Chapitre 3 : Kasmir

6 minutes de lecture

Kasmir regardait la nuit tomber petit à petit depuis la fenêtre du carrosse en route pour le Palais Impérial. Dans la voiture spacieuse, elle était assise à côté d’autres jeunes filles, toutes plus belles les unes que les autres et parées de magnifiques atours. La tenue de Kasmir, en particulier, avait été choisie avec soin : une brassière bleu outremer s’arrêtant au-dessus du nombril et une jupe longue, confectionnée dans des tissus aux motifs divers et de différentes nuances de bleu, se superposant par endroit, cousus avec du fil d’argent. Tous ses bijoux aussi étaient en argent : deux bracelets sur ses avant-bras, deux autres sur ses chevilles, et des boucles d’oreilles en forme de gouttes, à l'intérieur desquelles pendaient des améthystes. Ses yeux, d'un violet aussi pur que ces pierres, avaient été maquillés avec un léger trait de khôl. Sa peau mate était parfaitement lisse et ses cheveux avaient été laissés au naturel, leurs vagues brunes se terminant en bouclettes. Ils étaient moins longs que ceux des autres jeunes filles. Tandis que beaucoup d’entre elles les avaient laissé pousser jusqu’à la taille, Kasmir avait préféré garder les siens un peu plus bas que l’épaule.

La seule personne à avoir bénéficié d’autant d’attention, si ce n’était plus, était Samsara. En effet, si Kasmir pouvait être considérée comme belle, Samsara, elle, était magnifique. Elle avait la peau plus claire, mais tout de même hâlée, ses cheveux rouges étaient relevés en queue de cheval haute découvrant un cou entouré d’un fin collier d’or. Sa tenue était de même coupe celle de Kasmir. Mais là où elle était bleu et argent, Samsara était rouge et or.

Lorsque cette dernière se tourna vers elle pour lui poser une question, le sourire aux lèvres, Kasmir ne put s’empêcher de sourire en retour. Samsara avait cet effet sur les gens. Elle avait entendu certaines des autres filles la comparer au soleil, et Kasmir se dit que la comparaison était appropriée. Son amie était un soleil si brillant qu’il en devenait aveuglant, et elle avait l'impression qu’elle devait détourner la tête, parfois, pour ne pas se laisser éblouir. Oui, si Samsara était le Soleil, Kasmir était la Lune. Une beauté plus discrète et calme, mais à ne pas sous-estimer...

Reprenant son examen, Kasmir posa un dernier regard sur le visage parfaitement sculpté de son amie, avec son nez fin, ses hautes pommettes et ses grand yeux dorés qui la fixaient avec affection.

  • Comment ? dit-elle, admettant qu’elle n’avait pas entendu la question.

Samsara poussa un soupir exagérément long avant de répéter.

  • Par qui espères-tu te faire acheter ce soir ?

Acheter. Le mot lui retourna l’estomac. Pendant un instant, elle avait réussi à l’oublier, à se bercer de l’illusion qu’elles n’étaient qu’une bande de jeunes filles allant participer à un bal dans l’espoir de rencontrer le prince charmant. Pendant ses cinq années d’entraînement, Kasmir n’avait pas pensé une seule seconde qu’elle deviendrait heureuse en entrant dans le Palais. Le bonheur l’avait quittée depuis longtemps, si longtemps qu’elle en avait oublié le goût, le parfum. Mais si tout se passait comme elle l'espérait, elle n’aurait plus à se soucier de cela.

  • Je ne sais pas. Je suppose que l’Empereur serait la meilleure option ?

Elle avait fait de son mieux pour avoir l’air désintéressée.

  • Oh ? Tu vises haut à ce que je vois !
  • Pas toi ?

Son amie haussa les épaules.

  • Quelqu’un de gentil serait suffisant.

Kasmir détestait la nonchalance de la jeune fille mais se retint de faire un quelconque commentaire. Après tout, peut-être que c’était le meilleur état d’esprit à avoir dans cette situation. Acheter. Elle allait se faire acheter, comme toutes les autres filles ici présentes. La plupart avaient été enlevées ou vendues par leurs familles. Elles avaient toutes eu la chance – ou plutôt le malheur – d’être nées avec un joli visage. Stafi, le plus grand marchand d’esclaves de l’Empire, les avaient sélectionnées lui-même, avait fait en sorte qu’elles reçoivent la meilleure éducation, afin de pouvoir les vendre à la fine fleur de la noblesse, ou encore mieux, à la famille royale.

L’empire d’Ashralynn était composé de plusieurs royaumes, que l’Empereur Malorus avait conquis durant son long règne. C’était l’empire le plus étendu, et également le plus puissant, du continent, les autres royaumes étant trop faibles pour oser s’opposer à lui. L'empereur avait cinq enfants, tous d’une mère différente. De nombreuses maîtresses peuplaient son Harem, celles lui ayant donné un héritier ayant ainsi gagné leur titre de reine.

L'aînée des enfants royaux, Jamil, était une jeune femme dangereuse. Du haut de ses vingt-deux ans, elle avait remporté plus de batailles que la moitié des généraux de l’empereur, lequel lui vouait une confiance quasi aveugle quand il s’agissait des armées. Puis il y avait Astar, le premier garçon. Kasmir savait qu’il avait dix-neuf ans et la réputation d’aimer attirer l’attention, mais aucune autre rumeur spécifique le concernant ne lui venait à l’esprit. Il était craint par certains, respecté par d’autres. Mais c’était également le cas de beaucoup d’autres membres de la noblesse. Venait ensuite Elios, dix-huit ans, connu pour sa soif de voyage et de connaissances. Il était rarement au Palais, préférant s’aventurer dans les contrées récemment conquises pas son père. Kasmir avait entendu dire qu’il était opposé à l’esclavage. Si c’était vraiment le cas, il était probablement le membre le plus honorable de la famille.

Il n’y avait pas grand-chose à dire sur les deux autres princesses : Cléor, seize ans, était aveugle de naissance et passait ses journées isolée dans les jardins, refusant de prendre part à la vie officielle et Shahi, huit ans, était encore trop jeune pour avoir une quelconque influence.

Essayant de calmer les battements de son cœur qui s’accéléraient à mesure que le carrosse approchait du Palais, Kasmir regarda à nouveau le groupe de jeunes filles face à elle. Leurs visages lui étaient familiers, mais aucun ne provoquait en elle une émotion particulière. Durant son apprentissage, elle n’avait pas fait d’efforts pour se faire des amies, et cela se faisait cruellement sentir dans l’arrangement des places. La plupart de ses compagnes étaient agglutinées en petits groupes de quatre ou cinq, partageant leurs doutes ou leur excitation avec leurs camarades. Certaines lui jetaient des regards sombres. Peut-être étaient-elles jalouses de l’attention que lui accordait Samsara ?

Cela n’avait pas été faute de l’avoir rejetée, pourtant. Dès son arrivée, Kasmir avait été claire dans ses intentions : Elle n’avait jamais voulu d’amie, et personne n’avait rien fait pour l’en dissuader. À part la rousse à côté d’elle. Et cela ne lui avait pas facilité la tâche qu’elles fussent toutes les deux considérées comme les meilleures élèves du groupe. Les deux esclaves avaient dû passer de nombreuses heures ensemble à s'entraîner et à réviser les cours supplémentaires. Au bout de plusieurs semaines, Kasmir s’était rendue compte que l'énergie qu’elle dépensait à essayer de repousser Samsara pouvait être mieux investie ailleurs, et elle avait fini par céder à la bonne humeur communicative de sa rivale. Inconsciemment, à ce souvenir, elle se mit à serrer la main de la jeune fille.

  • Quoi qu’il arrive, tu dois faire de ton mieux pour survivre, et être heureuse, d’accord ?

Elle ne savait pas d’où lui venait cet élan de niaiserie. Cela ne lui ressemblait pas. Mais la douloureuse prise de conscience, que cette conversation était peut-être la dernière qu’elles auraient, lui serrait le cœur, bien plus que ce qu’elle aurait pu imaginer. C’est pour ça que je ne voulais pas d’amie.

Samsara se contenta de sourire.

  • C’est promis. Je te dirais bien la même chose, mais j’ai l’impression que tu n’as pas besoin de mes encouragements. Je me fais plutôt du souci pour l’homme qui va t’acheter. Le pauvre n’a aucune idée de ce dans quoi il s’embarque.

Kasmir ne put empêcher un sourire satisfait de se dessiner sur ses lèvres.

  • Oui, confirma-t-elle, il n’en a vraiment aucune idée...

Avec un grincement de roues, le carrosse s’arrêta, et des bribes de conversations se firent entendre. Au bout de quelques minutes, Kasmir entendit des bruits de poulies annonçant l’ouverture des grandes portes. Ils se remirent en marche.

Et ainsi, le Soleil et la Lune entrèrent dans le Palais Impérial.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Meromerodie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0