Chapitre 12 : Kasmir

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Kasmir savourait le bruit des feuilles mortes et des brindilles se brisant sous les sabots de Seltis. Bien qu’Astar se soit moqué du mauvais caractère de la jument, elle s’était montrée plutôt docile une fois que la jeune femme était montée dessus. Le prince avait proposé de l’aider, mais Kasmir avait insisté pour le faire toute seule. Il aurait peut-être été plus intelligent de lui faire croire qu’elle ne savait pas monter, mais l’idée qu’il la touche plus que nécessaire la mettait mal à l’aise.

Le climat était chaud dans la plupart des régions, excepté celles qui se trouvaient plus au sud, et au bout d’une quinzaine de minutes, Kasmir avait déjà commencé à suer. Elle sentait le tissu de sa chemise lui coller à la peau, ses mains glissant légèrement sur les rênes. Cependant, elle restait droite, se réhabituant à la sensation. Elle n’était pas montée à cheval depuis des années, mais ses instincts répondaient d’eux-même.

Astar la guida vers une section un peu plus boisée du gigantesque jardin à l'extérieur du Palais. Le tout ressemblait plus à une forêt miniature qu’à un parc, l’harmonie de la faune et de la flore y vivant calculée dans les moindres détails. Une fois enfoncée dans le dédale d’arbres et de buissons, Kasmir avait l’impression d’être à des kilomètres du Palais. Elle avait presque l’impression d’être libre. Mais même si les barreaux de la cage étaient moins évidents, le poid du bracelet sur son poignet le lui rappelait bien assez.

Astar s’arrêta et descendit de son cheval. Il fit signe à Kasmir de faire de même. La jeune femme se sentit vaciller et se retint à peine de tomber quand ses pieds touchèrent la terre. Le choc se propagea à travers tout son corps, la réveillant instantanément. Le choc était rassurant et familier, et le prince dut le comprendre aussi car elle l'aperçut qui l’observait du coin de l’oeil. Il fit quelques pas et pointa des traces sur le sol :

  • C’est quel animal à ton avis ?

Kasmir s’approcha pour examiner les empreintes de plus près.

  • Une gazelle, je crois, dit-elle en fronçant les sourcils.
  • Hm, tu es sûre ?

Elle soupira, agacée par le ton qu’il avait utilisé, comme un professeur posant une question piège à son élève.

  • Non, je ne suis pas sûre, mais je ne vois pas d’autre possibilité.

Normalement, les gazelles vivaient dans un habitat un peu moins boisé, mais elle supposait qu’elles avaient été déplacées. Le prince l’étonna en se contentant de hocher la tête. Il ouvrit le sac accroché à l’un des côtés de son cheval et en sortit une corde.

  • Je veux poser un piège, et je vais avoir besoin d’une autre paire de mains.

Il détacha le sac de la selle et et le déposa par terre. Puis, il s’assit, les jambes croisées, à même le sol. La scène paraissait tellement surréaliste que Kasmir ne sortit de sa stupeur que quand le prince lui adressa à nouveau la parole.

  • Tu vas rester plantée là ?

Il lui fit signe de s'asseoir en face de lui. La jeune femme s’exécuta. Il lui demanda ensuite de tendre ses bras devant elle. Quand Kasmir lui présenta ses poings, il se mit à enrouler la corde autour de ses poignets, les utilisant comme support pour former un noeud compliqué. Le prince ne devait pas y être habitué car il dut recommencer à plusieurs reprises avant d’être satisfait du résultat. Tandis qu’elle le regardait s’affairer, elle fut frappée par l’idée qu’il serait tellement facile de le prendre par surprise, de se lever et, avant qu’il ne puisse réagir, de prendre la corde qui liait ses deux mains et de l’étrangler avec. Rien ne garantissait sa réussite, mais il était rarement aussi vulnérable. Si elle tuait le prince, peut être que l’Empereur ressentirait peut-être une fraction de sa douleur quand il avait massacré tous ses proches.

C’était délicieusement tentant. Toutefois, elle se retint. Celui qui devait payer était l’Empereur, pas son fils. Elle s'interdisait, malgré sa soif de vengeance, de faire souffrir des innocents. La seule raison qu’elle avait d’en vouloir à Astar était qu’il l’avait achetée, et encore, elle s’était rabaissée au rang d’esclave de sa propre volonté. Même si elle n’approuvait pas de la vente d’humains en général, c’était une autre histoire si elle s’était laissée faire. Et malgré le fait que le prince ne puisse pas le savoir, elle n’arrivait pas à le mépriser autant que les autres acheteurs, ceux qui avaient marchandé des jeunes filles qui n’avaient pas demandé à être là. Des filles comme Samsara.

Kasmir réalisa qu’elle ne connaissait pas grand chose de Samsara. Certes, elle avait passé la majorité de son temps de formation avec elle, mais cela se rapprochait plus de la proximité physique qu’émotionnelle. Bien qu’elles aient développé une certaine complicité, affection même, elles n’avaient jamais parlé de leur passé. Trop douloureux pour Kasmir. Trop dangereux aussi, elle ne voulait pas risquer que quelqu’un découvre ce qu’elle voulait faire. Samsara n’avait jamais fait d’allusion à sa vie d’avant non plus, ce qui avait aidé Kasmir à éviter de parler d’elle-même. Leur relation était symbiotique en quelques sortes. Là où Kasmir savait montrer plus de caractère, la douceur de Samsara l’avait aidée à endurer le confinement, et à prendre son mal en patience. Samsara ressemblait tellement à Rudilia. Pas en apparence, mais la personnalité chaleureuse qu’elles partageaient avaient été une source de réconfort constant. Rudilia avait été la meilleure amie de Kasmir, jusqu’à sa mort tragique, et la jeune esclave espérait de tout son cœur que les choses ne se finiraient pas de la même manière pour Samsara.

Kasmir se rendit compte que pendant qu’elle était perdue dans ses pensées, le prince s’était levé et avait fini d’installer le piège.

  • On remonte, annonça-t-il.

Et ils reprirent leur chemin. Ils refirent la même chose quatre ou cinq fois, et quand ils s’arrêtèrent pour faire une pause, Kasmir demanda :

  • Pourquoi posons-nous ces pièges ?

Elle était certaine qu’il n’avait pas besoin de chasser pour survivre. Et il n’avait pas l’air du genre à vouloir faire un effort pour quelqu’un d’autre que lui-même.

  • Une petite partie de chasse va être organisée dans les prochains jours. Pas grand monde, plaisanta-t-il, juste un bon paquet de nobles. Puisque j’aime tellement jouer, mon père (il grimaça) s’est dit que c’était une bonne façon de montrer ce dont j’étais capable. Au départ j’avais seulement défié une personne, mais apparement tout le monde s’était mis en tête que j’allais organiser une partie de chasse officielle. Je ne pouvais plus reculer, alors autant faire les choses en grand. Et préparer mes arrières.
  • Vous… vous voulez tricher ?
  • Tricher est un bien grand mot, je rééquilibre ma position. Je n’ai jamais été doué pour manier les armes, et ça m’a rapidement lassé. Au moins un point commun que j’ai avec Elios. Mais c’est un jeu, et je suis toujours sérieux quand il s’agit de jeux.

Kasmir se mordit les lèvres.

  • Et vous n’avez pas peur que je le dise à quelqu’un ?

Astar sourit.

  • Et tu le dirais à qui exactement ?

Silence.

  • C’est ce que je pensais.
  • Si j’avais quelqu’un à qui le raconter, je ne vous dirais certainement pas qui c’est !
  • Ah, mais si tu avais vraiment quelqu’un, tu ne risquerais pas d’éveiller mes doutes en me disant ça...Ce qui me fait penser : Tu as un objectif personnel à accomplir ici, non ?
  • Pardon ?
  • Je veux dire, tu n’es pas très douée pour mentir, et tu as tendance à réagir à l’émotion. Vraiment le pire espion qu’on pourrait envoyer.
  • ...Et alors ?
  • Et alors rien du tout, je n’ai qu’une seule pièce du puzzle pour l’instant.

Il sortit une pomme d’une autre sacoche et demanda :

  • Est-ce que tu sais tirer à l’arc ?
  • Non.

Il rit.

  • Tu as répondu drôlement vite.

Elle soupira et finit par avouer :

  • Un ami m’a appris quelques rudiments… avant.

Kasmir n’avait pas besoin de préciser avant quoi. Le prince ne la regarda pas avant de continuer. Il pointa la selle de son cheval :

  • Montre-nous ce que tu sais faire.

La jeune femme se dirigea vers la monture d’Astar, et elle se rendit compte que de l’autre côté de la selle était attaché un arc et un carquois. Il n’avait quand même pas tout prévu ? Sentant son regard, il expliqua :

  • Je voulais m’entraîner un peu, mais te voir à l'oeuvre semble bien plus intéressant.

Kasmir douta sérieusement de ses dires quand elle se retrouva avec l’arc à la main, parfaitement adapté à sa taille. Elle essaya de se dire qu’il avait voulu commencer avec quelque chose de facile, vu qu’il avait déclaré ne pas s’être exercé depuis longtemps, mais cela ne lui semblait que partiellement crédible. Et elle préférait le surestimer que le contraire.

  • Essaye de viser ça.

Il lui indiqua un arbre qui se trouvait à environ dix mètres, arrachant un carré d’écorce pour lui donner une cible plus précise. Changeant de position, elle pointa la flèche sur la cible. Elle sentit les muscles de ses bras se tendre sous l’effort, éveillant encore d’autres instincts qui avaient été endormis.

La première flèche se ficha presque au pied de l’arbre. Retenant un grognement, Kasmir encocha une deuxième flèche, ajustant la trajectoire et la pression qu’elle exerçait sur la corde. Elle se concentra sur sa respiration, sur l’infime mouvement de son corps à chaque inspiration, et tira à nouveau. La flèche fila plus vite que l’éclaire. Et atterrit pile au centre du carré.

Kasmir n’était pas peu fière de son accomplissement, mais se garda bien de le montrer. Astar, qui avait finit de manger sa pomme, se mit à applaudire.

  • Vraiment impressionnant, mais si on augmentait le niveau ?

Il prit une autre pomme et se dirigea vers l’arbre. Se tenant devant le tronc, il posa la pomme sur sa tête et annonça avec un grand sourire :

  • Essaye de viser ça.

Kasmir écarquilla les yeux.

  • Est-ce que vous avez perdu l’esprit ?

Il leva les yeux au ciel.

  • On a pas toute la journée !

Elle baissa son arc.

  • Je ne vais pas tirer sur le prince de l’Empire ! Je tiens à la vie, merci bien.

Ironique, étant donné son objectif.

  • J’espère bien que tu ne vas pas tirer sur moi, c’est la pomme que tu dois viser je te signale.

Voyant qu’elle ne bougeait pas, il soupira.

  • Tu sais que tu pourrais aussi te faire exécuter si tu refuses d’obéir à un ordre ?

Piégée, elle se força à le regarder dans les yeux. L’éclat de folie qu’elle y trouva acheva de la frustrer. Elle ne réfléchit pas avant de dire :

  • Si vous êtes blessé, ce ne sera pas de ma faute.
  • Bien sûr ! Et si tu réussis, tu auras droit à une récompense.

Kasmir le toisa un instant puis se remit en position.

  • La récompense a intérêt à valoir le coup.

Il leva le sourcil.

  • Je ne penses pas que tu sois vraiment en position de négocier, sans compter que c’est quand même moi qui me met le plus en danger.

Elle haussa les épaules.

  • On ne sait jamais, je pourrais me tordre le poignet.

Le sourire aux lèvres, elle laissa la flèche s’échapper.

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