Chapitre 8 : Maya

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Elle avait compris. Elle avait compris qui ils étaient dès le moment où ils étaient entrés dans le salon. Maya s’en voulut de ne pas l’avoir remarqué. Et maintenant elle suivait une quasi étrangère dans une ruelle sombre. Quelle idée de génie. C’était pour ça que son père avait des doutes. Pas parce qu’elle n’avait pas de magie. Parce qu’elle était une idiote. Mais il était trop tard pour reculer maintenant. Posant la main sur le pommeau de la courte épée qu’elle gardait constamment à sa taille, elle se força à regarder droit devant. A fixer le dos de Flora, guettant tout geste suspect de sa part.

Quand ils arrivèrent dans un cul-de-sac, la jeune femme se retourna vers eux.

  • Je crois que nous sommes assez loin.

Elle fit craquer les jointures de ses doigts.

  • Je vais faire un peu de magie. Rien de méchant, juste pour être sûre que la conversation reste privée.

Levant une main devant elle, elle en ferma la paume, ses sourcils se froncèrent légèrement sous la concentration. Maya l’entendit alors murmurer :

Avec moi les murs n’ont pas d’oreilles.

Sur le moment la princesse ne fut pas sûre d’avoir bien entendu, mais elle réalisa ensuite qu’il s’agissait probablement d’une formulation personnalisée. Normalement, un magicien n’avait pas besoin de dire quoi que ce soit pour jeter un sort, c’était la force de l’esprit qui était mise à l’épreuve. Mais certains sorts demandaient un niveau de concentration supérieur, ou des étapes très précises, et c’était alors que les formulations intervenaient. Les mots en eux-mêmes n’avaient aucun pouvoir, c'était ce qu’ils provoquaient chez la personne qui était important. Pour les magiciens les plus doués, il suffisait de penser au sort pour qu’il soit jeté, pour les autres, il fallait un mot, une phrase, une expression pour focaliser leur énergie. Les sorts longs, c’est-à-dire ceux qui comportaient plus de cinq étapes, étaient appelés des enchantements. Les formulations des enchantements avaient tendance à être mnémotechniques : on récitait les étapes en même temps qu’on lançait l’enchantement pour s’assurer de n’avoir rien oublié. Pour les sorts courts, il existait des formulations simples usuelles, mais rien n’empêchait un magicien de les adapter ou de les changer complètement selon ses propres goûts.

  • Maintenant plus personne ne peut nous entendre.

Maya hocha la tête et Elios fit de même.

  • Donc vous savez où se trouvent les Arènes ? demanda la princesse.
  • Est-ce que c’est vrai qu’elles sont liées aux disparitions ?

Maya n’aimait pas qu’on réponde à ses questions pas d’autres questions, mais décida d’être honnête.

  • On ne peut pas en être sûr mais c’est là que notre enquête nous mène.

Et plus elle y réfléchissait, plus le lien semblait évident. Des disparitions de magiciens. La seule raison pour laquelle la terreur n’avait pas envahi le pays était que les disparus n’était pas des magiciens très connus. Cependant, d’après les informations qui avaient été récoltées, ils étaient loins d’être faibles, certains d’entre eux étaient même plutôt puissants. Mais s’ils étaient puissants, pourquoi n’étaient-ils pas connus ? A Tajolian, la magie représentait le pouvoir et la notoriété. Un magicien puissant et inconnu était une denrée extrêmement rare. Comment le ou les criminels qui les avaient … enlevés ? Tués ? Comment avaient-ils trouvé ces magiciens ? Étaient-ils ciblés à cause de leur puissance, uniquement connue de leur ou leurs agresseurs ?

Mais peut-être qu’Elios et elle n’avaient pas demandé aux bonnes personnes. Peut-être que ces magiciens étaient connus, mais dans une sphère parallèle. Les Arènes. Si les magiciens disparus était des combattants des Arènes, alors il était absolument vital qu’elle trouve un moyen d’y accéder. Ne serait-ce que pour infirmer ses suspicions.

Flora demeura pensive puis finit par déclarer :

  • Si ça peut vraiment aider l’enquête, je veux bien vous emmener… aux Arènes.
  • Vous savez où elles sont ?

Elle secoua la tête.

  • Je sais comment y aller.

Elle plongea la main dans la poche de sa robe pour en sortir une pièce. Jetant un coup d’oeil derrière eux pour s’assurer que personne n’était dans les parages, elle expliqua :

  • Cette pièce, c’est comme un billet d’entrée. Un enchantement est gravé dessus, et on utilise une formule bien spécifique pour l’activer. Ça permet d’ouvrir un portail donnant accès aux Arènes. Donc je ne sais pas elle sont, mais je connais un moyen d’y aller.
  • Est-ce que vous pouvez nous amener avec vous ?
  • Je n’ai jamais essayé, mais ça doit être possible.

Elios n’avait rien dit depuis le début de la conversation. Mais la tension sur son visage s’était relâchée.

  • Est-ce que nous pouvons y aller maintenant ?
  • Non. Il faut attendre le prochain duel. Il y en a un ce soir. Si vous cherchez des suspects, c’est l’occasion ou jamais. L’un des combattants est extrêmement populaire, les Arènes seront sûrement pleines à craquer.
  • Très bien. Ce soir alors.
  • Neuf heures. Dans la salle de méditation.

Maya acquiesça. Un instant plus tard, Flora claqua des doigt et désactiva son sort. Elle les raccompagna jusqu’au salon de thé, puis ils se dirent au revoir. Quand la silhouette de la jeune femme eut complètement disparu de leur champ de vision, la princesse chuchota à Elios :

  • J’espère vraiment que j’ai fait le bon choix en lui faisant confiance.
  • C’est le cas. Elle ne mentait pas.
  • Comment pouvez-vous le savoir ?
  • Je le sais, c’est tout.

Elle haussa le sourcil mais n’approfondit pas le sujet. Elle espérait seulement qu’elle avait fait le bon choix en lui faisant confiance à lui aussi. Il était déjà en possession d’informations sensibles. Elios ne cessait de lui faire oublier qu’il était le prince d’un empire qui, bien qu’il ne soit pas ennemi, était loin d’être un allié. Maya allait devoir rester sur ses gardes. Elle s’était trop vite laissée percer à jour par Flora, ce genre de chose ne devait pas se reproduire.

***

Cela faisait maintenant plusieurs minutes que Maya et Elios attendaient dans la salle de méditation. La pièce était plutôt petite, avec seulement quelques chaises et une table. A Tajolian, la plupart des bâtiments avaient une salle de méditation, vu le nombre important de magiciens. La magie était sensible aux émotions, et la pièce était spécialement conçue comme un espace sobre, presque vide, pour créer les conditions nécessaires pour pouvoir se détacher du monde extérieur. Et puisque l’intention était de se sentir déconnecté, si quelqu'un se trouvait dans une salle de méditation, personne d’autre n’avait le droit d’y entrer. C’était vraiment l’endroit idéal pour ouvrir un portail au cœur du château sans se faire remarquer. La princesse se demanda combien de fois Flora avait utilisé la pièce pour se rendre à ces rassemblements illégaux.

A cet instant précis, la porte s’ouvrit et la jeune aristocrate entra. Après avoir fermé la porte, elle demanda :

  • Vous êtes prêts ?

Ils hochèrent la tête en silence.

Le moment était enfin venu, pensa Maya. Elle allait enfin entrer dans les Arènes. La princesse de Tajolian allait rentrer dans les Arènes. Formulé comme ça, c’était à peine crédible. Suicidaire. Ce serait ce que son père aurait dit. Heureusement qu’elle ne l’avait pas prévenu. Elle savait que ce qu’elle faisait était dangereux, mais la sensation d’indépendance qu’elle avait ressentie quand elle avait pris cette décision avait été plus forte que son respect de l’autorité paternelle. De plus elle préférait discuter avec son père une fois qu’elle aurait des preuves tangibles.

Flora sortit la pièce de sa poche. Un petite rondelle de bronze qui ne payait pas de mine. C’était vraiment difficile de croire qu’elle avait devant elle la clé qui lui ouvrirait l’accès aux Arènes Fantômes. La banalité de l’objet était probablement intentionnelle.

Tendant la main devant elle, la paume où reposait la pièce tournée vers la haut, Flora ferma les yeux. Elle resta silencieuse, son visage exprimant une intense concentration. Ses lèvres mimant des mots mais ne laissant échapper aucun son. Maya et Elios ne pouvaient que continuer d’attendre. Encore un inconvénient de la magie : on ne pouvait pas la voir. Tout ce qu’on pouvait voir, c’était ses effets. Pour une personne normale, elle avait juste l’air d’une fille aux yeux fermés tenant une pièce dans sa main. Maya se demanda si c’était ce qu’Elios voyait. Est-ce qu’il trouvait la situation ridicule ?

Flora retourna sa main et laissa la pièce tomber sur le sol.

Aussitôt, un trou se forma, ou plutôt un gouffre. D’un noir si profond que Maya n’arrivait même pas à en deviner la profondeur. La princesse recula de quelques pas, et Elios fit de même.

  • On n’a pas beaucoup de temps. Venez !

La jeune femme leur tendit les mains et chacun en saisit une. Avec un grand sourire, Flora déclara :

  • Et maintenant, on saute !

Sans leur demander leur avis, elle les précipita à l'intérieur du portail.

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