En route

4 minutes de lecture

J’avais, pour l’occasion, revêtu une robe tout en sachant que j'allais pertinemment m’ennuyer. Or, Judith était toujours là, à me pousser à sortir. Me disant toujours :

— Allez, Céline sors ! Et viens avec moi, sinon comment veux-tu rencontrer un homme ?

Cependant, je reconnais qu’elle avait raison. Mais moi, je m’en fichais pas mal des hommes. Je voulais simplement qu’on me foute la paix. J’aimais trop me plonger dans mes rêves et comme toutes les filles, j’avais envie de vivre un conte de fées. Judith était bizarrement l’une de mes seules amies. Et quand j’avais vu sa tête, je n’avais rien dit, mais elle m’avait peinée. J’avais alors soufflé mine de dire, ok, ok ! J’arrive.

Et elle avait sauté comme une gamine. Je m’en rappellerai toujours, dans ses yeux, ça pétillait, tandis que moi, ce n’était pas vraiment le cas et, c’est à peine si je n’avais pas ralenti mon allure.

— Allez et bouge-toi, ma chérie. Eh, c’est quoi cet accoutrement. On dirait une vieille fille qui va à la bibliothèque. Heureusement que je suis là ! Reste là et ferme les yeux.

Incorrigible, cette fille.

— Mais t’es folle ! lui avais-je lancé.

— C’est pour ça que je t’aime. Et puis, je t’ai vue la regarder à chaque fois qu’on passait devant la boutique. Allez, essaye là. Je reviens, je vais tu sais quoi.

Je ne sais pas pourquoi mais pour une fois, j’étais contente. Elle avait réussi et m’avait convaincue d’aller à cette soirée. Et quand, je l’avais essayée, j'avais eu le sourire. Ce rouge clairsemé de pois blanc m’allait à ravir, elle m’avait contaminée. J’avais moi aussi eu des étoiles dans les yeux. J’avais même tourné sur moi-même, comme une pin-up et j’entendis soudain :

— Oh, mon Dieu. Retire là immédiatement !

J’avais plongé mon regard dans le sien et on avait explosé de rire. Judith, c’était comme ma sœur.

Judith aurait, sans nul doute, pu faire carrière dans le cinéma tant elle était excessivement expressive. Elle aimait faire de chaque moment de sa vie une scène de comédie tout entière, le genre qui aurait pu la propulser, sans même qu’elle s’en rende compte, sous le feu des projecteurs et, au lieu de ça, elle était là, avec moi dans cette chambre.

Toujours placée devant le miroir, elle se reluquait sous tous les angles et replaça son décolleté qui, pour marquer le coup, avait quelque peu débordé. J’avais, moi aussi, déteint sur elle et je reconnais que, parfois, elle était vulgaire. Sa tenue avait un vert si profond qu’il empirait davantage la beauté de ses traits latino. Je m’étais toujours demandée ce pour quoi elle aimait étudier les sciences humaines et à voir l’étincelle dans son regard, cette question m’avait parue soudainement fort bien stupide, car elle était sans conteste dotée d’une intelligence et d'un esprit brillant.

Cette fois-ci, Judith avait sorti le cabriolet rouge de son père, celui avec deux belles bandes blanches qui lui donnaient une allure sportive et surtout avec une telle femme au volant, comment vous dire ? Ce n’était plus une voiture sportive, mais bel et bien autre chose. Elle était devenue autrement. C'est-à-dire, féline ! Ses lignes impeccables étaient assorties à celles de Judith dont le décolleté, pour le coup, aurait pu autant faire ronronner les hommes que le V6 de ce petit bolide.

Un coup d’œil dans le rétro, la première enclenchée et nous avions décollé en faisant crisser les pneus arrières. Cheveux au vent, nous étions les princesses de la résidence universitaire avec un tel engin et on se dirigeait tout droit vers un palace, une maison comme il n’en existe pas deux dans le même quartier. Et avant cela, Judith avait mis la musique à fond et Elvis accompagna notre route. Judith avait sorti ses lunettes aux verres fumés qui lui donnaient plus encore cet air de pin-up. L’instant où je l’observai piloter sa Chevrolet, petit sourire en coin de lèvres coloré de ce rouge carmin qui amplifiait de plus en plus son charme, je l’avais enviée.

Puis, j’avais baissé le volume et je lui avais demandé timidement :

— Il va y avoir du monde ?

À ce moment-là Judith roulait vite, mais un feu au loin passa à l’orange et elle ralentit, rétrogradant ses vitesses, faisant de nouveau ronronner le moteur. Une fois au feu rouge, elle me répondit :

— J’espère qu’il y en aura plus encore que l’autre fois. Céline, tu sais que j’aime le monde, la foule, les fêtes en folie et plus encore. Alors, ma chérie n’ais aucune crainte. Car avec, moi, tu vas te sentir pousser des ailes. Tu connais la thèse sur le mimétisme ? me sortit-elle d’un air enjoué.

Comme réponse, je lui avais souri quand elle me regarda droit dans les yeux en baissant, d’un mouvement du doigt, ses lunettes suivit d’un clin d’œil à faire chavirer tous les cœurs des hommes. Au feu vert, elle appuya sur la pédale d’accélérateur si fort que l’arrière de la voiture avait vacillé, de droite à gauche, avant que les pneus fumants ne réadhèrent sur le bitume. J’avais à ce moment senti mon ventre se soulever, et je ne sais pas pourquoi, mais j’avais vraiment apprécié.

Judith, en plus d’être comme ma sœur, était sans conteste ma meilleure amie et j’allais entrer dans son milieu guindé. Même si je n’avais qu’une hâte, en cet instant, rentrer de nouveau dans ma chambre, et ce même si j’étais loin de savoir comment cette soirée allait se dérouler.

Annotations

Vous aimez lire Louis de Lagarde ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0