Embardées cosmiques
Un débordement de la plume avec la présence émérite de Cosmic Ced.
==O==
Mes pages blanches refusent obstinément de rester immaculées. À peine je les pose sur la table, elles se mettent à frissonner. Un souffle invisible cherche à inscrire quelque chose. Un secret ? Certainement… J’approche mon Mont-Blanc d’une façon hésitante, et déjà des mots surgissent. Ils se contredisent, s’entrechoquent . Mais en plus ils se moquent de moi. L’un parle d’un jardin fou au-dessus de la mer, l’autre d’une montre dans une tombe qui s’est arrêtée depuis des années et qui soudain se met à sonner. Et pourtant derrière ce chaos, je perçois une cohérence que je ne peux encore déceler.
Peut-être est-ce cela l’extase : ne pas savoir où l’on va mais mettre un pied devant l’autre. Je me perds avec joie dans ce dédale de mots, emporté par le jeu. Mais je sais que derrière un détour, quelqu’un prendra la relève. Car ce récit n’est pas seulement le mien : il souhaite une voix complice et complémentaire. Je tends donc ma plume à mon partenaire, en espérant qu’il pourra tordre ma joie, la transformer. Ainsi naîtra une surprise plus grande encore.
Comment démêler cette histoire, qui m'est tombée sur la tête comme un nœud de serpents, sorti tout droit de la mine de ce stylo-plume ? Tout droit, c'est beaucoup dire car ce satané Mont-blanc possédé m'entraîne dans ses embardés, déborde de la page, se met à écrire sur les murs, puis au plafond de mon studio, avant de noircir la moquette... en mode rase-moquette.
Puis sur un coup d'accélérateur, il m'embarque dehors, où bizarrement, les routes d'asphalte ont été remplacées par de longs et larges rubans blancs, sur lesquels circulent désormais non plus des véhicules mais des crayons et des stylos de tous sortes, laissant sur la chaussée des messages qui s'entremêlent, façon palimpseste.
Ma plume se lance alors à l'assaut de la circulation, dépassant les stabilo-bus, frôlant les crayons de couleurs, slalomant entre les pointillés. Après quelques minutes de ce manège fort imprudent, arrive ce qui devait arriver. Je suis sifflé puis arrêté par un policier.
« On mais dites donc ! Vous avez écrit n'importe quoi sur la route, là ! »
« Désolé, monsieur l'agent. C'est ma plume qui s'est affolée. Peut-être un problème électronique ? Vous savez, ces engins modernes ! », dis-je d'un air entendu.
Je lui tends le Mont-Blanc.
« Est-ce que le contrôle technique de votre outil scripteur est à jour ? », me demande t-il d'un air accusateur, en fronçant les sourcils. Je lui tends ma carte grise, où figure le tampon attestant le bon état de ma plume. L'agent n'a pas l'air satisfait pour autant.
« Ca ira pour cette fois, mais effacez moi toutes ces bêtises », m'ordonne t-il en me tendant... un effaceur !
Il me faudra presque trois heures pour faire disparaître toutes les fantaisies sorti de mon capricieux stylo. Puis, alors que je m'apprête à rentrer, je constate que c'est la panne sèche. Le Mont-Blanc ne veut plus démarrer. Ma cartouche d'encre est vide !
Partenaire, si tu m'entends, viens me dépanner !

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