Chapitre 10 : Kasmir

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Astar rentra quatre jours plus tard.

Quatre jours qui étaient passé beaucoup moins vite que Kasmir ne l’aurait imaginé. Durant son absence, la jeune esclave avait fait de son mieux pour faire une reconnaissance des lieux, au moins ceux où elle était autorisée à aller. Le Harem n’en faisaient pas partie, hélas. Elle avait bien essayé d’y pénétrer, mais à peine avait-elle fait quelques pas dans la direction du bâtiment qu’elle s’était fait interpeller par des gardes. Une prochaine fois. Elle réessayerait une prochaine fois.

Ce n’était pas juste pour obtenir des informations, Kasmir était réellement inquiète pour Samsara. Elle espérait qu’au moins elle se faisait bien traiter. Faire parti du Harem de l’Empereur était loin d’être la pire position qui existe, si on était prêt à abandonner sa liberté. Kasmir en serait incapable, mais peut être que son amie le pourrait. Elle semblait avoir accepté sa situation, mais qui sait, peut-être que la vie au Palais lui ferait changer d’avis ?

Une partie d’elle espérait que non. Une fois qu’on entrait dans le Palais Impérial, on ne pouvait plus en sortir de son propre gré. Pas en un seul morceau en tout cas. C’était le sort de tous les esclaves. Et c’est sûrement ainsi que Kasmir finirait. Pas qu’elle en ait quelque chose à faire. Si le prix à payer pour exécuter sa vengeance était que son cadavre soit mutilé jusqu’à en devenir méconnaissable, elle le payerait volontier. C’était le moins qu’elle puisse faire afin de pouvoir regarder en face dans l’au-delà Rudilia, Erik et ses parents.

Le jour d’avant, elle avait croisé la princesse Jamil dans les couloirs. Bien sûr, Kasmir avait fait de son mieux pour passer inaperçu, mais il était trop tard. Après la scène qu’elle avait causé durant l'enchère, la jeune femme ne l’avait pas oubliée. Kasmir n’arrivait pas à décider si c’était une bonne ou une mauvaise chose. La princesse n’avait pas l’air de lui en vouloir pour son comportement en tout cas. Ou elle ne le montrait simplement pas.

Quoi qu’il en soit, le lendemain de son arrivée, le prince l’avait convoquée. Lauréa était donc en train de l’accompagner jusqu’à la chambre d’Astar, Kasmir se demandait si c’était pour lui indiquer le chemin ou pour s’assurer qu’elle n’essaye pas à nouveau de prendre un « détour ». Elle avait réussi à repérer quelques issues, mais aucune qui lui serait vraiment utile si elle devait, disons, s’éclipser en vitesse. Soupirant, elle arriva devant la porte de la chambre et Lauréa frappa deux coups avant d’entrer.

Le prince, assis sur une chaise, était en train de fermer l’une des boîtes que Kasmir avait remarquée sur sa table lors de sa première venue. Il semblait absorbé par son occupation car il ne leva même pas la tête avant de dire :

  • Merci. Tu peux nous laisser.

Lauréa s’inclina avant de partir, fermant la porte derrière elle. Astar leva enfin les yeux vers Kasmir.

  • Pas un scandale depuis que je suis parti ? Je dois dire que je suis un peu déçu. Je m’attendais presque à retrouver la moitié du Palais en flammes.

Kasmir se mordit l'intérieur de la joue pour s’empêcher de dire quelque chose qu’elle regretterait.

  • Je ne ferais jamais une chose pareille.
  • Non, bien sûr que non, une simple esclave n’y penserait même pas. Mais si tu étais une simple esclave, je ne t’aurais pas achetée.

Sa confusion dû se lire sur son visage car Astar poursuivit :

  • La plupart des membres de la cour le savent déjà, mais j’adore les jeux. Que ce soient les jeux d’adresse, les jeux de carte, les jeux d’esprit. C’est une façon de passer le temps je suppose. Ton comportement lors des enchères m’a intrigué, et j’ai décidé de découvrir exactement pourquoi tu es venue ici.
  • Donc je suis… un jouet ?

Un puzzle qu’il devait reconstituer. Une énigme qu’il devait résoudre. S’il ne s’en lassait pas avant.

  • Précisément.

Kasmir était tellement abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre qu’elle ne trouva pas les mots pour répliquer. Elle se força à baisser les yeux et dit :

  • Je n’ai aucun plan.
  • Tu sais, ça ne me dérange pas que tu le nies, c’est plus drôle comme ça. Mais ne pense pas une seule seconde que je sois dupe.

Il s’était levé et se tenait maintenant à quelques centimètres d’elle. Kasmir n’avait pas reculé, n’avait pas osé bouger. Le prince approcha son visage, leurs joues s’éffleurant presque. Quand ses lèvres s’approchèrent de son oreille, elle sentit la chaleur de son souffle et dut utiliser toute sa concentration pour garder une expression neutre.

  • L'intérêt que je te trouve ne dépend que de toi. Ne m’ennuie pas, ou ton séjour au Palais risque d’être rapidement écourté.

Il recula, souriant comme si ce qu’il venait de dire n’avait pas glacé le sang de la jeune femme, et se rassit sur son siège. Kasmir attendit que le prince continue. Il sembla peser ses mots, puis déclara soudainement :

  • J’ai entendu dire que tu as essayé de pénétrer dans le Harem ?

Elle ne dit rien. Un aveu silencieux.

  • Si tu y tiens tellement, je peux te faire rentrer.
  • Ce ne sera pas nécessaire.

Son ton fut plus tranchant qu’elle ne l’avait prévu. Il haussa un sourcil et ricana :

  • Quoi ? Ta fierté ne te permet pas de te faire aider ? Ce n’est pas un piège. Je parie que tu voulais parler à l’autre esclave, celle qui a été achetée par mon père.

Kasmir sentit le rouge lui monter aux joues, mais répondit calmement.

  • Je n’ai pas envie de déranger Votre Altesse.

Son sourire ne disparut pas et il haussa les épaules.

  • Comme tu le souhaites.

Il se leva de nouveau de sa chaise et prit un livre dans une petite bibliothèque dans un coin de la pièce. Voyant qu’elle ne bougeait pas, il fit un signe de tête en direction du meuble :

  • Tu peux te servir.

Kasmir ne savait pas si elle devait prendre ça comme un ordre, mais, dans le doute, décida de le faire. Elle s’empara d’un livre au hasard et alla s’installer sur le bord de la fenêtre. Sentant la lumière du soleil lui réchauffer la peau, elle lança un dernier regard au prince, déjà plongé dans sa lecture, et ouvrit son livre.

C’était un recueil de contes et légendes, probablement destiné aux enfants, et Kasmir fut curieuse de savoir pourquoi le prince Astar en avait gardé un exemplaire dans sa chambre. Elle se mit à feuilleter distraitement le livre, puis s’arrêta à une page, le sourire lui venant involontairement aux lèvres.

  • Quelque chose d'intéressant ? Demanda Astar.

Les yeux noisettes du prince brillaient d’un éclat doré sous la lumière du jour. Le premier instinct de Kasmir fut de se figer, mais elle se rappela des paroles de son « maître ». Elle devait se rendre intéressante, c’était une question de survie. Et, bien que ce soit difficile à admettre, elle était probablement chanceuse d’avoir été achetée par lui. Quelqu'un d’autre lui aurait déjà fait payer son insolence, mais lui s’en amusait. Et de son côté, elle en avait à revendre...

  • Non, c’est juste que… ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu parler de Nymphes.
  • Ah, les Nymphes. Fascinante légende. Qu’est-ce qu’on vous racontait sur elles?

Kasmir prit un moment pour répondre. Elle se replongea un instant dans ses souvenirs d’enfance, faisant taire la douleur qui lui serrait le cœur à la pensée de ses parents. Elle se rappelait les histoires qu’ils lui racontaient. Pas des contes de fées, mais des histoires horrifiques, cauchemardesques, destinées à l’effrayer pour qu’elle ne fasse pas de bêtise. Et bien qu’elle ait cessé de croire en ces histoires il y a bien longtemps, elle ne put empêcher un frisson de la parcourir quand elle dit :

  • Les Nymphes sont des démons créés par les dieux pour nous tourmenter. Elles nous séduisent avec leur incroyable beauté, leurs belles paroles avant de nous dévorer… Enfin, c’est ce qu’on racontait aux enfants chez moi.

Le prince resta silencieux un moment, et Kasmir se demanda s’il s’était déjà désintéressé du sujet. Ou peut-être qu’il aimait juste la faire attendre, lui faire sentir leur différence de rang. Finalement, après ce qui parut une éternité, il murmura :

  • On ne m’a jamais raconté ce genre d’histoires. (il eut un sourire triste, différent de l’expression satisfaite qu’il arborait jusqu’à présent) Mais je peux te dire que les Nymphes ne sont pas que des légendes, j’en côtoie régulièrement à la cour et les enfants ne sont les seuls à devoir les craindre...

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