52 - Return

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 La voiture file le long de la route. La masterclass a pris fin dans l'après-midi. Nous avons replié nos affaires sitôt le repas terminé. Corentin n'a pas soufflé mot depuis son intervue avec Graham. Le paysage se cache sous sa capuche de neige. Je regarde à travers la vitre mes souvenirs défiler, l'enthousiasme d'une année qui touche à sa fin. Corentin me jette un coup d'œil. Je fais mine de l'ignorer. Je n'ai pas envie de lui parler. Pas envie d'entendre le fond de leur discussion, à lui et Graham. Le futur se dessine, incertain. Qu'ai-je cru ? Que je le retiendrai ad vitam aeternam ? On ne retient pas la musique, pas plus que je n'ai le droit de le retenir, lui. Je ferme les yeux, le cœur serré. Si j'avais su que cette masterclass me le volerait, jamais je ne serais venu.

 C'est ça l'égoïsme. Vouloir garder pour soi ceux qu'on aime. Vouloir suspendre le temps, l'arrêter d'un point d'orgue.

 Je soupire, désabusé.

 Corentin se penche vers moi. Je secoue légèrement la tête. Pas maintenant, ni plus tard. Est-ce qu'ignorer une discussion qui doit avoir lieu suffit à changer le cours du destin ?

 Mon portable vibre. Je fais glisser mon pouce sur l'écran.


16h44

De : Corentin

à : Maxime

Tu m'en veux ?


 Une pointe de sarcasme monte en moi. Tu envisages de me laisser seul, de m'abandonner, et je devrais être tout sourire ?

 Je lui jette un regard en coin, l'air de demander s'il est sérieux. Il pianote à toute vitesse sur son écran. Vibration, nouveau message.


De : Corentin

à : Maxime

Vous avez prévu quoi pour le nouvel an ?


 Je croise son regard. Ses yeux brillent d’un espoir qui s’évanouit très vite en cernant mon expression. Il espère, je désespère. Est-ce que je suis censée passer la soirée avec lui, à me ronger les sangs quant à Graham ? Ses lèvres remuent et murmurent un « Max… » à peine audible. Oui, Max est blessé, Max est désespérant. Max fait la gueule. Encore une fois. Je tente de faire taire l’angoisse qui grandit en moi en fermant les yeux. C’est pour ça que je ne devrais jamais faire confiance à un humain. Une personne, ça pense, ça vit, ça fait toujours passer ses propres intérêts en priorité. Alors que la musique, elle, ne trahit jamais. Elle est toujours là où on l’attend, sincère. Fidèle.

 Eh puis merde !

 Mes doigts courent sur l’écran.


De : Maxime

à : Corentin

Rien. Tu veux passer à la maison ?


 Corentin m’adresse un sourire complice, et rappelle la présence de William d’un regard équivoque.


De : Maxime

à : Corentin

Il y a toujours moyen de s’arranger.


De : Corentin

à : Maxime

Tu ne préfères pas venir chez moi ?


 Mes pouces restent en suspend au-dessus de l’écran. Chez Corentin… Je me suis toujours demandé à quoi pouvait bien ressembler son appartement. Sa chambre. Ses affaires... Est-ce qu'on a les mêmes goûts ? Est-ce qu'il a une vie en dehors de la musique ? Est-ce que je vais aimer ce que je vais découvrir ?

 Mon cœur se met à battre avec frénésie. Pourquoi faut-il toujours que je réagisse ainsi quand je pense à lui ? Et si je n'aime pas ?

Comment pourrais-tu ne pas aimer, Max ?

 Mon portable vibre. Corentin.


De : Corentin

à : Maxime

Arrête de réfléchir. Demain, 19h chez moi.


 Mon cœur tambourine dans sa cage thoracique. Je me retourne vers lui. Dix-neuf heures ? Et je fais quoi en attendant ?

Il y a un mois tu ne supportais personne et maintenant tu ne peux même plus te passer de lui une journée. Ce n'est qu'une journée Max. Une journée ! Griffin t'a exhorté de vivre, pas de t'abîmer dans une relation avec un mec !

 Je soupire et me secouant la tête. Non, il faut juste que je reprenne le contrôle. C'est ça. Reprendre le contrôle. Je lorgne dans sa direction. Il m'observe. Si en plus il pouvait cesser d'être aussi...

Craquant.

 Craquant ? Je deviens mièvre, ce gars me rend fou ! Je songe trois secondes à prononcer mes vœux de chasteté. Trois secondes seulement, le temps à mes yeux de se laisser happer par son sourire. Toutes mes émotions s'évaporent, l'angoisse de le perdre resurgit d'un coup. Elle se glisse, enserre, ressert, ronge, m'étouffe. Accablé, je m'enfonce dans mon siège, l'attention rivée sur mon smartphone. Je n'aime pas perdre, encore moins ce qui m'est cher. Je préfère garder à distance, ne pas laisser les événements avoir une quelconque emprise sur moi. Mais comment le garder lui à distance ?

 Mon portable vibre.

 Corentin.

 Encore.


De : Corentin

à : Maxime

Ça va ?


 – Mmm...

 Je ne prends pas la peine de répondre par texto. Le son de ma voix reste coincé dans ma gorge. Il attrape maladroitement la manche de mon sweat, hésite, et devant ma réticence, finit par la relâcher. Le portable vibre.


De : Corentin

à : Maxime

Tu te poses trop de questions. Arrête de te triturer l'esprit. Ça va aller.


 Cette fois, il m'attrape franchement le bras. Je résiste. Il insiste. Je finis par lâcher prise. Sa main glisse jusqu'à la mienne, ses doigts s'immiscent entre mes doigts. Au delà du contact, son geste a quelque chose de réconfortant. Comme une promesse silencieuse qui couvre le grondement du moteur. Comme une promesse silencieuse qui apaise mes angoisses latentes.

 – Vous êtes bien silencieux, fait soudain remarquer Will.

 – Parle pour toi, rétorqué-je. T'as pas décoché une phrase depuis qu'on est partis. Laura te manque déjà ?

 Un petit sourire narquois transparaît sur son visage à travers le rétroviseur. J'ai visé juste. Laura a préféré repartir avec Elena, ce qui n'est visiblement pas à son goût. Le frérot se racle la gorge, comme chaque fois qu'il s'apprête à changer brusquement de sujet.

 – Au fait Corentin, tu as quelque chose de prévu pour le nouvel an ? Tu voudrais peut-être passer à l'appart ?

 Son invitation finit de chasser mes angoisses. Will qui invite mon copain dans mon appart ?

 Pris au dépourvu, Corentin cherche ses mots :

 – C'est gentil mais...

 – Mais on a déjà quelque chose de prévu, et si ton rancard a choisi de te planter au dernier moment, j'imagine que tu pourras toujours appeler Claire pour te tenir compagnie. Du moins si tu adhères à l'idée d'un réveillon végan, ironisé-je.

 Je retiens un rire subtile. Il y a des choses qui changent, d'autres, qui restent fidèles à elles-mêmes. Et Will préférerait mille fois tenir la chandelle en présence de Corentin plutôt que de passer le dernier jour de l'année en présence de sa génitrice.


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