.

 - Tu n'as pas à lui tenir tête, Max... dit-il dans un murmure. Je suis désolé... Elle est comme une petite sœur pour moi, alors j'ai tendance à tout lui lasser passer.

Est-ce que tu embrasserais ta sœur, toi ?

Je me retiens pourtant, de peur de faire tout exploser ou de le blesser plus que de nécessaire et de le regretter plus tard. Il a juste l'air fragile, bien plus fragile que moi, quelque part. Sentir son poids sur mon épaule remue quelque chose au fond de moi, me marque comme une blessure qui s'inscrirait dans ma chair. Il est triste, je le sens, et je pleure en silence ce mur invisible qui nous sépare.

 - Max... dit-il à mi-voix.

 Je n'ai pas envie de lui pardonner.

 Ses doigts hésitent jusqu'à ma joue qu'il caresse timidement.

 - Je suis content que tu sois venu, Max. Je veux juste dire... vraiment. J'ai envie de partager ces moments avec toi. J'ai envie d'apprendre à te connaitre, de te sentir près de moi. Je suis heureux...

Moi aussi.

 Sa phrase reste en suspens. Il détourne très brièvement les yeux et happe à nouveau mon regard, presque suppliant. Je ne sais plus quoi penser. J'aimerais le consoler, lui dire que je suis désolé, que je regrette, que je ne voulais pas réagir ainsi. Que je comprends pour Elena. Que j'en ai juste marre d'être moi, et que je veux changer, pour lui.

 - ... Heureux d'être ton petit ami...

 Sans laisser s'échapper ses doigts, son visage se rapproche. Son souffle glisse sur ma peau. Je le sens qui tremble d'envie, peut-être autant que moi. Qui se retient. Qui pose ses lèvres sur les miennes, frêle mais brûlant. A ce moment, je l'entends. Son cœur crie de désir, s'épanche d'amour. Comment lui dire tout ce qu'il éveille en moi ? Ces mots criant de vérité qui se murent au silence ?

Tu es à moi, Corentin.

 Je suis un minable. Un minable de la pire espèce, mais je l'aime.

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