Chapitre Vingt : On est là écrit par Avenel

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Chapitre Vingt : On est là écrit par Avenel

Je l'ai pas vu approcher, une bonne femme et son pote avec son gilet de maraude : "Monsieur, est-ce que vous avez besoin de manger ou de vous réchauffer, avez-vous besoin de voir un médecin... Est-ce que nous pouvons faire quelque chose pour vous ?"

Jojo n'a pas aboyé. La bonne femme lui présente sa main et récolte un bon gros coup de langue. L'homme au gilet caresse affectueusement la fourrure de Jojo sans même prendre garde aux puces qui doivent l'infester.

Trop épuisé pour m'interposer, je m'incline devant le jugement de mon compagnon : ces gens sont amicaux. Nous acceptons un sandwich et un gobelet de soupe (équitablement partagés) ainsi que la douceur d'une barre de chocolat (non partagée : c'est poison pour les chiens). Les bénévoles prennent le temps de bavarder un peu et de s'enquérir de nos besoins.

Sans illusions, j'ose demander si l'asile de nuit accepte les animaux. Bien sûr, la réponse est négative et de toutes manières, toutes les places du 115 sont occupées à l'heure qu'il est. Cependant, on me signale un accueil de jour où on peut se doucher, se réchauffer un moment et lire les journaux. Je remercie et note soigneusement la précieuse adresse pendant que Jojo bavouille et frotte ses puces sur les gilets de la maraude.

Avant de partir vers d'autres rebuts de l'humanité, la dame, probablement familière des punks à chiens qui font la manche dans le quartier, me tend un petit flacon.

Dis merci, mon Jojo : c'est de la poudre anti-puces !

Pas trop enthousiaste, le Jojo... L'odeur chimique, le poil lustré : sûr que ses potes vont se moquer de lui ! Mais il faut bien y passer, mon bonhomme, avant d'être couvert de plaies.

L'estomac calé par le sandwich, je comptais dormir comme un loir. Peine perdue : la honte me taraude. Pourquoi avoir déchiré le costume de magicien ? Le désespoir a bon dos pour excuser l'ivresse. Tina m'avait confié son trésor et j'ai trahi sa confiance. Après la déchéance sociale, je sombre dans la déchéance morale !

La honte - la honte - la honte.

De la gnôle - du gros rouge - du crack ? Viens Jojo on va Porte de la Chapelle !

Pas content, le Jojo, maintenant qu'il avait réussi à s'endormir sous la couverture puant le traitement anti-puces. Il se répète peut-être la devinette que j'espérais réserver à Myriam "je suis ce que je suis, mais je ne suis pas ce que je suis car si j'étais ce que je suis, je ne serais pas ce que je suis. Je suis un chien qui suit son maître".

Trêve de désespoir : j'éclate de rire tout seul comme un con. Elle avait bien amusé Tina, cette devinette. Elle la répètera peut-être au petit Jason, cet enfant triste entr'aperçu devant sa maison.

Il faudra que je repasse discrètement la voir, cette maison. Si la fille sort, je m'enfuirai. Si le bellâtre sort, hé ben je m'enfuirai aussi : je suis un ordure et un lâche. Au mieux, s'il y a suspiction de maltraitance, je pourrai passer un appel anonyme au 119 dès que j'aurai accès à un téléphone.

Perdu dans mes pensées, j'ai fait un bon bout de chemin avec Jojo qui renâcle à la traîne. Nous arrivons à un rond-point encore occupé à cette heure tardive par des gens qui chantent autour d'un brasero.

Il y a longtemps que je ne m'informe plus de l'actualité mais en suivant les pauvres zigues qui portent les journaux gratuits j'ai vu des articles sur les gilets jaunes. Jojo me tire vers eux et je lui fais confiance (je suis un humain qui suit son chien. Ha ha ha).

Ils n'ont pas l'air hostiles, au contraire, et je me vois offrir une place au chaud. Une bouteille de mauvais vin circule dans le groupe et un gobelet apparaît entre mes mains. Jojo s'en va flairer un sac, se fait caresser et revient muni d'une rondelle de saucisson.

J'ai vite fait de capter le refrain -assez simple- "on est là" et de m'associer au chant du groupe. On me donne un paquet de tracts à distribuer aux automobilistes qui passent. Mission accomplie, je reviens m'asseoir, étonné que personne ne me regarde de travers.

Un frémissement traverse le groupe à l'approche d'un motard bardé de cuir noir mais, au soulagement général, il s'agit d'un reporter chargé de cameras.

Hank a donc plusieurs cordes à son arc ! Hier photographe d'art portraitisant les sans-abri, le voilà maintenant photographe de Presse tournant un reportage.

Il me revient bêtement le souvenir de mes lointaines études de commerce "le type-même d'activité qui peut s'inscrire en profession libérale, artisanale ou commerciale est celle de photographe, bla-bla, foutaises et compagnie".

Mon portrait avant-après sera peut-être primé dans une exposition d'art, peut-être publié dans un reportage sur les sans-abri et... peut-être utilisé pour illustrer la pub' d'un shampooing ! C'est Anielle qui n'a pas fini de rigoler.

Grand bien te fasse, Hank, si tu gagnes un Pullitzer avec ma trombine. Tu pourras peut-être me payer un nouveau costume de magicien et j'irai consoler Tina avec.

J'ai gardé les explications des tours de magie et je pourrais recommencer à m'entraîner.

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