Chapitre 25 : Kasmir

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Au bout de quelques minutes, ils arrivèrent dans une zone plus ouverte. Les arbres laissaient place à un étang à l’eau claire, entouré de feuilles hautes, avec quelques pans de terre nue. Astar s’arrêta à la lisière de la forêt, et descendit de sa monture, aidant Kasmir à faire de même, il fit ensuite signe à Kalis de se taire.

Le soleil brûlant de l’après-midi força Kasmir à plisser les yeux pour s’habituer à la lumière, mais également à la chaleur. Pas un seul nuage en vue, et il y avait bien longtemps que Kasmir avait perdu l’habitude de passer ses journées à l'extérieur. Ses mains étaient déjà moites contre le bois lisse de l’arc, et elle peinait à se concentrer. La jeune femme avait repéré une grue en train de s’abreuver, et essaya de s’approcher discrètement en se camouflant dans les herbes hautes. Par chance, sa robe aux différentes nuances de vert lui permettait de se fondre dans le décor sans trop de difficulté. Astar était resté en retrait et avait l’air de la laisser faire. Une fois assez près, Kasmir encocha une flèche. Après leur précédente escapade dans la forêt, la jeune femme avait eut l’occasion de s'entraîner, et ne doutait plus de sa capacité à toucher sa cible.

Prends une grande inspiration, concentre-toi sur ta cible. Si ta conviction vacille ne serait-ce qu’une seconde, alors ta flèche vacillera également.

La voix d’Erik résonna dans son esprit, comme s’il était encore là. Kasmir se rappelait des mains du jeune homme sur les siennes alors qu’il lui avait appris à tirer, à son sourire si fière quand elle avait atteint sa cible pour la première fois. Elle se rappela aussi de Rudilia qui venait taquiner son frère sur l’attention qu’il accordait à Kasmir. Leurs deux têtes blondes était encore tellement vivides dans l’esprit de la jeune femme.

La flèche fendit l’air, et sans grand étonnement de la part de Kasmir, toucha sa cible. Elle se releva, essuyant ses mains moites sur sa robe et, se tournant vers Astar, elle demanda :

  • Vous êtes content ?
  • Très, mais tu dois travailler encore un peu, s’écria-t-il, quelques mètres plus loin, tout sourire.

Ils se dépechèrent d’aller chercher leur prise. Une fois chargés, il repartirent en direction de la forêt, suivant le flair de Kalis. Au bout d’une heure et demi, ils étaient chargés d’une quantité de gibier suffisante d’après Astar. Dans l’heure et demi qu’il leur restait avant la fin de la chasse, le prince proposa de tuer le temps en faisant une simple balade en forêt. Ils se promenèrent pendant une trentaine de minutes jusqu'à ce que le prince se plaigne de douleurs au pieds et se décide à remonter Locaze. Kasmir refusa d’abord de monter avec lui, mais l’insistance du jeune homme ainsi que sa propre fatigue eurent raison d’elle. Cette fois, il la laissa se mettre à califourchon sur la selle. Alors qu’il les guidait à travers la flore, de petits courant d’air frais couraient entre les arbres à l’ombre du soleil, et Kasmir se relaxa peu à peu contre le torse du prince qui l'empêchait de tomber complètement en arrière. Bercée par le rythme réguliers des sabots de Locaze sur le sol et les gazouillis des oiseaux, elle se mit à somnoler doucement. A un moment, la jeune femme sentit vaguement Astar réajuster sa position, puis lui murmurer “bon travail” au creux de l’oreille, avant de se rendormir.

Quand elle se réveilla, ils n’étaient plus très loin du point de rendez-vous. Un frisson la parcourut quand elle sentit le souffle du prince contre son cou et elle se releva brusquement.

  • C'est déjà l'heure ?
  • Le clairon ne vas pas tarder à sonner.

A peine eut-il le temps de prononcer ces mots qu'ils entendirent l'instrument au loin. Le prince tira sur les rênes, accélérant légèrement le pas, et ils atteignirent le point de rendez-vous quelques instants plus tard. La plupart des participants étaient déjà de retour dans la clairière, et Kasmir pouvait apercevoir quelques prises en petits tas devant certains d’entre eux. Le prince l’aida à descendre, et il purent présenter leur “butin” au serviteur chargé de compter les points. Ils devraient cependant attendre encore un peu avant d’avoir les résultats : pour les prises trop lourdes ou encombrantes, chaque compétiteur avait en sa possession des petits drapeaux aux insignes de sa famille à planter à côté de l’animal. D’autres serviteurs étaient déjà en train de faire la ronde de la forêt pour repérer tous les drapeaux et avoir le score exact.

  • Nous n’aurons pas les résultats avant une bonne heure. Tu peux aller te reposer un peu dans ma tente si tu veux… A moins que je fasse un meilleur oreiller ?

Kasmir s’empourpra.

  • Je vais dans la tente ! s’exclama-t-elle instantanément avant de se mettre en chemin.

Elle pouvait encore entendre les rire du prince dans son dos.

La tente n’était pas très loin, et Kasmir la trouva sans problème. Plus grande que la moyenne, les draps rouges(couleur royale) tissés d’or ne laissaient pas de doute sur le propriétaire. Sans même réfléchir plus longtemps, elle s’y précipita pour s'écrouler dans le hamac qui se trouvait à l'intérieur.

Ajustant sa position, elle s’allongea de côté, fixant le tissu aussi rouge que celui de tente pour bloquer la lumière de sa vue. Elle voulait juste… un peu de paix. Enfin, pas le genre de paix qu’elle avait eue en s’endormant contre le prince. Elle n’arrivait pas à croire ce qui c’était passé ! Rien que d’y penser, le jeune femme en était embarrassée. Elle ne lui faisait pas confiance, absolument pas, mais il y avait quelque chose chez lui qui la mettait à l’aise malgré elle. Tout ça le rendait encore plus dangereux à son plan, qui n’avait pas vraiment avancé depuis son arrivée au palais remarqua-t-elle amèrement. Pourtant, elle n’avait pas d’autre option que de rester avec ses côtés. Même si le temps qu’elle avait passé avec lui n’était pas suffisant pour qu’elle puisse le connaître par coeur, Kasmir pensait sincèrement qu’il n’était pas… mauvais. Ou en tout cas, elle espérait que cette sensation ne soit pas une fabrication de sa part. Elle devait à tout prix trouver un moyen de se rapprocher de l’empereur, et la célébration qui aurait lieu ce soir était une opportunité.

Peut-être qu’elle pourrait attrapper et couteau et foncer sur Malorus ? Il aurait des gardes, mais peut-être que si elle était assez rapide… Non. Ce serait trop facile. Elle n’était probablement pas la première à avoir eut cette idée. Et la salle serait surement bondée, ce qui encombrerait son déplacement. Elle fronça les sourcils, les yeux toujours fermés contre le tissu du hamac. L’idéal serait d’avoir une raison de s’approcher de lui dans un cadre un peu plus privé. Mais comment faire ? Astar n’avait pas l’air proche de son père. En tout cas, Kasmir ne les avait jamais vu interagir, ou peut-être qu’ils n’avaient juste pas le temps. La jeune femme commençait se rendre compte qu’elle manquait cruellement d’information.

  • Mon frère m’offre un cadeau ? Pourtant ma victoire n’a pas été officiellement annoncée.

Une voix féminine caressa le creux de son oreille et Kasmir se redressa en un bond. Il lui suffit de lever les yeux pour immediatement reconnaitre la princesse Jamil. Avec un regard amusé qui lui rappela un instant son frère, la princesse demanda à nouveau :

  • Alors, puis-je savoir ce que tu fais dans mon hamac ?
  • Je...

Kasmir s'apprêtait à répondre, quand du coin de l’oeil, elle entrevue en face de la tente dans laquelle elle se trouvait, une autre. De la même taille. Et aux draps violets.

Réalisant aussitôt son erreur, la jeune femme se mit à genoux devant la princesse.

  • Veuillez m’excuser, Votre Altesse, il semblerait que je me sois trompée de tente.

Elle n’osait même plus lever les yeux vers Jamil, et priait simplement qu’elle laisserait l’affront passer. Après quelques secondes de silence qui lui parurent une éternité, elle vit les jambes de la princesse se plier, et celle-ci la regardait maintenant droit dans les yeux, un genoux contre le sol.

  • Tu n’as pas à t'inquiéter, je ne te ferai rien de mal. Au contraire, ça tombe bien que tu sois là !

La princesse posa un doigt contre son front, comme pour réfléchir.

  • Hmm, je dois dire que cela m’arrange que tu sois ici, je voulais une occasion de te parler, mais Astar à l’air très attaché à toi.

Kasmir ignora la deuxième partie de la phrase.

  • Vous vouliez… me parler ?
  • Oui ! Ce bougre ! Il t’a arrachée à moi ! Pourtant je suis celle qui a commencé l'enchère en premier ! Il pourrait avoir un peu de respect pour ses aînés, tu ne crois pas ? Dis-moi que tu me crois.

La moue boudeuse, elle regardait Kasmir avec des yeux pleins d’attentes.

Toutefois, la jeune femme ne pouvait pas partager cet entrain, trop déboussolée par ce qu’elle venait d’apprendre.

  • Pardonnez-moi, princesse, vous voulez dire que vous aviez l’intention de m’acheter aussi ?
  • Oui ! C’est bien ce que je dis ! Oh, ne me dis pas que… tu ne l’avais pas remarqué ? Tu me brises le coeur ! Enfin, je suppose que ce n’est pas étonnant, il faut dire que vous n’aviez d’yeux que l’un pour l’autre, haha !
  • Oh… j’en suis navrée.

Pour être honnête, elle ne savait pas vraiment quoi répondre.

  • Ne t’en fais pas, je suis sur que pour toi, ça ne change pas grand chose. Un maître est toujours un maître, pas vrai ? Mais je peux t’assurer qu'entre nous, je suis clairement la meilleur !

Jamil se releva, poussant Kasmir à faire de même. Avec une expression un peu plus serieuse, elle reprit :

  • Tu sais, je pense qu’on pourrait s'aider toi et moi. Après tout, ce n’est pas facile de vivre au Palais, surtout quand on est une femme, nous pouvons toutes les deux en convenir.
  • J’en conviens, répondit-elle sur ses gardes.
  • Tu en conviendras aussi, les choses ont un prix, et je préfères être honnête sur les tarifs plutôt que de faire semblant d’être une sainte, c’est mieux pour tout le monde, non ? Bref, si tu me fais une petite faveur de manière régulière, tout à fait inoffensive comme faveur, je tiens à préciser, je te ferais une faveur en retour. Alors ? Pas mauvais comme contrat, tu ne trouves pas ?
  • Je… je ne sais pas quoi dire. Pourquoi moi ?
  • Parce que je t’aime bien, et mon frère aussi apparemment. C’est un bonus si j’arrive à l'embêter.

Quand elle vit le l’expression douteuse de Kasmir, la princesse s’empressa d’ajouter :

  • L’embêter de manière… sympathique, je veux dire, comme un frère et une soeur aiment se chamailler gentiment.

C’était une occasion en or pour Kasmir, mais d’un autre côté cela semblait trop beau. Elle avait l’impression d’être un de ces animaux qu’elle avait chassé un peu plus tôt.

  • Même si vous m'appréciez, j’ai du mal à croire que ce soit une raison suffisante pour me confier un tel rôle.

Si les choses tournent au vinaigre, c’est toujours la faute du serviteur ou de l’esclave.

  • Si jamais je refuse votre offre, et que je vous dénonce, vous nierez tout en bloque, je présume ?
  • Tout à fait, tu lis dans mes pensées ! On est faites pour s’entendre, dit donc !

La jeune femme retint un soupir, tiraillée. La princesse jeta un coup d’oeil derrière elle, en dehors de la tente, puis se tourna de nouveau vers Kasmir.

  • Bon, je crois qu’on commence à manquer de temps, je n’ai pas envie que qui ce soit remarque ta présence ici. Je te laisse un peu plus de temps pour réfléchir à ta réponse. Dans deux jours très exactement, retrouve moi sur la terrasse, au dernier étage du palais, près de la serre. Là, tu me donneras ta réponse, et si elle est négative, je ne t'embêterais plus.

La princesse vérifia de nouveau que personne n’observait sa tente, puis se décala sur le côté en tenant un bout du draps afin de laisser passer Kasmir.

  • Tu n’as plus qu’à traverser.

La jeune femme hocha la tête et sortit. Mais quand elle passa à côté de Jamil, elle leva de nouveau les yeux vers elle. Kasmir ne l’avait pas remarqué durant les enchères, car elle était assise, mais la princesse était grande,au moins une tête de plus que Kasmir (qui n'était pourtant pas petite) et d’une carrure assez trapue. Les habits de chasse qu’elle portait était similaire à ceux d’Astar, mais là où ceux du prince lui avaient paru être un costume de théâtre, Jamil les portait comme s'ils avaient étaient faits pour elle.

Ce qui était probablement le cas.

Voyant que Kasmir l’observait, elle pencha la tête sur le côté, sa longue natte brune lui tombant le long de l’épaule jusqu'à la taille, et lui adressa un un petit sourire espiègle.

  • Sinon, je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que tu saches tirer à l’arc.

Kasmir, qui avait déjà continué son chemin, se retourna, pétrifiée.

Les yeux bruns de la princesse brillaient de la même malice que ceux d’Astar, et pendant un cours instant, Kasmir trouva la ressemblance troublante.

  • Quoi ? Astar n’a jamais su tirer, le simple fait qu’il ai ramené plus d’une prise est une preuve de sa tricherie.

Et avec un petit signe de main en guise d'au revoir, Jamil retourna dans sa tente.

Une fois de retour là où elle aurait dû aller depuis le début, la jeune femme s’ecroula sur un coussin dans un coin de la tente violette.

Elle avait deux jours pour prendre une décision. Une décision qui pourrait réduire à néant tous les efforts qu’elle avait fourni pendant six ans, une décision qui pourrait l’amener là où elle à toujours voulu aller depuis six ans ans. Au final, Astar n’avais pas tout à fait tort.

Si la vie n’est qu’un jeu, elle n’avait qu’à parier juste.

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